Le Saint-Laurent n’est plus un long fleuve tranquille
Immense porte donnant sur le coeur du continent, le Saint-Laurent fut jadis le « chemin qui marche » pour les peuples amérindiens à la recherche d’échanges commerciaux, de la Côte-Nord jusqu’aux confins du Mississippi. Pendant plus de trois siècles, cette grande route fluviale fût aussi au service de nos gens. Elle permit la fondation et le peuplement de nos villes, de nos villages côtiers et le développement de nos régions. Depuis la mise en service du Système de navigation Saint-Laurent-Grands Lacs en 1959, les choses ont bien changé. Au fil des ans, les eaux de notre grand fleuve sont devenues le domaine quasi-exclusif des grands consortiums maritimes qui concentrent leurs activités sur le transport des matières dangereuses vers ou depuis le centre du continent (25 millions/an de tonnes de produits pétroliers). Et qu’en sera-t-il demain ? Avec des terminaux pétroliers dédiés à l’exportation et ce, de Montréal-Est à Cacouna, en est-on à faire du Saint-Laurent la principale voie de transit de la 3e plus grande réserve mondiale de pétrole lourd (plus de 173 milliards de barils) ?
Pour alimenter ces terminaux d’exportation, l’industrie pétrolière devra dérouler en sol québécois, plus d’un millier de kilomètres de pipeline (capacité initiale 1.4 millions de barils/jour), accroître la navigation de superpétroliers sur notre réseau fluvial et défigurer nos plus beaux paysages avec la construction d’immenses parcs de réservoirs pour l’entreposage temporaire. La super quincaillerie pétrolière projetée traversera nos villes et villages, des terres agricoles, 600 cours d’eau dont des rivières majeures, près de 80 bassins hydrographiques et le lit d’un fleuve d’où plus de 43% des Québécois tirent leur eau potable.
Ce qui est en cause ici, aujourd’hui et pour demain, c’est d’abord la sécurité de nos gens, c’est l’intégrité et la qualité d’un milieu de vie riche de plus de 500 sites naturels protégés. C’est aussi infliger une pression insoutenable au système du transport fluvial des marchandises dont dépendent actuellement des dizaines de milliers d’emplois dans toutes les régions du Québec. En effet, le transport des marchandises dangereuses aura toujours priorité sur les routes maritimes du Saint-Laurent. Dans ces conditions, comment un gouvernement peut-il imaginer sérieusement un « Plan » ou une « Stratégie Saint- Laurent » ?
Risques maritimes et menace écologique.
L’image que nous renvoie la surface visible de notre grand fleuve est assez trompeuse. Ce dernier est loin de constituer une autoroute à voies multiples et au potentiel quasiillimité. Le réseau fluvial du Saint-Laurent est déjà le théâtre des deux tiers des incidents/accidents maritimes se produisant au Canada. À maints endroits et pour chacun de leurs parcours, les navires se retrouvent en « eaux restreintes ». Par exemple, sur le tronçon Escoumins-Montréal, la profondeur est critique pour des navires citernes de type PANAMAX et SUEZMAX qui, à répétition, doivent composer avec un chenal très étroit sans possibilité de croisement. Une simple perte de gouvernail de 15 secondes suffit pour produire une catastrophe (accident de l’Alcor, 1999). Ce n’est pas sans raison que les activités de navigation sur le Saint-Laurent figurent parmi les plus dangereuses ou hasardeuses au monde. Dans l’hypothèse d’un échouement dans la Traverse du nord, par exemple, le Groupe Océan affirme que les contraintes exercées sur la coque d’un navire à marée basse pourraient le fracturer. En pareil cas, une double coque pourrait s’avérer d’aucun secours contre un déversement majeur. La prise en charge des navires par les pilotes du Saint-Laurent, quant à elle, ne satisfait pas entièrement le principe de précaution puisque, selon les statistiques, les erreurs humaines comptent pour plus de 75% des accidents maritimes (Bulletin d’information des Armateurs du Saint-Laurent, Décembre 2011).
Aucun plan d’intervention en cas de déversement majeur.
Le risque pétrolier sur le Saint-Laurent laisse présager des impacts catastrophiques. En cas de déversement majeur, c’est plus de 1400 kilomètres de rivage qui pourraient être contaminés sous l’effet des courants et du flux et reflux des marées. Avant d’arriver à se fixer au rivage, une nappe de pétrole pourra voyager pendant des jours, voire des semaines sans pouvoir être contenue. Selon la plupart des experts, la rive sud de l’estuaire serait particulièrement touchée et l’ampleur des dommages serait multipliée en hiver sous l’action de la dérive constante des glaces. Les analyses les plus optimistes évaluent à moins de 10 % la part de résidus de pétrole pouvant être récupérée alors que les moyens disponibles sur ce plan demeureront toujours extrêmement limités. On estime que les coûts des dégâts d’un Exxon Valdez seraient décuplés dans le Saint-Laurent. Qui paiera la facture ?
Peu de considération pour les impacts négatifs sur notre propre économie.
Il ne faut pas rester sourd aux craintes déjà exprimées concernant les risques d’impacts économiques négatifs liés à la conversion du gazoduc TransCanada en oléoduc : au Québec, c’est une perte appréhendée de 619 M$ par année et 2 400 emplois directs et indirects selon KPMG-SECOR. Quant aux conséquences économiques pouvant résulter d’accidents maritimes en eaux dites « restreintes », elles ont déjà été documentées : risque d’arrêt ou de congestion du trafic maritime et donc de perturbations de l’activité économique régionale et nationale, ceci pendant des jours (Commission Brander-Smith et Groupe Océan). C’est évidemment l’industrie du transport par conteneurs qui en serait le plus affectée et celle des croisières maritimes, toutes deux soumises à des agendas particulièrement contraignants.
Établissant que la prospérité d’une économie tient à sa capacité de pouvoir transporter facilement de grandes quantités de biens, une étude réalisée en 2005 pour le compte de Transports Québec (« Transformations de l’industrie maritime : portrait international de développement durable appliqué ») avertissait déjà le gouvernement du Québec d’avoir à l’oeil tout projet risquant à terme de porter atteinte à la capacité concurrentielle du Saint- Laurent dans sa mission de desserte du Québec et de transmission du trafic transatlantique, un rôle intimement lié au futur de l’industrie québécoise. Menace sur le Saint-Laurent contre emplois temporaires.
Il est reconnu qu’en matière de transport de matières dangereuses, malgré toute l’attention que l’on peut porter à l’évaluation des ressources et à la fiabilité des équipements, l’occurrence d’« événements externes » et l’entrée en scène de nombreux facteurs dits « anormaux », ne peuvent jamais être entièrement prévues, estimées ou gardées sous contrôle. Avec l’accroissement exponentiel de la fréquence et du volume du transport de pétrole, que ce soit par voie ferrée ou via les eaux du Saint-Laurent, c’est la loi du nombre qui, inexorablement, déterminera où et quand se produira la catastrophe appréhendée.
Ce gigantesque projet de transit de pétrole via le Saint-Laurent entraînera certes d’immenses bénéfices financiers pour les sociétés productrices ou transporteuses du pétrole des sables bitumineux mais au Québec, il en rapportera moins de 0,01%. Le coût d’un éventuel déversement dans les eaux du fleuve sera, par contre, incalculable sur les plans humain, biologique, touristique et d’image du Québec à l’étranger. L’absence des retombées structurantes à long terme pour le Québec est particulièrement évidente dans le cas des projets de terminaux pétroliers. À qui profiteront ces derniers, sinon aux producteurs, à la filière pipelinière et aux armateurs ? Les gains à court terme, quant à eux, ne valent pas le traditionnel plat de lentilles proposé.
Requête du GIRAM au gouvernement du Québec et au gouvernement du Canada
CONSIDÉRANT les risques inhérents au gigantisme du projet de transit du pétrole des sables bitumineux via la vallée du Saint-Laurent pour alimenter des terminaux pétroliers sur les rives du Saint-Laurent ; CONSIDÉRANT qu’un accident majeur ne manquera pas de bouleverser complètement l’écosystème du Saint-Laurent et d’entraîner d’inestimables préjudices économiques pour tout le Québec ;
CONSIDÉRANT les principes de précaution (Déclaration de Rio), de droit à la santé et à la qualité de vie (Loi québécoise sur le développement durable) ;
CONSIDÉRANT que la Cour suprême du Canada a reconnu que le Québec peut intervenir directement sur les activités industrielles, minières, agricoles et commerciales lorsqu’elles sont susceptibles de porter atteinte à l’environnement ;
CONSIDÉRANT que les impacts sur l’écologie du Saint-Laurent résultant de l’ensemble des activités maritimes d’exportation du pétrole, à partir de terminaux réaménagés ou à construire à cette fin, représentent une problématique nouvelle et tout à fait unique au plan environnemental qui ne peut être prise en compte par l’Office national de l’Énergie ;
CONSIDÉRANT que la construction d’un nouveau terminal pétrolier sur le Saint- Laurent dans la foulée du projet Énergie Est (à Cacouna ou ailleurs) ne vise aucunement à répondre aux besoins en hydrocarbures du Québec, mais à satisfaire les besoins d’exportation des pétrolières, des compagnies d’oléoduc et leur clientèle (armateurs et importateurs étrangers) ;
LE GIRAM DEMANDE :
1/ Que le gouvernement du Québec par son ministre de l’environnement et du développement durable, donne instruction pour que soit tenue, en plus des audiences déjà annoncées sur l’oléoduc Énergie Est, une consultation publique inédite sur la question spécifique des impacts pouvant résulter de l’ensemble des activités d’exportation de pétrole par voie fluviale, de Montréal-Est aux portes de la Gaspésie et ce, au moyen d’un BAPE générique.
2/ Que le gouvernement du Québec détermine à priori l’étendue et la forme de la couverture de risques qu’il convient d’exiger des entreprises de transport du pétrole (pipelines et navires citernes, dont un pourcentage grandissant battent pavillon de complaisance), afin de couvrir les coûts de toute catastrophe ayant des incidences majeures sur les plans environnemental, économique, de la santé et de la sécurité publique (incluant l’eau potable de nos villes).
3/ Que le gouvernement du Canada exige des entreprises déjà engagées dans des activités d’exportation ou de transit de pétrole lourd via les eaux du Saint-Laurent (ports de Montréal, de Sorel-Tracy) qu’elles se soumettent au processus d’évaluation TERMPOL en raison des effets potentiels importants sur l’intensification des activités maritimes avec cargaisons dangereuses sur des routes fluviales déjà identifiées comme particulièrement problématiques.
4/ Que le gouvernement du Québec s’oppose à la construction du terminal pétrolier d’exportation de TransCanada compte tenu de ses impacts écologiques et humains majeurs et irréversibles, de ses retombées économiques minimalistes et de la non démonstration par le promoteur de sa réelle nécessité pour le Québec.
Contact : Renseignements sur le GIRAM www.giram.ca