Le prochain schisme politique
En septembre, quelques jours avant les tremblements de terre, l’Institut National Electoral (INE) [1] a déclaré le début formel des procédures des nombreuses campagnes électorales de 2018, principalement celle de la campagne pour la présidence de la République. Pour sa part, le gouvernement de Peña Nieto a six ans et il est entré dans sa dernière année avec un rapport annuel annoncé par des millions de publicités dans les publications, à la radio, à la télévision et dans les cinémas dépensant une orgie de milliards de pesos pour promouvoir l’image présidentielle comme cela n’avait littéralement jamais été vu, ce qui a ajouté aux 34 milliards déjà consacrés à la publicité dans ses quatre premières années de gouvernement. Comme si la publicité de ce gouvernemenrt était dans une relation inversement proportionnelle à sa popularité et à l’approbation citoyenne.
La démocratie mexicaine décadente (bourgeoise) est reconnue par ses scandales politiques pathétiques. On a finalement annoncé ce mois-ci la formation d’un Front Citoyen avec les deux partis systémiques traditionnels de l’opposition, le PAN à droite et le PRD sur la « gauche » (insister, systémique), à laquelle se joint le petit mouvement citoyen (MC). Une importante coalition opportuniste visant à attirer tous les électeurs possibles afin de réaliser en 2018 un résultat électoral qui dépasse le tiers du total des votes ce qui a correspondu à ceux du PRI lors des dernières élections présidentielles et qui peut lui permettre d’accéder au pouvoir. Les partis bourgeois se préparent à ce qu’aux élections présidentielles de 2018 un PRI affaibli et discrédité aille à sa perte. Mais d’autres secousses ont été ressenties.
Les tremblements de terre ont déjà été des facteurs clés de changements politiques. Cela a été le cas en 1985 pour les plans politiques des partis de l’establishment bourgeois dominant. Les conséquences du tremblement de terre de cette année-là ont favorisé la maturation de conséquences qui se sont rapidement concrétisées : en 1987, la première rupture importante du PRI a eu lieu avec l’émergence du courant démocratique de Cuauhtémoc Cardenas et Porfirio Muñoz Ledo qui s’unissait à d’autres partis et courants, y compris l’ancien Parti communiste et d’autres groupes "révolutionnaires" et réformistes de toutes sortes qui ont participé aux élections présidentielles de 1988, faisant subir au PRI une grande défaite politique (une élection probablement marquée par une fraude au niveau du comptage des voix). De cette expérience a émergé le Parti de la Révolution Démocratique (PRD) et le début de sa trajectoire d’intégration au système dominant comme flanc "gauche" sur un chemin qui a traversé plusieurs moments : en 1997, la victoire des élections pour la direction du gouvernement du District fédéral, après la victoire dans plusieurs états et une opposition croissante avec son équipe de députés jusqu’à l’aboutissement d’un virage complet à droite en 2017 d’abord avec son alliance avec le PRI de Peña Nieto dans le Pacte pour le Mexique et maintenant avec son alliance avec le PAN, le parti conservateur traditionnel, dans le Front Citoyen précité. Un cycle complet est terminé et nous sommes au seuil d’une nouvelle politique nationale ouverte par de nouvelles secousses telluriques.
Il n’est pas possible de croire qu’une véritable démocratie (même bourgeoise) ait émergé du ventre d’un régime de parti unique ce qu’était de fait le bonapartisme mexicain depuis plus de six décennies. La transition « démocratique » des années 2000 ne signifiait pas l’émergence d’un système véritablement démocratique et transparent ayant des racines populaires profondes, mais plutôt la poursuite des mêmes pratiques, maintenant menée par un PAN cynique et aussi corrompu que le PRI de Fox et Calderón. Les sommets dirigeants ont simplement étendu leur espace aux capitalistes des secteurs conservateurs exclus du pouvoir. Mais lorsque le PRI est revenu, le gouvernement de Peña Nieto a épuisé ses possibilités, il ne peut que gagner avec des fraudes gigantesques et avec la complicité d’autres partis "d’opposition" (en particulier le PAN et le PRD), comme l’a démontré le Pacte du Mexique .
Après 1985, le pays a été témoin de la mise en œuvre de la stratégie néolibérale qui a conduit à la création de l’Accord de libre-échange nord-américain entre les États-Unis, le Canada et le Mexique. L’insurrection de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale en 1994 a été la réaction paysanne contre ce traité. Jusqu’à présent, 32 ans se sont écoulés depuis le 19 septembre 1985, trois décennies qui ont radicalement transformé le pays. Aujourd’hui, l’ALENA est également contestée, non seulement par les forces populaires, mais par le propre locataire de la Maison Blanche.
Les tremblements de terre actuels ne prendront pas des années pour avoir un impact sur le monde de la caste politique dominante et sur la lutte politique en général. Les deux mandats de six ans du PAN et, surtout, le mandat actuel du PRI de Peña Nieto avec sa corruption gigantesque, avec la violence généralisée, avec une stagnation économique, avec sa servilité envers Washington, ont leurs propres noms : Ayotzinapa, Gasolinazo, "réformes structurelles", des centaines de disparus dû à la fois à la violence criminelle des cartels et de l’État, à la fraude électorale et à une impunité proverbiale. Un sentiment répandu de rejet du régime politique, de ses partis et de ses représentants est notoire alors que dans toutes les manifestations ne tarde pas à se faire entendre le cri de « Dehors Peña ! » C’est sur ce sol fertilisé par des catastrophes colossales que Mère Nature a poussé des centaines de milliers, des millions de Mexicaines et Mexicains à penser plus politiquement. Et avec le retour, après six ans de mandat, des élections présidentielles l’année prochaine, des signes indiquent que cette réflexion sera plus critique que jamais.
Le symptôme indéniable de cette situation de harcèlement de la conscience nationale par rapport au système politique actuel s’est manifesté sous une forme évidente ces derniers jours. La question ne s’est pas faire attendre : où sont les partis ? Même les journaux les plus conservateurs comme El Universal l’ont écrit dans leurs pages éditoriales et ils ont signalé l’absence des partis dans les travaux de sauvetage et dans la mobilisation pour la reconstruction. Et l’autre question que des millions de personnes posaient même avant les tremblements de terre : comment est-il possible que, dans un pays ayant tellement de besoins, il existe un système de partis ayant une abondance presque obscène de ressources que n’ont pas les partis des pays les plus riches ? Et naturellement, en moins de deux jours un million et demi de signatures ont pris d’assaut la plate-forme de mobilisation sociale Change.org, exigeant que la caste politique mexicaine renonce à leurs salaires et à de riches prébendes et les consacre à la reconstruction et au soulagement des victimes. La pression sociale a été formidable et impossible à éviter. Les chefs de parti n’ont pas tardé à réagir pour ne pas à être balayés comme insensibles à la tragédie nationale.
Et puis est venu le spectacle de la rhétorique partisane. AMLO a été le premier à offrir 20 pour cent de ses revenus de Morena pour les victimes. Ensuite, le président du PRI a augmenté l’offre à 25 pour cent des ressources annuelles du parti dans la campagne pour l’année à venir. Trois jours après le tremblement de terre du 19, les trois chefs du Front Citoyen (le PAN, le PRD et le Mouvement Citoyen) ont proposé l’élimination de toutes les ressources de toutes les forces politiques. "Laissez les partis être soutenus par leurs membres et sympathisants", ont-ils déclaré. Lorenzo Córdova, le président de l’Institut National Électoral (INE), après avoir rejeté la proposition comme « légalement infondé », a considéré qu’il existe des mécanismes légaux viables pour que les partis allouent les ressources qu’elles reçoivent de l’État pour soutenir les victimes du tremblement de terre. En bref, la mobilisation massive a dressé un mur de critiques implacables à l’ensemble de l’appareil multimillionnaire qui a érigé le pouvoir de la bourgeoisie pour protéger et préserver ses privilèges politiques. Une démocratie de plus en plus coûteuse et en même temps de moins en moins représentative des besoins et des demandes des gens. L’INE, qui nourrit tous les partis "enregistrés" se retrouve aujourd’hui dans la pire des situation, celle qui préconise un changement politique de dimensions historiques.
Un changement qui, entre autres choses, devra faire face aux nouvelles formes de maintien des partis, car il est évident que les propos des dirigeants actuels des partis "enregistrés" ne se basent pas sur des réflexions démocratiques profondes, mais sur l’opportunisme du moment et sont liés aux secteurs bourgeois, qui sont ceux qui ont les ressources abondantes pour faire des « dons » aux partis. Certes, donner formellement au capital la tâche politique de gouverner le pays n’est pas l’alternative appropriée à la corruption de l’État représentée par l’INE. Il faudra mener à bien l’éducation requise pour une prise de conscience populaire afin de permettre l’implication dans la politique et l’émergence de pouvoirs populaires et prolétaires.
La reconstruction en tant qu’entreprise
Le Mexique est un pays en pleine crise qui doit être reconstruit. Le débat sur la stratégie de la politique d’émergence de la société nationale et de l’économie sera plus que jamais le thème déterminant de l’action politique dans un proche avenir. L’année 2018 sera une année-clé : les discussions, les propositions vont tourner autour de la reconstruction du Mexique : physiquement, politiquement, moralement. Une reconstruction globale qui met fin à la tendance actuelle à la décomposition sociale profonde. Les partis bourgeois dominants et la structure du pouvoir capitaliste ne sont pas les forces et n’ont pas les propositions capables d’entreprendre ces tâches. Le Fonds national pour les catastrophes naturelles (FONDEN) a 6 milliards de pesos, et on ajouterait 3 milliards de plus en 2018. En revanche, les seules ressources des partis pour 2018 totalisent 6,878 milliards de pesos. Les différentes agences spécialisées dans le calcul des dégâts causés par les tremblements de terre, estiment que les coûts des tremblements de terre en septembre se situent entre 4 milliards et 8 milliards de dollars. Le coût de la reconstruction des dégâts des tremblements de terre est plus de dix fois supérieur en moyenne au montant destiné à FONDEN.
Hier, Peña Nieto a organisé une réunion à Los Pinos pour discuter de la question de la reconstruction du pays, sujet qui concentre actuellement l’ordre du jour des discussions et des plans des forces sociales, culturelles et politiques. Qui étaient les invités ? Carlos Slim, Emilio Azcarraga (Televisa), Ricardo Salinas Pliego (TV Azteca), Juan Pablo Castañón (président du Conseil de coordination des milieux des affaires, organisation qui regroupe toutes les organisations d’employeurs du pays) , accompagnés de leurs serviteurs et complices politiques, les gouverneurs du PRI et les gouverneurs du PRD de l’État du Mexique, Oaxaca, Guerrero, Chiapas, Puebla, Morelos et Miguel Angel Mancera, le chef du gouvernement de la ville de Mexico.
Nécessairement, le plan proposé par le pouvoir politique aux véritables maîtres du Mexique comprend les projets et les offres de travaux, de services, de constructions de toutes sortes pour investir leurs capitaux avec de bonnes marges de profit. Bref, la reconstruction du pays en faveur de l’entreprise. Dans ces plans, il n’y a rien sur la réforme fiscale si urgente pour un pays de la dimension du Mexique qui est devenu un véritable paradis pour le grand capital. Il n’y a rien sur la nécessité de refuser le paiement d’une dette extérieure qui prend une part substantielle du budget national. Elle a augmenté de façon exponentielle durant le mandat du gouvernement actuel de Peña. Il n’y a rien sur la réduction des dépenses en armements et infrastructures militaires. On ne parle pas de la suspension du projet pharaonique et destructeur de l’environnement de l’aéroport de Texcoco. Il n’y a pas de plan de travaux publics contre le chômage, travaux nécessités par la reconstruction et la réparation des hôpitaux, des routes et des ponts, des écoles, des bâtiments publics, des églises et, en général, de l’infrastructure endommagée du pays. En revanche, ils connaissaient certainement les propositions budgétaires pour 2018, qui impliquent des attaques contre les programmes prioritaires destinés aux personnes les plus pauvres du pays : Seguro Popular, approvisionnement en lait Liconsa, Prospera, programmes de bourses d’études et d’éducation indigène, entre autres.
Après 1985, à Mexico, la scène principale du tremblement de terre, on a constaté que les bonnes intentions n’étaient pas suffisantes pour empêcher et inverser la tendance de la concentration gigantesque de la ville de Mexico et de la conurbation de l’État du Mexique dont la population s’approche du 30 millions d’habitants, un quart de la population nationale. Cette tendance étonnante à la concentration des services de toutes sortes dans la métropole s’est également révélée être l’une des causes les plus importantes des conséquences terribles du tremblement de terre : des milliers de bâtiments endommagés ou détruits de façon irréparable. La voracité proverbiale du capital immobilier a été nourrie par les gouvernements du PRD (et dans certaines délégations avec la complicité des panistas, comme à Benito Juárez) avec leurs politiques négligentes et corrompues qui ont permis la construction sans réglementation rigoureuse, sans attention à la qualité des matériaux responsables de de toutes sortes constructions mal faites. Ces constructeurs seront-ils en charge de la reconstruction du pays ? Ceux qui construisent des passages express qui s’effondrent ? Les constructeurs mexicains, espagnols et canadiens de la ligne de Métro 12 de Mexico dont les défauts de fabrication ont forcé plusieurs fois à suspendre le service sur de longs tronçons auront-ils des contrats ? Il suffit de citer ces cas pour apprécier les défis à venir.
Vers un Conseil national de la reconstruction
Les tremblements de terre ont creusé le fossé qui s’élargit plus que jamais entre le gouvernement et la société civile, les étudiant-e-s, les femmes qui luttent contre le féminicide et les travailleurs réduits à des salaires de famine. Dans de telles conditions participer à des institutions caduques et en fait moribondes d’une démocratie décadente (bourgeoise) qui connaissent une dérive de plus en plus autoritaire c’est d’agir à l’encontre des masses qui cherchent une alternative au régime politique actuel, qui dépasse le comportement de leurs partis, de leurs dirigeants, de leur idéologie, en plus de leur politique de corruption, de répression, de cynisme et de dévergondage. Cette situation touche les nouvelles forces mobilisées pendant cette crise des tremblements de terre, elle touche le mouvement pour les victimes, elle touche les secteurs de travailleurs de plus en plus exploités et opprimés et elle touche à une jeunesse qui mobilise toutes ses forces et son imagination afin de forger le front révolutionnaire qui marque le passage à une véritable reconstruction du pays : une reconstruction démocratique, égalitaire, indépendante, féministe, internationaliste et socialiste.
Le scénario pour les campagnes électorales de 2018 change considérablement compte tenu des dimensions de ces événements. La campagne présidentielle sera la continuation du pouvoir corrompu, répressif et antipatriotique des partis « enregistrés ». Bientôt le cycle traditionnel de six ans revient pour assurer le maintien du système capitaliste. À cette puissance corrompue, la force populaire de masse annoncée par les mobilisations produites ces jours-ci doit se poser comme un pouvoir renouvelé, insurrectionnel, libertaire, démocratique et indépendant qui mène une stratégie de reconstruction du nouveau Mexique dans des formes socialistes nécessairement anticapitalistes. Les événements actuels annoncent un changement de la tâche politique qui, bien sûr, affecte les objectifs électoraux. Il sera très difficile, une entreprise contre le courant massif de plus en plus puissant, de convaincre les gens que le changement peut venir d’un vote jeté un jour dans les urnes, et de se contenter d’un retrait à la maison pour attendre ce qui vient. La participation aux élections contrôlées par l’INE ne favorisera en rien la cause de l’émancipation populaire.
En 2018, nous devons affronter le pouvoir de la bourgeoisie et de son gouvernement et lui opposer le pouvoir libertaire et indépendant de l’auto-organisation, de l’indépendance prolétarienne et des perspectives internationalistes. La force électorale du Conseil national autochtone soutenu par l’EZLN qui met l’accent sur la candidate féminine Marichuy Petricio ne peut pas éviter cette situation. On s’attend à ce qu’il puisse s’adapter aux nouvelles conditions qui signalent aux forces révolutionnaires leurs tâches de créer une nouvelle alternative de pouvoir indépendante de celle de la bourgeoisie. Le temps s’accélère et les prises de position ne peuvent pas tarder.
La stratégie des forces et des groupes démocratiques et socialistes doit être de se regrouper dans un front d’action qui améliore leur capacité critique dans les forums et les projets conjoints, y compris les organisations. Sa petite taille sera compensée par ses activités indépendantes non-marquées par la corruption et par la violence. Elles ont un énorme potentiel qui représente leur réclamation d’un véritable programme de rupture, révolutionnaire, féministe, écologiste et internationaliste qui peut se concrétiser avec la convocation d’un CONSEIL DE RECONSTRUCTION NATIONALE regroupant toutes les forces, les courants, les syndicats, les organisations qui restent indépendantes et avec la ferme vocation de forger la transformation radicale du Mexique, sa transformation socialiste, la seule alternative qui permettra à nos travailleurs et travailleuses de tous les secteurs exploités et opprimés du pays d’éviter de tomber dans l’abîme de la violence, de la orruption, de la misère et de la dévastation que le régime capitaliste actuel nous promet.
Pendant ce temps, le 26 septembre, les parents des 43 étudiants disparus de l’Ayotzinap, accompagnés par les étudiants et par des milliers de citoyens de la capitale, ont marché comme depuis s trois ans le 26 du mois à Mexico et d’autres villes pour dénoncer que, depuis la disparition des 43, le gouvernement de Peña Nieto en reste à sa version contestée de la « vérité historique », sans offrir au pays toute la vérité sur ce qui s’est passé. Les parents se sont identifiés avec les victimes du tremblement de terre dans tout le pays et ont appelé tous les habitants du Mexique à ne pas baisser les bras et à continuer sans trêve la lutte pour la justice et la dignité.
* Militant de la Ligue d’unité socialiste (LUS) :
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