Édition du 17 décembre 2024

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Livres et revues

La libération des un-e-s est « conditionnée » par la libération des autres

Une remarque préalable, les Etats-Unis (USA) ne sont pas l’Amérique, les Afro-étasunien-ne-s ne sont pas les seul-e-s Afro-américains. Je regrette que dans la gauche d’émancipation l’assimilation des Etats-Unis à la totalité des l’Amérique se poursuive…

Tiré de Entre les lignes, entre les mots.

« Ce livre explore les raisons pour lesquelles le mouvement réuni sous la bannière « Black Lives Matter » a fait son apparition dans un pays dirigé pour la toute première fois par un président noir »

L’extension des luttes et des manifestations depuis le début de la présidence de Donald Trump trouve, entre autres, ses sources dans « Le réveil noir dans l’Amérique d’Obama ». En introduction, Keeanga-Yamahtta Taylor revient sur diverses mobilisations d’Afro-étasunien-ne-s en faisant des va-et-vient entre présent et passé. Cette manière de procéder permet d’ancrer le présent dans le passé, de donner une profondeur historique aux rapports sociaux, de mettre en évidence des continuités et des discontinuités. Il est impossible de comprendre la lutte des habitant-e-s noir-e-s de Ferguson sans la mettre en relation avec l’histoire des USA.

L’autrice aborde, entre autres, « le véritable permis de tuer » délivré « aux hommes et aux femmes en bleu qui patrouillent dans les rues des Etats-Unis », l’impunité des policier-e-s, le contrôle policier intensif, le fonctionnement de la justice, l’objet réel de la « lutte contre la drogue », la sur-incarcération des populations afro-étasunienne (Voir à ce sujet le livre de Michelle Alexander indiqué plus bas)…

Keeanga-Yamahtta Taylor analyse, à très juste titre, les conséquences d’« une société indifférente à la race », de la supposition d’une absence de racisme, les effets délétères de la destruction des moyens institutionnels de combat des discriminations.

Les politiques néolibérales de démantèlement de ce qui est nommé (la formule est discutable) l’Etat providence s’appuie et renforce le mythe de la réussite personnelle, du fantasme de la méritocratie. Chacun-e serait responsable de sa vie, hors de toute prise en compte des rapports sociaux, de l’exploitation et des dominations. Les fonctionnements réels du système social sont invisibilisés.

« Le racisme institutionnel ou structurel, peut-être défini comme l’ensemble des politiques, des dispositifs, des pratiques des institutions publiques et privées qui se traduisent par des taux de pauvreté, d’expulsions, de criminalisation, de maladie et de mortalité chez les Afro-Américains »

La réduction des dépenses publiques, les allégements fiscaux pour les grandes entreprises et les personnes (ressources et patrimoine importants), produisent des niveaux d’inégalité sociale qui a bien quelque chose à voir avec la « classe », le « genre » et la « race ». Les statistiques sont édifiantes, aussi bien dans les écarts entre familles blanches et afro-étasuniennes, qu’entre familles « noires ». Et l’auteure souligne que la notion de communauté étasunienne nie les profondes divisions en terme de classe sociale. Cette négation s’accompagne du développement de la « culture de la pauvreté », de l’idée que les inégalités « seraient le fruit du relâchement, dans la population noire, de l’éthique du travail et de la capacité à se prendre en charge ».

Au fil des chapitres, Keeanga-Yamahtta Taylor présente et analyse, entre autres, le mouvement Black Freedom des années 60, les émeutes et des révoltes, l’abandon des politiques de « discrimination active », les effets de la crise et la baisse des revenus, l’émergence d’une « élite noire », les incarcérations et les pertes de droit de vote pour des millions d’individu-e-s…

Sommaire

1. Introduction. Le réveil noir dans l’Amérique d’Obama

2. Une culture raciste

3. Des droits civiques à l’indifférence à la race

4. Visages noirs aux cimes du pouvoir

5. Une justice à deux vitesses

6. Barack Obama : la fin d’une illusion

7. Black Lives Matter : plus qu’un moment, un mouvement

8. De #BlackLivesMatter à la libération noire

Je souligne particulièrement les passages prenant en compte à la fois les discriminations raciales et les divisions en classe sociale, la nécessité d’articuler « exploitation de classe et oppression raciale dans le fonctionnement du capitalisme états-unien » ; ou les analyses sur le privilège de couleur et ses déclinaisons différenciées, les rappels des positions de C. L. R. James…

L’auteure insiste, entre autres, sur le fait que ni les « Blancs » ni les « Noirs » ne sont des masses « indifférenciées », les véritables bénéficiaires des inégalités, les problèmes d’alliance, l’ancrage matériel de la violence policière…

Il s’agit bien de combattre les visions mettant l’accent sur un soit-disant combat principal et négligeant l’articulation aux autres combats de libération et d’émancipation. Des analyses précieuses.

« En essayant de démontrer à tout prix la singularité des oppressions vécues par chaque groupe, on passe à coté de ce qui nous relie à travers l’oppression – et de l’importance d’utiliser ces liens pour former des solidarités, au lieu de se complaire dans notre propre marginalité ».

Reste justement à discuter, dans le détail, des articulations concrètes et des auto-organisations nécessaires pour chacun-e afin que TOUS les combats soient menés par les un-e-s et soutenus par les autres et que des alliances dynamiques puissent se nouer, malgré les tensions et les contradictions qui ne manqueront pas de se développer.

Keeanga-Yamahtta Taylor : Black Lives Matter
Le renouveau de la révolte noire
Agone : contre-feux, Marseille 2017, 408 pages, 24 euros

En complément possible :

Michelle Alexander : La couleur de la justice. Incarcération de masse et nouvelle ségrégation raciale aux Etats-Unis.

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