9 novembre 2022 | tiré de mediapart.fr | Photo : Mark Zuckerberg lors de son audition devant le Congrès américain, le 23 octobre 2019. © Photo Pete Marovitch / The New York Times / REA
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L’annonce est spectaculaire et elle met au jour un nouvel aspect de la crise multiple qui se joue au sein du capitalisme contemporain. Ce 9 novembre 2022, le patron de Meta Platforms, la maison mère de Facebook et Instagram, Mark Zuckerberg, a annoncé le premier grand plan de licenciements de l’entreprise en 18 ans d’existence.
11 000 salariés sur les 87 000 que compte le groupe seront remerciés, soit un peu plus de 12,6 % des effectifs. Les embauches seront gelées jusqu’à la fin du premier trimestre 2023 et des mesures d’économies complémentaires, notamment concernant les locaux, seront prises. Meta, d’ordinaire plus habitué à la croissance, tente de réduire sa structure de coûts pour préserver sa rentabilité. C’est un retour brutal au fonctionnement classique de l’entreprise capitaliste.
Mark Zuckerberg, dans son message aux employés, a regretté devoir prendre ces « tristes mesures », mais, affirme-t-il, « il n’y a pas d’autres solutions ». Celui qui, un temps, était présenté par certains comme un génie, a même dû faire amende honorable en reconnaissant qu’il avait surestimé les revenus futurs après la pandémie. « J’ai eu tort et j’en prends toute la responsabilité », a-t-il indiqué. Pas au point, cependant, de quitter son poste.
Le modèle Facebook-Meta
En réalité, la crise de Meta est celle d’un modèle que l’on a pu croire un temps insubmersible mais qui reposait sur du sable. La stratégie de Facebook a été pendant des années de se rendre indispensable sur le marché des réseaux sociaux. Il pouvait ainsi occuper une position dominante lui assurant une rente de situation. En retour, il pouvait, pensait-il, dicter sa loi aux usagers comme aux publicitaires et espérer une rentabilité élevée permanente.
Pour mettre en place cette vision, Mark Zuckerberg a eu recours à une vraie logique de prédation : on achetait des entreprises concurrentes ou complémentaires pour élargir la clientèle et le cercle de la dépendance au groupe. L’exemple le plus parlant de cette stratégie a été le rachat en 2012 d’Instagram, entreprise vieille de seulement deux ans, pour un milliard de dollars. Mais la stratégie s’est poursuivie.
En parallèle, le groupe pouvait investir massivement dans de nouveaux usages pour renforcer la dépendance du public. Le dernier avatar de ce type d’actions est l’annonce, en 2021, d’une stratégie dans le métavers (qui a conduit au changement de nom du groupe) avec l’idée que cette « réalité virtuelle » deviendrait un outil incontournable pour l’économie du futur. Un outil où Meta serait évidemment dominant.
À première vue, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Il permettait à Facebook-Meta d’afficher une croissance rapide dans un monde qui en manque. Mais le principal moteur d’un tel fonctionnement, c’était le prix de l’action. En annonçant des perspectives heureuses, le groupe attirait des investisseurs qui faisaient monter le prix de l’action.
Le cours de l’action Meta sur un an. © Nasdaq
Compte tenu de la structure de la finance moderne, cette action s’intégrait alors dans les grands indices et devenait incontournable pour tous les investisseurs. Comme les banques centrales soutenaient à bout de bras les marchés financiers, les actions Facebook ne cessaient de grimper.
Dès lors, le groupe pouvait utiliser ces actions comme de la monnaie parallèle pour acquérir des entreprises, attirer des salariés (via des systèmes de stock-options) et financer ses investissements. C’est cela qui faisait en sorte que Facebook donnait l’impression d’une croissance infinie. Mais cette croissance était achetée avec des actions qui affichaient des promesses de hausse. C’était une forme d’achat à crédit avec du capital fictif.
Un tel système ne peut fonctionner que tant que l’action monte. Lorsque les cours s’inversent, il s’effondre comme un château de cartes. De ce point de vue, 2022 est une annus horribilis pour Meta. Voilà un an, l’action frôlait les 350 dollars. Elle n’en vaut aujourd’hui qu’un peu plus de 100. Le cours a même atteint 88 dollars en début de mois de novembre.
L’étau se resserre
Comment expliquer ce retournement ? Il existe plusieurs niveaux d’explication, internes et externes. La première est simple. L’émergence de l’inflation dans les derniers mois de 2021 a conduit à un resserrement monétaire notable des politiques monétaires. Le robinet des banques centrales se tarit, amenant les investisseurs à anticiper des baisses futures et donc à prendre leurs bénéfices. Dans ce mouvement, les actions ayant le plus monté auparavant sont celles que l’on examine en premier.
Or, précisément, Meta montre d’inquiétants signes de faiblesse au moment même de ce tour de vis monétaire. Depuis un an, le groupe affiche des résultats décevants, ce qui affaiblit l’idée qu’il serait assuré d’une croissance infinie. Fin octobre, il a ainsi annoncé un recul de 4 % de son chiffre d’affaires sur un an et un recul de 52 % de son bénéfice. L’action a alors décroché de 24 %. En février, après des résultats aussi décevants, elle avait subi une chute brutale de 20 % en une séance.
Car la stratégie de domination du groupe est à la peine. Le public de Facebook vieillit et les plus jeunes sont de plus en plus attirés par le chinois TikTok. Résultat : il faut engager des dépenses plus importantes et des investissements plus risqués pour assurer la croissance des revenus. C’est précisément ce que disaient les résultats de 2021. Et comme on ne peut plus avoir recours à la magie des actions pour financer la croissance, l’avenir s’annonce morose.
À cela s’ajoute que la stratégie de Meta l’a exposé à des contestations politiques. On l’a vu sur les stratégies d’optimisation fiscale du groupe qui ont été de plus en plus discutées et ont donné lieu à une réforme de la fiscalité internationale qui, si elle ne change rien fondamentalement pour Meta, réduit sa marge de manœuvre sur ce plan. On l’a vu surtout avec les révélations de Frances Haugen sur les pratiques du groupe et le choix délibéré de la rentabilité sur la santé et la sécurité des usagers. Au point que désormais l’épée de Damoclès de la régulation de ses activités menace sa croissance.
Un autre point est la situation économique générale. Facebook avait pu, pendant des années, donner l’impression d’être insensible à l’évolution de cette situation. Mais son marché est désormais mûr et plus concurrentiel, ce qui rend ses revenus publicitaires plus sensibles à la conjoncture.
L’inflation est venue mettre la pression sur le secteur publicitaire : les entreprises rognent leurs coûts et les revenus réels des ménages se contractent, conduisant à un ralentissement de la consommation. À cela s’ajoutent les effets de la dernière mise à jour du système iOS d’Apple qui a réduit les possibilités de ciblages publicitaires des utilisateurs. Cela affaiblit l’intérêt de placer sa publicité sur Facebook, par exemple. Et comme Meta ne peut plus racheter de concurrents pour occuper le terrain, les revenus publicitaires reculent.
La fuite en avant de Mark Zuckerberg
Face à cette situation, Mark Zuckerberg a choisi la fuite en avant. Sa réponse est de poursuivre ses investissements massifs dans le métavers. Depuis 2019, l’entreprise a dépensé 36 milliards de dollars et, au troisième trimestre, la perte de la division Meta Reality Labs a atteint 9,4 milliards de dollars pour des revenus de 285 millions de dollars.
L’idée du fondateur de Facebook est que le métavers offre un environnement où le groupe ne sera plus dépendant de tiers, comme Apple, pour fixer l’accès à la publicité. Plus globalement, il semble plutôt que Meta tente de transférer dans la réalité virtuelle la domination qui commence à lui faire défaut dans le monde réel. L’obsession du patron de Meta, c’est le monopole et la rente.
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Selfie de Mark Zuckerberg dans le métavers. © Copie d’écran Facebook
Mais le risque, c’est que ce monde qu’il a créé pour les besoins de sa rentabilité ne soit pas à la hauteur. Les investissements pour rendre le métavers attractif devront encore être considérables et durer plusieurs années. Et le tout sans garantie, car il n’est pas certain que ce monde virtuel qui ressemble à s’y méprendre au nôtre en pire soit si attirant, même s’il dépasse les pitoyables niveaux de graphisme actuels.
Pour l’instant, le métavers est un échec. Il a même connu son premier krach immobilier cet été avec des prix en recul de 85 %... Et il n’est pas certain qu’il puisse jamais, compte tenu des niveaux de dépenses exigés, être jamais rentable. Mais Mark Zuckerberg s’est enfermé dans cette certitude et comme derrière la fausse modestie de son message de ce 9 novembre il reste persuadé d’être un génie de l’innovation, rien ne l’arrêtera.
Cependant, pour financer cette fuite en avant, Mark Zuckerberg a besoin d’encore plus d’argent. Il doit donc à tout prix faire remonter le prix de l’action et améliorer sa rentabilité. D’où son retour aux bonnes vieilles méthodes des entreprises capitalistes classiques : le licenciement massif.
Cela permet d’envoyer un message aux marchés financiers (l’action Meta a gagné près de 7 % à l’annonce), d’espérer améliorer la productivité (ce qui reste à constater) et d’obtenir la paix sociale en interne. Malgré la reconnaissance de son erreur, une vague de licenciements empêche toute vraie contestation de la stratégie de Mark Zuckerberg. Mais la success story a bel et bien du plomb dans l’aile. La réalité brute, c’est que les emplois des 11 000 licenciés viendront financer en partie les lubies de leur milliardaire de patron.
Meta est emblématique des difficultés actuelles du secteur de la technologie. Les déboires de Twitter après son rachat par Elon Musk en sont une autre. En s’endettant massivement pour racheter le réseau social, le fondateur de Tesla exige immédiatement qu’il devienne rentable. Pour cela, il joue sur l’utilisation de la rente de situation (par le paiement des usages) et sur des coupes dans les effectifs.
Sauf que, là aussi, comme chez Meta, la réalité économique le rattrape. Les revenus publicitaires sont sous pression et la capacité de Twitter à imposer des prix pour ses services est mise en doute par la situation économique des ménages. C’est donc sans doute la fin d’une époque pour les grands groupes technologiques. Même le chinois TikTok a annoncé ce 9 novembre une baisse de 20 % de son objectif de chiffre d’affaires pour 2022. L’époque de la croissance semble se clore.
La crise du secteur technologique est un point important de la crise polymorphe que connaît l’économie mondiale actuellement. Pendant des années, ce secteur a apporté une illusion de croissance, très mal répartie au reste. Il subit le contrecoup de l’inflation et du changement de ton monétaire. Mais les conséquences de sa propre crise ne seront pas négligeables. Privé de croissance, le secteur va tenter de compenser par de la prédation et de la rente. Mais il va aussi connaître inévitablement une recomposition dont les conséquences sont difficiles à estimer en termes macroéconomiques. En tout cas, l’illusion de la croissance « digitale » semble bel et bien appartenir au passé.
Romaric Godin
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