La présidente Dilma Rousseff et le premier ministre Manmohan Singh ont approfondi l’Alliance stratégique conclue en 2006 avec de nouveaux accords dans les domaines de la coopération scientifique et technologique, biotechnologique, de défense et de projets spatiaux. Le résultat important que la déclaration binationale souligne, c’est que la coopération Sud-Sud promeut une vision partagée de l’évolution de l’ordre international incarné, entre autres, par une préoccupation majeure face à la crise financière et économique internationale. Les deux pays partagent, par exemple, le désir d’occuper un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, l’appui au printemps arabe, une solution juste du conflit israélo-palestinien et la nécessité d’une solution pacifique de la guerre en la Syrie, sans ingérence extérieure.
Sur la base de ces visions communes, le Brésil et l’Inde ont convenu de travailler en étroite collaboration sur les questions stratégiques : l’ingénierie pour la construction de navires de guerre à propulsion nucléaire, la cyberdéfense, les systèmes de défense et le développement et la production d’armements. Les deux pays cherchent à renforcer et à articuler les activités de leurs industries militaires en pleine expansion, et ils ont décidé de le faire de façon aussi autonome que possible des grandes puissances.
L’Inde a une longue histoire de coopération militaire avec la Russie (l’ancienne URSS). Le conflit avec le Pakistan voisin les a conduit à réaliser un bond en avant sur les questions militaires. Depuis 1998, l’Inde est une puissance nucléaire : en 2009, elle est devenue le sixième pays possédant des sous-marins nucléaires (le seul pays qui ne fait pas partie du Conseil de sécurité à posséder de tels sous-marins) et elle a construit son premier porte-avions (elle en a deux autres en provenance de Russie), ce qui fait de sa marine une des plus fortes dans le monde. Elle a récemment décidé d’acheter 126 avions de combat Rafale de la cinquième génération à la compagnie française Dassault, avec la perspective de les fabriquer en Inde et, très probablement, en collaboration avec le Brésil.
Lorsque le gouvernement indien a décidé d’acheter le Rafale, laissant de côté l’offre de l’entreprise américaine Boeing, il réalisait un double engagement : envers l’autonomie de son complexe militaro-industriel qui a diversifié ses sources d’approvisionnement en Israël et qui achète maintenant en France en alliance stratégique avec le Brésil, qui, cette année doit décider de son achat trop tardive du chasseur de cinquième génération. Pourquoi avec le Brésil ? Ces sont les deux pays émergents qui partagent le plus de besoins au niveau militaire.
En 2009, le président Lula a signé un accord stratégique avec la France pour un important transfert de technologie, qui permettra au Brésil de construire le plus grand complexe militaro-industriel du Sud. Au besoin traditionnel de défendre l’Amazonie, s’ajoute une urgence imprévue : la plus importante découverte de pétrole au monde faite dans la dernière décennie, à 8000 mètres de profondeur dans l’océan Atlantique, qui a été nommé Amazonia Azul. Grâce à cet accord, le Brésil produit déjà des hélicoptères militaires à Helibras, une filiale d’Eurocopter, et les prochaines années, des sous-marins fabriqués dans leurs propres chantiers navals seront lancés. Au début de la prochaine décennie, le Brésil achèvera la production de son premier sous-marin nucléaire.
Les réalités géopolitiques de ces deux pays sont très différentes. Depuis son indépendance, l’Inde a du affronter des guerres avec ses voisins chinois et pakistanais. C’est l’une des régions les plus chaudes de la planète, et c’est par l’océan indien que passe une grande partie du commerce du pétrole transitant entre le Moyen-Orient et la Chine. En revanche, le Brésil s’inscrit dans une région moins problématique qui détient la plus faible puissance militaire du monde. Tout cela a changé rapidement avec la dislocation croissante de la géopolitique mondiale et avec la crise énergétique.
Le Brésil n’a pas devant lui les quatre dernières décennies qui ont été nécessaire à l’Inde pour devenir une puissance nucléaire et en construction navale. Il doit faire une avancée similaire d’ici 2030, soit dans la moitié moins de temps. La décision de l’Inde d’acheter 126 Rafale est un parapluie utile pour le Brésil, qui retardera la décision face à la forte pression de Washington. Après sa visite à Barack Obama en avril et le second tour des élections en France, Dilma optera pour l’achat de 36 Rafale, qui seront fabriqués par Embraer (la troisième entreprise aéronautique civile au monde) à partir du sixième appareil. La Force aérienne estime qu’elle aura besoin de 120 appareils dans les décennies qui viennent.
Le ministre de la Défense, M. Celso Amorim, s’est rendu en Inde en février pour définir les détails qui feront du Rafale un avion franco-indien-brésilien, qui sera finalement l’avion de combat des forces armées sud-américaines. La production conjointe du Rafale ne sera qu’une première étape d’une coopération plus large, y compris pour la fabrication de sous-marins nucléaires par ces trois pays, comme l’indique le site d’analyse stratégique européen Dedefensa (Dedefensa.org, 28 mars 2012).
La coopération militaire Sud-Sud révèle la profondeur des réalignements en cours au niveau mondial. Le ministre Antonio Patriota a rappelé à New Delhi que le baron de Rio Branco, le père de la diplomatie brésilienne, au début du XXe siècle, s’appuyait sur son analyse du déclin de l’Angleterre et de la montée des États-Unis afin de promouvoir de nouvelles alliances : Aujourd’hui, le ministre a déclaré lors du sommet (O Globo, Mars 31, 2012) que la coordination des BRICS est de même nature. Pendant ce temps, Amorim a abordé la situation d’urgence et a déclaré que la décision concernant les avions de chasse sera prise dans les trois mois.
(traduction Bernard Rioux)