Traditionnellement, les organisations de coopération internationale ont axé l’essentiel de leurs énergies et ressources vers le Sud. C’est à dire vers le support à des groupes partenaires au Sud qui exécutaient des projets de développement et faisaient un plaidoyer pour des enjeux de justice sociale dans leurs pays. Bien évidemment, une partie non négligeable, mais tout de même marginale dans le contexte, des ressources de ces groupes au Canada était aussi axée vers un plaidoyer social ici. Ce plaidoyer visait et vise encore à encourager les autorités ici à prendre des mesures, parfois à condamner des positions au Sud, parfois à faire des changements de politiques ou législatifs ici qui auront un impact au Sud. Mais tout de même, il faut le dire, les organisations de coopération internationale au Nord ont minimisé ce travail par rapport à leur « réelle » mission dirigée en majorité vers le Sud.
Dans les dernières années, les autorités canadiennes, le gouvernement Harper en tête, ont tout fait pour minimiser davantage le travail de solidarité vers le Sud et encore plus le travail de plaidoyer au Nord. Nous avons vu l’ACDI, par exemple, faire pression sur plusieurs organisations qui avaient osé prendre des position politiques différentes de celles des positions politiques canadiennes en les menaçant de coupures ou effectivement en effectuant ces coupures. On se rappellera des cas très médiatisés des organisations Kairos, Alternatives, le Conseil canadien de la coopération internationale et d’autres comme Droit et démocratie qui ont vu leurs programmes sérieusement affectés à cause de positions politiques qu’elles avaient prises ici.
Depuis le 2 mai dernier, le gouvernement conservateur est majoritaire. Évidemment, une réflexion importante s’impose au niveau de toute la société civile canadienne quant à son positionnement face à cette nouvelle réalité politique. Mais davantage pour les organisations de coopération internationale, c’est une redéfinition de la notion même de solidarité qui s’impose. Car au delà des politiques de l’ACDI et du gouvernement Harper lui-même qui affectent gravement le travail de coopération internationale en diminuant de façon dramatique les ressources disponibles, la période qui s’ouvre maintenant en est une où nous devons accepter de revoir le rôle de nos organisations de solidarité ici et à l’international.
Les forces réactionnaires libérées
Cette période qui s’ouvre démontre déjà clairement, après à peine quelques semaines de pouvoir majoritaire conservateur, que les portes sont toutes grandes ouvertes aux forces réactionnaires et réformistes canadiennes lesquelles exigent maintenant de mettre de l’avant leurs agendas inacceptables, tant pour les canadiens que pour les sociétés au Sud. L’exemple de Développement et paix où nous voyons des églises de droites menacer les partenariats que ce groupe a établi avec différentes organisations au Sud depuis des décennies et finalement menacer l’existence même de l’organisation , le démontre clairement. Les nouvelles et inimaginables attaques judiciaires, contre le projet de Bateau pour Gaza, ses organisateurs canadiens et la fédération Alternatives Internationale démontrent clairement cette nouvelle « liberté » que ce plaidoyer ressent maintenant au Canada.
Plus tôt cette semaine, le lobby sioniste canadien a rapidement fait fléchir Jack Layton et son Nouveau parti démocratique quant à son appui au projet citoyen de Bateau pour Gaza. Nous assistons donc à un scénario surréaliste il y a quelques mois encore où des organisations de solidarité canadiennes se font poursuivre en justice et sont littéralement accusées d’avoir comploté pour bombarder Israël alors qu’elles exercent le droit à la solidarité des citoyens de ce pays en accord avec les résolutions internationales des Nations Unies desquels le Canada est membre !
Ce n’est que le début
Les prochaines années verront ces situations se multiplier. Plusieurs « acquis sociaux » ainsi que nos prises de position politique, quelles qu’elles soient, sur des questions comme l’avortement ou encore les changements climatiques ou d’autres, seront clairement et directement attaquées. Les organisations sociales au Canada et les organisations de coopération internationale seront attaquées pour ces raisons. Pour diminuer nos capacités effectives d’appuyer nos organisations partenaires au Sud mais surtout pour réduire nos capacités de mobiliser ici des citoyens canadiens et donc de jouer un rôle de plaidoyer social ici au Canada qui pourrait ultimement « affaiblir » les positions réformistes du gouvernement Harper et de ses constituantes les plus radicales.
En bref, nous sommes en guerre. Parce qu’on nous l’a déclaré. Et tous ceux qui préféreraient refuser d’en faire partie n’en auront probablement pas le luxe. ..
On a vu dans les derniers jour un NPD déjà apeuré, reculer sur ses positions par rapport à la Flottille de la paix vers Gaza. Jack Layton a dit : ce n’est pas la position de notre parti, je laisserai les membres de notre causus individuellement prendre les décisions qu’ils jugent appropriées. Cette décision que certains appelleront un « abandon » n’est possible que dans un contexte où M. Layton et son parti ne se sentent pas suffisamment d’appuis dans la société civile pour prendre une position solide, progressiste et courageuse qu’ils pourraient défendre dans le parlement. C’est donc en bonne partie de notre faute !!
Nos organisations doivent créer un rapport de force important, sans doute extraparlementaire, en opposition aux politiques du gouvernement Harper et en appui bien évidemment aux seuls qui sont en mesure de les faire valoir au niveau du parlement et du gouvernement canadien, c’est à dire le NPD.
La solidarité en question
En janvier dernier, le Conseil International du Forum social mondial tenait sa rencontre suite au Forum, de Dakar et proposait pour la première fois de tenir le prochain FSM dans un pays du Nord. On proposait même que celui-ci se tienne à Montréal.
La logique politique dernière cette proposition visait à ce que les mouvements sociaux au Sud se solidarisent avec ces organisations des sociétés civiles du Nord en lutte contre la radicalisation des gouvernemenst au Nord alors que ceux du Sud, globalement, sont à l’inverse dans un processus de « progressisation », en Amérique latine notamment, où sont élus des formations de gauche. Récemment, à Paris, ce même Conseil International, dans le contexte des révolutions dans le monde arabe, a choisi de prioriser la tenue du prochain FSM de 2013 dans la région du Maghreb/Mashrek. Cette décision ne fut pas prise avec l’objectif d’écarter les pays du Nord au contraire, mais bien évidemment compte tenu des réalités là-bas.
Ce quil est important de retenir dans cette proposition est la notion de solidarité qui n’est plus celle que nous mettions traditionnellement de l’avant jusqu’ici. Les forums sociaux disent : Il est maintenant temps pour les mouvements sociaux du Sud d’être solidaires avec les groupes au Nord, en lutte. Il disent aussi : « les luttes actuelles au Nord sont significatives dans le cadre des combats globaux de la société civile globale. Elles ont un impact non seulement au Nord, mais aussi au Sud ! » C’est un appel clair !
Dans ce contexte, notre rôle « solidaire » doit être redéfini avec une vision de solidarité avec les luttes locales ici qui ont des impacts extrêmement négatifs actuellement au Sud. Le rôle du Canada en guerre en Afghanistan et en Lybie, le rôle du Canada contre le protocole Kyoto et toutes avancées au niveau de la question des changements climatiques, le rôle négatif du Canada dans le cadre de la politique face à Israël et combien d’autres exemples, ont des impacts extrêmement négatifs au Sud. Les mouvements sociaux au Sud nous demandent d’être conséquents et donc de combattre ces politiques ici, dans le cadre de notre travail de solidarité avec les organisations au Sud qui proposent des projets, des campagnes internationales importantes pour changer les choses dans leurs pays, et globalement, mais qui pourront difficilement aboutir si nous ne sommes pas au premier front ici au Canada.
Pour forum social Québec, Canada, Premières Nations
La proposition pour Montréal de tenir le FSM de 2013 est présentement sur la glace. Une décision finale doit être prise à Dacca, au Bangladesh, lors de la prochaine rencontre du C.I. En novembre prochain. Tout indique, à moins d’un revirement de situation important ou à moins de crises encore plus importantes en Tunisie et/ou en Égypte, que le prochain FSM se tiendra dans cette région.
Le processus qui fut entamé ici en avril dernier incluant des rencontres notamment avec plusieurs syndicats et organisations canadiennes et qui s’est poursuivi par des rencontres en mai avec plusieurs organisations de la société civile québécoise ne doit pas, ne peut pas, être relégué aux oubliettes. Les organisations de coopération internationale doivent reconsidérer leurs approches dans une vision où elles seront ici plus actives sur les politiques canadiennes. Il nous faut, avec tous les autres, envisager la tenue d’un exercice important, peut être éventuellement un Forum social canadien, ou un Forum Québec/Canada/Premières nations, qui aura pour impact de réunir des dizaines de milliers de militants progressistes et de citoyens canadiens, québécois et autochtones qui souhaitent changer les choses pour développer cette opposition extraparlementaire nécessaire pour appuyer les progressistes à Ottawa, pour contrer les politiques du gouvernement Harper et surtout pour proposer NOTRE vision de la société et du monde.
Alternatives tient ses 17e Journées alternatives les 19, 20 et 21 août sur le site enchanteur du Camp Papillon de St-Alphonse de Rodriguez et sous le thème « À l’heure des révolutions face au néolibéralisme ». En référence au printemps arabe qui a marqué le début de la présente année, ce thème cherche à souligner les nouveaux développements dans la résistance au néolibéralisme. À l’heure des révolutions en marche et en devenir, les Journées alternatives viseront à définir les rôles pour les mouvements d’ici dans les luttes locales et globales en faveur de la justice sociale et des alternatives écologiques. Le tout dernier panel des JA2011 s’intitule « Les mouvements sociaux devant la nouvelle majorité conservatrice ».
http://www.alternatives.ca/agenda/les-journees-alternatives-2011