Tiré de La Libre (Belgique).
A la fin de la semaine passée ont eu lieu à Washington les annuelles rencontres de printemps tenues conjointement par le FMI et la Banque mondiale. La nouvelle crise de la dette qui se profile pour les pays du Sud, où le Mozambique est le premier concerné, était l’un des principaux points traités.
En effet, en 2013, des membres du gouvernement mozambicain ont illégalement contracté des prêts au nom de trois entreprises publiques pour un montant de deux milliards de dollars, illégalité dont les créanciers avaient parfaitement connaissance. Après que le gouvernement a officiellement déclaré le défaut de paiement pour ces prêts, le pays se retrouve en proie aux fonds vautours.
Profitant de circonstances globalement favorables pour les pays exportateurs de matières premières, la situation macroéconomique de nombreux pays d’Afrique subsaharienne s’était redressée ces dernières années, avec en point de mire une recrudescence des emprunts. Cette situation s’est depuis inversée avec la forte baisse des cours pétroliers, la hausse des taux d’intérêt, Réserve fédérale des États-Unis en tête, et l’effondrement du niveau de plusieurs devises africaines. Le Mozambique, perçu par certains comme le « miracle » de la région, n’échappe pas à ce contexte qui n’est pas sans rappeler celui de la crise de la dette qui a éclaté au début des années 1980.
Entachés d’illégalité
L’une des conséquences principales est une progression importante du stock de la dette des pays de la région, avec un doublement de celui-ci pour le Mozambique entre 2010 et 2015, passant de 4 130 milliards de dollars à plus de 10 000 milliards de dollars. Parmi les prêts contractés depuis 2013, au moins trois sont entachés d’illégalité. EMATUM, ProIndicus et MAM, trois entreprises publiques, ont souscrit auprès de Crédit suisse et de la banque russe VTB Capital plus de 2 milliards de dollars de prêts, prêts jamais validés par le Parlement mozambicain, seule instance compétente pour garantir des emprunts d’Etat. Notons qu’en qualité de créanciers, les banques ont une obligation de vigilance de validité des prêts et ne sauraient donc réclamer des dettes contractées illégalement.
Contractés pour l’achat de bateaux destinés à la pêche au thon auprès des chantiers navals des Constructions mécaniques de Normandie, ces prêts ont en réalité principalement servi à l’achat de matériel militaire. Lorsque ces prêts illégaux et dissimulés ont été révélés au grand jour en avril 2016, après que le FMI a alors stoppé ses financements à destination de ce pays à faible revenu où 54 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, l’agence de notation Standard&Poor’s a abaissé la note de la dette souveraine jusqu’à SD/D, soit la plus basse possible (signifiant en défaut ou forte probabilité de défaut).
2 000 % de rendement
Le gouvernement mozambicain a alors annoncé qu’il ne serait pas en mesure de rembourser ses créanciers et est rentré partiellement en défaut de paiement en janvier 2017 en raison de l’insoutenabilité de sa dette. Entre-temps, la responsabilité du Crédit suisse et de VTB étant engagée, ces derniers ont revendu sur le marché secondaire les obligations qu’ils détenaient sur les sociétés EMATUM, ProIndicus et MAM. Bien que le FMI, de par ses responsabilités, aurait dû connaître cette situation, il a exigé a posteriori un audit pour faire la lumière sur la dette extérieure du Mozambique.
En parallèle, le gouvernement mozambicain tente, lui, de négocier le remboursement de ces prêts, pourtant illégaux, auprès des nouveaux détenteurs de ces obligations. Nous y retrouvons le très influent BlackRock, un des plus grands fonds d’investissement au monde notamment impliqué dans de nombreuses opérations de rachat de dettes en Espagne ou au Portugal pour ne citer qu’eux, mais d’autres fonds vautours pourraient également être partie prenante.
Les fonds vautours sont des fonds d’investissements qui rachètent à très bas prix – sur le marché secondaire – la dette d’Etats en difficulté à une fraction de sa valeur d’origine, pour ensuite en réclamer le paiement à 100 %, majoré d’intérêts et de pénalités. Pour ce faire, ils les attaquent devant des tribunaux particulièrement protecteurs des intérêts des créanciers. Les profits qu’ils engrangent représentent en moyenne 3 à 20 fois leur investissement, soit des rendements de 300 % à 2 000 % réalisés au détriment des populations qui payent la note d’une dette dont ils n’ont pas vu l’utilité. Les obligations initialement détenues par le Crédit suisse et VTB ayant été contractées sous la loi britannique, le Mozambique se retrouve d’autant plus en danger.
La Belgique pionnière
Tandis qu’une trentaine d’organisations nationales et internationales se mobilisent actuellement pour légitimement demander l’annulation de ces dettes illégales, il est nécessaire que l’ensemble des pays, dont le Mozambique, adopte des lois pour contrer l’action spéculative et néfaste de ces fonds procéduriers. La Belgique est pionnière en la matière après voir adopté le 12 juin 2015 une loi permettant de lutter contre les fonds vautours. Notamment recommandée par l’Onu, elle permet de limiter le remboursement des fonds vautours à la hauteur de la valeur des créances qu’ils ont rachetées. Afin de dissuader d’autres Etats d’adopter des législations similaires, cette loi est aujourd’hui attaquée devant la Cour constitutionnelle belge par NML Capital, un fonds vautour domicilié dans les îles Caïmans appartenant au milliardaire Paul Singer connu pour avoir saisi l’argent belge de la coopération au développement qui était initialement destinée à la population du Congo-Brazzaville.
Pour compléter cette indispensable action, le CADTM recommande, contrairement à celui commandité actuellement par le FMI, un audit intégral de la dette mozambicaine, indépendant des créanciers et entrepris par les Mozambicain(e) s afin de procéder à la répudiation de l’ensemble des dettes illégales, illégitimes et odieuses du pays. L’audit permet, en effet, de démontrer l’origine frauduleuse et illégitime des dettes rachetées par les fonds vautours.
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