The Guardian, le 6 novembre 2022
La plus grande grève des infirmières de l’histoire du NHS (Service national de la santé) devrait avoir lieu avant Noël, la grande majorité des 300,000 membres du Royal College of Nursing devant avoir voté pour une grève, lorsque les résultats du scrutin national seront divulgués la semaine prochaine.
Une inflation à deux chiffres et une compression salariale qui dure depuis une décennie ont créé les conditions d’une série de conflits amers. Avec le nouveau chancelier, Jeremy Hunt, qui ne prévoit que 2% en moyenne d’augmentation de salaire dans le secteur public, qui est fortement syndiqué, le gouvernement semble prêt à une collision frontale avec ses travailleurs et les travailleuses.
« S’il y a une grève à grande échelle dans les mois à venir, le gouvernement n’a qu’à s’en prendre à lui-même », a déclaré Frances O’Grady, secrétaire générale du TUC (la centrale syndicale). « Plutôt que de se mettre autour de la table, il se bat avec les syndicats et les travailleurs. »
L’analyse du Guardian des données fournies par 16 grands syndicats soutient l’idée que le Royaume-Uni pourrait être confronté à la vague d’actions revendicatives la plus importante depuis des décennies.
Près de 1,7 million de travailleurs et de travailleuses, pour la plupart dans le secteur public, sont soit en train de voter ce mois-ci, soit ils et elles ont déjà voté en faveur d’arrêts de travail. (Une fois qu’un tel vote a eu lieu, le syndicat a le mandat de déclencher une grève pendant six mois.)
Si toutes ces personnes votaient en faveur de la grève et menaient une action de deux jours au cours du même mois, cela entraînerait la perte de 3,4 millions de journées de travail, le mois le plus perturbé depuis septembre 1979, lorsque Margaret Thatcher a pris le pouvoir après « l’hiver de mécontentement ».
Les données recueillies par le Bureau de statistiques nationales (ONS) montrent que lorsque les travailleurs et les travailleuses sont sorti.e.s en grève cette année-là, un étonnant 11,7 millions de jours ont été perdus en un seul mois.
La dernière fois que plus de 2 millions de journées de travail ont été perdues à cause d’actions syndicales en un mois remonte à juillet 1989, lorsque 2,42 millions de travailleurs et travailleuses des chemins de fer, des métros et des administrations locales étaient tous et toutes en grève. Avant cela, c’était en novembre 1984, sous le mandat de premier ministre de Margaret Thatcher, quand la grève des mineurs faisait rage.
Selon le professeur Michael Jacobs de l’Université de Sheffield, les gens travaillent beaucoup plus dur. Ils et elles travaillent plus intensément et en ont plus marre.
Lors du congrès annuel du Congrès des syndicats à Brighton le mois dernier, alors que le mandat catastrophique de Liz Truss prenait fin, l’ambiance était au défi, associée à la consternation face aux pressions du coût de la vie auxquelles sont confronté.e.s de nombreux travailleurs, nombreuses travailleuses mal rémunéré.e.s.
Presque chaque secrétaire général.e. d’un syndicat a parlé d’un vote de grève imminent ou déjà en cours. Beaucoup d’entre eux et elles se trouvent dans des services publics clés - des infirmières et du personnel de soutien scolaire, des enseignants, des sages-femmes et des fonctionnaires de première ligne qui se préparent tous et toutes à agir.
La compression des salaires dans le secteur public a été utilisée à plusieurs reprises comme outil d’austérité au cours des 12 dernières années. George Osborne, en tant que chancelier, a imposé un gel des salaires de 2011 à 2013, suivi d’un plafond de 1% qui a duré encore quatre ans, jusqu’en 2017. Rishi Sunak a imposé un autre gel aux travailleurs et travailleuses du secteur public pendant la pandémie.
Selon l’Institut des études fiscales (IFS), le salaire moyen du secteur public est aujourd’hui inférieur de 4% à ce qu’il était en 2007, une fois l’inflation prise en compte.
Les travailleurs et les travailleuses du secteur privé ont également été confronté.e.s à une pression prolongée, leurs revenus moyens n’étant que de 0,9% supérieurs en termes réels à ceux d’il y a 15 ans. Mais l’adhésion à un syndicat, qui représente moins d’un sur quatre dans l’ensemble de la main-d’œuvre britannique, est la plus forte dans le secteur public et dans les anciens services publics, tels que les chemins de fer et Royal Mail.
Lorsque les grèves du chemin de fer ont commencé plus tôt cette année, le gouvernement de Boris Johnson a cherché à dépeindre Mick Lynch, chef du Syndicat national des travailleurs et travailleuses du rail, de la mer et des transports (RMT), comme un militant dangereux. Et il a insinué que le Parti travailliste était en quelque sorte à blâmer. Le secrétaire aux Transports, Grant Shapps, a même écrit à Keir Starmer, lui demandant d’« exhorter vos bâilleurs syndicaux de fonds à parler, pas à débrayer ».
Cet argument pourrait devenir plus difficile à soutenir si l’action revendicative se répandait plus largement, impliquant des infirmières, des enseignants et des employé.e.s d’État de première ligne.
Le professeur Michael Jacobs, de l’Université de Sheffield, économiste et ancien conseiller de Gordon Brown, affirme que l’inflation élevée a été le facteur-clé de l’augmentation actuelle du soutien à la grève.
« Je pense que l’inflation est le principal moteur, et bien sûr, il n’est pas surprenant que la dernière fois que nous ayons connu une période de troubles industriels importants, dans les années 1970, ait également été une période d’inflation plus élevée, » dit-il.
« Il doit arriver un moment où lorsqu’on leur propose une vraie baisse de salaire, les gens disent simplement : « Je n’accepte pas ça ! C’est ridicule. »
Il ajoute que la sympathie du public pour les grévistes peut être renforcée par le sentiment plus largement répandu dans une économie où de nombreuses personnes ont vu leur vie au travail devenir plus difficile.
« Les syndicats sont redevenus à la mode alors que les conditions des travailleurs et des travailleuses se sont détériorées », dit-il. « Il y a un sentiment généralisé que beaucoup de pression s’exerce sur les travailleurs et les travailleuses. La dite « gig economy » en est une version. Mais même dans les emplois qui ne sont pas précaires, je pense que les gens travaillent beaucoup plus dur qu’avant. Ils et elles travaillent plus intensément et ils en ont plus marre. »
Ce n’est peut-être pas non plus une coïncidence si de nombreux secteurs où les gens menacent maintenant de sortir en grève sont ceux dont le personnel a continué à travailler pendant les jours sombres de la pandémie, notamment les infirmières, les enseignant.e.s et de nombreux et nombreuses fonctionnaires.
Lorsque les confinements ont pris fin, au lieu d’être récompensées par une nation reconnaissante, les infirmières se sont retrouvées aux prises avec les arriérés du NHS, les enseignant.e.s avec des enfants durement touchés par l’apprentissage manqué, et le personnel du secteur public en général avec un sous-financement chronique.
Mark Serwotka, secrétaire général du syndicat PCS (Services publics et commerciaux), dit que les 150 000 membres dans les services publics vont voter pour améliorer les conditions de ce qu’on appelle « les héros de la pandémie ».
« Nos membres en ont assez d’être traité.e.s avec mépris par ce gouvernement », a-t-il déclaré. « Lorsqu’ils et elles voteront en faveur de la grève, le gouvernement verra à quel point nos membres sont essentiel.le.s à la prestation de services publics indispensables. »
Tony Wilson de l’Institut d’études de l’emploi affirme que l’écart croissant entre les salaires des secteurs public et privé a pu aussi avoir contribué à un sentiment d’injustice.
« Il y a une énorme disparité entre les secteurs public et privé. Ainsi, la croissance des salaires dans le secteur public est à peine de 2 % en glissement annuel ; la croissance des salaires dans le secteur privé est supérieure à 6 %. Ainsi, non seulement y a-t-il une compression du niveau de vie, parce que les salaires ne suivent pas l’inflation, cela martèle absolument les travailleurs et les travailleuses du secteur public, bien plus que leurs homologues du secteur privé. »
Certains employeur.e.s financé.e.s par l’État avertissent déjà que des restrictions salariales prolongées entravent leur capacité à recruter et à conserver le personnel dont ils et elles ont besoin.
Matthew Taylor, de la Confédération NHS, qui représente les employeur.e.s du secteur de la santé, a déclaré : « Deux des mots que j’entends le plus souvent lorsque je parle au NHS et aux responsables des soins sont Amazon et Aldi : et la raison pour laquelle j’entends ces mots est que leur personnel part travailler chez Amazon et Aldi. »
« C’est en partie lié aux salaires, mais aussi aux pressions que subissent les gens, » ajoute-t-il. « Il y avait ce sentiment que, lorsque nous sortirons de la pandémie, nous pourrons reconnaître les gens et leur donner peut-être un peu de repos et de récupération. Mais cela n’a pas été possible de le faire – nous avons juste dû continuer à labourer. C’est très difficile. »
Il souligne l’aide que certains employeur.e.s du secteur de la santé offrent pour soutenir leurs travailleurs et travailleuses pendant la crise du coût de la vie, y compris les banques alimentaires.
La secrétaire générale d’Unison, Christina McAnea, dont les 350,000 membres qui travaillent dans le NHS sont en train de voter, a déclaré : « Il n’est pas étonnant que des centaines de milliers de travailleurs et de travailleuses clés décident de faire grève pour un meilleur salaire. Le gouvernement doit intervenir pour éviter la perturbation des services en augmentant leurs revenus ».
« Sinon, le personnel qualifié et expérimenté continuera à démissionner pour chercher des salaires plus élevés et un travail moins stressant dans d’autres secteurs. Cela signifie que les services publics déjà en sous-effectif vont tout simplement s’effondrer, laissant les communautés sans soins ni soutien. »
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