Édition du 17 décembre 2024

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Le Monde

Le « Sud global » à l’assaut du FMI

À l’occasion de trois sommets organisés à Johannesburg, New Delhi et Marrakech entre août et octobre 2023, le « Sud global » a montré sa force dans les négociations économiques internationales. Une première qui aura des conséquences majeures à plus ou moins brève échéance.

Tiré de Orient XXI
https://orientxxi.info/magazine/le-sud-global-a-l-assaut-du-fmi,6822

Tout commence à Johannesburg le 24 août 2023. Un changement important passe largement inaperçu. Il modifie pourtant le rapport des forces au sein des institutions financières multilatérales qui siègent à Washington. L’élargissement du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) lui donne, de fait, un droit de veto sur le fonctionnement du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, clé de voûte du financement de l’économie mondiale.

Avec le renfort de ses six nouveaux membres (Argentine, Égypte, Éthiopie, Iran, Émirats arabes unis et Arabie saoudite), les onze pays du BRICS contrôlent désormais près de 20 % du capital du FMI, soit l’équivalent en droits de vote. Ensemble, ils peuvent bloquer l’adhésion d’un nouveau membre (comme Taïwan) ou peser sur les grandes mesures politico-financières du FMI comme la révision du poids des 189 adhérents à son capital, toutes décisions qui exigent 85 % des votes. « Le Sud global1 aura un rôle plus grand dans la gouvernance globale et le développement mondiale », titrait le 25 août dernier l’agence de presse chinoise Xinhua2.

LA « MENACE » DE LA CHINE

Le président américain Joe Biden, dont le pays est actuellement le seul à disposer d’une minorité de blocage avec 17,43 % des quotas et donc des droits de vote3, ne s’y trompe pas.

Le 22 août 2023, à la veille de l’élargissement des BRICS, la Maison Blanche fait savoir qu’au prochain sommet du G20 en septembre suivant à New Delhi, « la question de la modernisation des banques de développement dans le monde, y compris le FMI et la Banque mondiale, sera abordée4 ». Et coup de pied de l’âne, Washington compare le financement « effectif et transparent » des institutions internationales avec un autre financement des investissements, dont la Chine serait le protagoniste — une attaque rituelle de l’administration démocrate qui reproche aux financiers chinois le flou de leurs contrats. Plus diplomate, Jake Sullivan, conseiller national à la sécurité affirmait, contrairement au verbatim des propos de Biden, que la Chine n’était pas visée par les propos présidentiels…

De fait, le poids démographique et économique des pays émergents n’est pas pris en compte par le FMI. Les BRICS, qui représentent entre 42 % et 46 % de la population mondiale et environ un bon tiers de l’économie internationale, ont moins de voix que quatre pays européens « moyens » (Royaume-Uni, Allemagne, Italie et France). Les économies avancées disposent de 59,1 % des droits de vote alors qu’elles ne constituent que 13,9 % de la population mondiale. Au moment de la fondation des institutions de Breton Woods, en 1944, la plupart de ces pays émergents appartenaient à des empires coloniaux et n’étaient pas souverains. Depuis, les tentatives de corriger ces inégalités n’ont pas manqué sans réellement déboucher, sauf en 20095.

LE VETO DES ÉTATS-UNIS

La révision des quotas — c’est-à-dire les parts du capital du FMI dont disposent ses adhérents —, occupe une grande partie du temps de son état-major. Il faut à la fois corriger les inégalités nées de l’Histoire et augmenter le nombre total de parts pour financer les prêts du Fonds. Depuis une bonne quinzaine d’années, la révision est en panne pour une seule et unique raison : le Congrès américain refuse d’abaisser les quotas des États-Unis au profit des nouveaux venus, car Washington ne veut pas perdre son droit de veto, ce qui serait immanquablement le cas si leurs quotas tombaient en dessous de 15 %. En 2023-2024, période électorale aux États-Unis, ceux-ci sont plus opposés que jamais à abandonner des quotas qui leur donnent un droit à intervenir dans les affaires du monde.

Le président Biden propose de fixer à 200 milliards de dollars l’augmentation du capital du FMI. Le G7, qui regroupe les pays les plus riches de la planète, a du mal à mettre sur pied le fonds de 100 milliards de dollars déjà promis. Mais comment financer cette avalanche de billets verts ? Théoriquement, la vente de quotas supplémentaires à chaque pays membre doit fournir la ressource. Actuellement, l’absence d’accord sur la redistribution des quotas bloque cette solution. À défaut, le FMI emprunte sur les marchés financiers internationaux grâce à des arrangements multilatéraux (408 milliards de dollars) ou bilatéraux (152 milliards de dollars) auprès de riches prêteurs, dont les États-Unis, à des taux d’intérêt qui augmentent et frôlent désormais 5 % outre-Atlantique.

Au G20 de New Delhi en septembre dernier qui a réuni les 18 principales puissances économiques du monde, dont les grands pays occidentaux, la question des quotas n’a pas fait l’objet de débats publics. Le point 53 de la déclaration des chefs d’État et de gouvernements du G20 revient sur la réforme des banques multilatérales de développement, et surtout sur la question de la révision des quotas qui doit prendre fin en décembre prochain :

Nous demeurons résolus à réexaminer l’adéquation des quotes-parts et nous poursuivrons le processus de réforme de la gouvernance du FMI dans le cadre de la seizième révision générale des quotes-parts, en utilisant notamment comme référence une nouvelle formule de calcul et en veillant à ce que les quotes-parts jouent un rôle de premier plan dans les ressources du FMI, ce processus devant s’achever d’ici le 15 décembre 20236.

SUPPLANTER LES FINANCEMENTS DU NORD

Quelle sera la nouvelle forme de calcul mentionnée au point 18 ? Rien jusqu’ici n’a été divulgué. L’engagement des membres du G20 vaut bien sûr en principe pour les États-Unis et l’Europe. Mais les pays riches ne semblent pas disposés à rogner sur leurs quotas au profit du Sud global. La Chine, qui a fêté le 18 octobre 2023 en compagnie d’une centaine de chefs d’États le dixième anniversaire du lancement de l’Initiative ceinture et route (Belt and Road Initiative, BRI) — dite aussi « nouvelle route de la soie » —, leur a déjà prêté plus de 1 000 milliards de dollars. Ses engagements à venir dépassent les 107 milliards de dollars. La République populaire ne finance plus le déficit budgétaire des États-Unis en achetant des bons du Trésor américains, mais place son épargne dans les investissements en infrastructure (routes, barrages, ponts, centrales électriques…) des pays pauvres. Le Président chinois Xi Jinping s’est engagé à continuer dans les années à venir et, de fait, à supplanter le FMI et la Banque mondiale dans les soutiens financiers au Sud grâce, bon an mal an, à l’excédent confortable de la balance des paiements chinoise (plus de 150 milliards de dollars par an).

À Marrakech, début octobre, les traditionnelles assemblées annuelles des actionnaires du FMI et de la Banque mondiale ont largement été étouffées par l’explosion de violence au Proche-Orient. Elles ont débouché sur un nouvel affrontement feutré entre les deux principales économies du monde, les États-Unis et la Chine. Pour la première fois, Pékin a refusé de céder aux pressions américaines sur le financement du Fonds. La menace implicite d’un veto des BRICS a empêché l’adoption de la solution préconisée par la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen. Du coup, la « 16th General Review of Quotas » (« 16e Révision générale des quotas ») en cours porte sur l’augmentation du nombre des quotas, pas sur leur distribution relative entre États membres, qui demeure inchangée. Elle a peu d’avenir malgré le cavalier seul de l’Inde, unique membre des BRICS à s’y être plus ou moins rallié. Désormais, deux puissances - les États-Unis et les BRICS - peuvent imposer leur veto au sein des institutions financières internationales.

JEAN-PIERRE SERENI
Journaliste, ancien directeur du Nouvel Économiste et ex-rédacteur en chef de l’Express.

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Jean-Pierre Séréni

Journaliste, ancien directeur du Nouvel Économiste et ex-rédacteur en chef de l’Express. Auteur de plusieurs ouvrages sur le Maghreb, le Golfe, l’énergie, les grands patrons et la Ve République.

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