Édition du 12 novembre 2024

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La santé malade du néolibéralisme et du colonialisme une-panser-la-sante-mondiale

Dans son édito, Inégalités sanitaires, inegalites-sanitaires-alternatives-sud-panser-la-sante-mondiale/, publié avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse, Cédric Leterme souligne les « déterminants sociaux, politiques et économiques » de la santé. Il parle des inégalités face au risque de maladie et des inégalités dans l’accès aux soins de santé.

Tiré de Entre les lignes et les mots

L’auteur discute de l’impact des conditions de vie, des maladies infectieuses, des maladies « de la pauvreté et du sous-développement », de la vulnérabilité face à l’apparition de nouvelles maladies infectieuses, des effets de la « restauration rapide mondialisée » ou de l’industrie du tabac, de la santé qui ne peut être définie uniquement « comme une absence de maladie », d’accès aux soins de santé, du manque d’infrastructures et de ressources sanitaires (dont le manque de personnel), des pénuries construites par les politiques néolibérales dans les pays du Nord et de leur compensation partielle par les migrations de personnels qualifiés sous payés, des inégalités institutionnelles et politiques, de la mobilisation croissante des technologies numériques…

Cédric Leterme souligne que « l’accès aux soins de santé est également déterminé par la position que l’on occupe au sein de l’économie politique internationale de santé ». L’ordre sanitaire mondial (« néocolonial ») induit un accès très différencié aux vaccins. Sans oublier que la médecine dite moderne s’est développée « en tant qu’expression directe de l’impérialisme occidental » en disloquant les médecines indigènes.

L’auteur parle de solutions et d’échelles d’action variées qui seront développées dans les différents articles, de la reconnaissance de la santé « comme un droit fondamental garanti par l’Etat, avec deux corollaires : le refus de la marchandisation et un financement public à la hauteur des enjeux », de l’importance de la prévention, de la prise en considération des « conditions sociales, économiques , culturelles et environnementales des patient·es », des facteurs internationaux trop négligés, « les cures d’austérité et autres plans d’ajustement structurel infligés par les institutions financières internationales aux pays du Sud endettés se sont traduits systématiquement par une détérioration des indicateurs de santé publique », de l’OMS, de la santé comme « un droit fondamental constitutif de la dignité humaine », de décolonisation et de démocratisation.

Il conclut sur la (re)politisation des enjeux sanitaires, la nécessité de se départir d’une vision étroitement humanitaire de la santé, « Car dans le pire, la santé du Sud n’est perçue qu’à travers le prisme des risques (et plus rarement des avantages) qu’elle représente pour le Nord ».

Sommaire :
Points de vue du sud
Mauricio Lima Barreto : Les inégalités en matière de santé : une perspective mondiale
Germán Velásquez, Nirmalya Syam : Nouveau traité sur la riposte aux pandémies : quelle équité nord-sud ?
Geneviève Gencianos : Personnel sanitaire migrant : en première ligne face à la pandémie
Dena Arjan Kirpalani, Meg Davis, Tammam Aloudat : Un système de santé mondiale à décoloniser
Amérique latine
Evangelina Martich : Les inégalités sanitaires latino-américaines accentuées par la pandémie
Celeste O’Higgins, Jeremías Marty : Réussites, limites et potentialités du système de santé cubain
Asie
Rajiv K. Mishra : Corps, biométrie et soins de santé en Inde
Shalmali Guttal : Ce que dit la pandémie de covid des inégalités sanitaires en Asie
GRAIN : L’élevage industriel sous l’emprise des pandémies en série
Afrique
Yousuf Vawda : Propriété intellectuelle et covid : un défi décolonial pour l’Afrique
Collectif d’auteur·trices de l’African Academy of Sciences : Souveraineté sanitaire en Afrique : l’enjeu des sciences et de l’innovation

J’ai particulièrement été intéressé par l’article de l’ong Grain, « L’élevage industriel sous l’emprise des pandémies en série », lelevage-industriel-sous-lemprise-des-pandemies-en-serie/, publié avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse.
« Les multinationales de la viande industrielle créent les conditions de pandémies, telle celle de la peste porcine qui a entraîné la mort de millions de porcs, et d’autres maladies qui peuvent se propager aux humains. Or, les solutions préconisées pour y faire face pénalisent les petites exploitations et permettent aux grandes entreprises de tirer profit de ces crises sanitaires et de renforcer leur contrôle sur l’approvisionnement mondial en viande ».
L’article traite des foyers de peste porcine africaine, de l’utilisation de cette pandémie par les multinationales pour consolider leur domination, de l’urgence à adopter une nouvelle approche des maladies animales et à supprimer la principale source et principal vecteur de pathogènes mortels « à savoir les élevages industriels et les chaînes d’approvisionnement mondiales des multinationales de la viande ».

Les rédacteurs/rédactrices abordent les élevages de porcs au Vietnam, la trajectoire géographique de cette épidémie, la pandémie en Chine, les fermes porcines industrielles, l’incapacité à gérer la pollution et les risques d’épidémie, les abattages massifs d’animaux, la place des aliments industriels comme vecteur de propagation de la maladie, la diffusion de la maladie en Asie, les bénéfices qu’en tirent les multinationales de la viande.

L’article se termine par des préconisations pour faire face à la peste porcine africaine (PPA) et aux maladies animales. Les rédacteurs/rédactrices rappellent que si les multinationales de la viande n’ont pas créé la PPA, « elles ont créé les conditions d’une pandémie mondiale de la maladie qui a entraîné la mort de centaines de millions de porcs au cours de la dernière décennie ». Iels parlent de milliers de porcs génétiquement uniformes, des profits des entreprises pharmaceutiques, de biosécurité, des petites entreprises poussées à se « moderniser », des races locales d’animaux, de connaissances traditionnelles, d’approches adaptées aux marchés locaux et du refus des multinationales.

Quelques éléments choisis subjectivement dans d’autres articles.

Mauricio Lima Barreto nous rappelle que : « L’amélioration globale de certains indicateurs de la situation sanitaire dans le monde – comme l’espérance de vie – cache mal les inégalités abyssales qui subsistent ou s’accroissent entre les pays et entre les différents groupes sociaux en leur sein ». L’auteur parle de clivages « résultat de processus adaptatifs, géographiques et climatiques, tandis que d’autres découlent de processus historiques, sociaux, économiques et culturels », de relations de pouvoir et de possessions de biens et de richesses, de conditions de santé inégales, d’accès inéquitable aux différentes ressources du système sanitaire, « Cet article a pour but de présenter les inégalités sanitaires comme un problème mondial qui touche les populations des pays pauvres, mais aussi celles des pays riches ».

Il discute des déterminants de la santé, des sciences biomédicales, des services de santé, du rôle de l’alimentation et de la nutrition, des déterminants sociaux de la santé et de l’OMS, de la culpabilisation des individus dans la perspective néolibérale minimisant « la vision de la société comme un phénomène social et collectif », des incidences de l’urbanisation, des effets des phénomènes migratoires, de la déficience d’accès à une alimentation sûre et nutritive, des maladies infectieuses principales causes de décès, des diverses formes de violence.

«  Les inégalités sanitaires illustrent l’une des facettes des inégalités qui prévalent parmi les êtres humains. Elles se manifestent à travers les écarts considérables d’espérance de vie ou le poids de la maladie et de la souffrance ». L’auteur insiste, à très juste titre, sur déterminants sociaux, « nous ne devons plus simplement considérer la santé comme une question biomédicale et technique »…

«  Si l’épidémie de covid a démontré la nécessité de mettre en place une couverture sanitaire universelle, elles a aussi révélé les disparités entre pays d’immigration et d’émigration, les premiers bénéficiant d’une main-d’oeuvre migrante bon marché, les seconds se voyant privés de ce personnel qualifié ». Geneviève Gencianos examine la migration des personnels de santé et ses effets sur une « approche axée sur les droits en matière de couverture sanitaire universelle, les droits des travailleur·euses, et la gouvernance de la migration du travail  ». Elle souligne que le personnel migrant de première ligne, en très grande majorité des femmes, est à la fois essentiel et invisibilisé, que ces personnes ont été les plus exposées au virus et les plus susceptibles d’être infectées. L’autrice aborde aussi le sous-financement des services de santé publique, la privatisation et la marchandisation, les conséquences du recrutement international de personnel formé. Elle termine son article sur la reconnaissance et les droits pour l’ensemble du personnel de la santé…

Tammam Aloudat , Dena Arjan Kirpalani et Meg Davis discutent de la « colonialité de la santé mondiale », de méthodes et d’épistémologies, de la subordination de la santé de certaines populations à la politique internationale des Etats puissants, de la nécessité d’associer «  les problématiques de santé mondiale à d’autres questions de justice sociale telle que la justice climatique, raciale ou encore épistémique », sans oublier les effets de la crise climatique allant « intensifier l’endémicité des maladies infectieuses et augmenter la faim dans le monde »…

Dans la partie sur l’Amérique dite latine, sont abordées l’accroissement des inégalités sanitaires, les couts pour les personnes, les déterminants sociaux de la santé, les difficultés d’accès à la contraception, la mortalité liée à l’interdiction de l’avortement, les disparités d’espérance de vie en particulier pour les enfants afrodescendants et indigènes ; les réussites et les limites du système de santé cubain, l’accès à la santé comme droit universel, la priorité mise sur la prévention, les polycliniques, les évaluations socio-environnementales. Il est relativement facile de dessiner les potentialités de cette autre façon de penser la santé, de façon démocratique et sans la bureaucratie castriste…

Du coté de l’Asie, sont analysés les technologies numériques et d’identification biométrique en Inde, « Elle donne la priorité aux technologies du corps, à travers les systèmes d’identifications biométriques numériques », les effets de ces techno-politiques, la priorité donnée aux infrastructures technologiques et non aux infrastructures sanitaires ; la réalité des inégalités et les politiques des régimes autoritaires durant la pandémie, les facteurs de comorbidités, les personnes touchées par les règles de confinement et leurs pertes de revenus, les conséquences en terme de production et de distribution alimentaire, la hausse du chômage et du sous-emploi, l’adoption de lois favorables aux entreprises, l’érosion des droits humains, la consolidation des régimes autoritaires, les mobilisations sociales, les revendications autour de la souveraineté alimentaire…

Yousuf Vawda traite de la propriété intellectuelle et de décolonisation, des secrets et des licences, de la très faible capacité de production de vaccins, « les détenteurs de droits de propriété intellectuelle (DPI) ne sont pas vraiment contraints de coopérer ». L’exemple du covid montre le caractère meurtrier de la marchandisation de la santé et des droits de propriété intellectuelle. Les vaccins comme les médicaments devraient être considérés comme des biens communs…

En complément possible :

Communiqué du Collectif Brevets sur les vaccins, stop. Réquisition !
Pour la levée de la propriété intellectuelle sur les vaccins, tests & traitements anti-covid, maintenant !
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/10/13/communique-du-collectif-brevets-sur-les-vaccins-stop-requisition/
Pour la levée des brevets sur les vaccins anti-covid, mobilisons-nous ensemble lors de la réunion de l’OMC et du G20
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/09/25/pour-la-levee-des-brevets-sur-les-vaccins-anti-covid-mobilisons-nous-ensemble-lors-de-la-reunion-de-lomc-et-du-g20/
Mettons fin au système de brevets privés ! Pour une industrie pharmaceutique sous contrôle social et un système de vaccination public, universel et gratuit
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/05/25/mettons-fin-au-systeme-de-brevets-prives-pour-une-industrie-pharmaceutique-sous-controle-social-et-un-systeme-de-vaccination-public-universel-et-gratuit/
Brevets sur les vaccins anti-covid, stop. Réquisition !
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/02/10/brevets-sur-les-vaccins-anti-covid-stop-requisition/

Le numéro se termine par un texte d’un collectif d’auteurs et d’autrices de l’African Academy of Sciences sur la souveraineté sanitaire en Afrique. Iels discutent, entre autres, de la prévalence élevée de maladies transmissibles (« presque exclusives au continent »), des maladies infectieuse évitables, des causes de morbidité et de mortalité, du succès de la campagne d’éradication de la variole, du sous-financement de la santé publique et de la recherche et développement, de la pénurie de personnel qualifié, des déterminants sociaux de la santé et des infrastructures sous-développées, de l’irresponsabilité des gouvernements, des opportunités technologiques et scientifique. Iels proposent de redéfinir la santé, de créer des obligations constitutionnelles sur le droit à la santé et sur les politiques de recherche et d’innovation, de créer des pôles de production continentaux, de lutter contre la perte de biodiversité…

Alternatives Sud : Panser la santé mondiale
CentreTricontinental, Editions Syllepse, Louvain-la-neuve, Paris 2022, 180 pages, 19 euros
https://www.syllepse.net/panser-la-sante-mondiale-_r_22_i_904.html
Didier Epsztajn

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