Édition du 17 décembre 2024

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Canada

La guerre du gouvernement Harper contre la science

Voilà maintenant des années que le gouvernement fédéral censure, muselle, diminue le financement de travaux scientifiques. Il congédie des scientifiques, des bibliothécaires, des archivistes, des statisticienNEs, et des chercheurs-euses. C’est une politique claire du recul de l’implication publique dans les recherches fondamentales et du virage vers les besoins spécifiques des industries.

(tiré de rabble.ca, 25 septembre 2013) Traduction, Alexandra Cyr

Trois grandes institutions distribuent les fonds de soutient à la recherche au Canada : le Conseil de recherches en sciences humaines, le Conseil de recherches en sciences naturelles et génie du Canada, les Instituts de recherche en santé du Canada. En dollar constant, les budgets de ces institutions ont diminué depuis 2001, de 6.4% à 61% pour le Centre de recherches sur la santé. Seul le Conseil de recherches en sciences naturelles et génie a vue son budget augmenté de 1,178% alors que sa vocation a été directement orientée vers les besoins spécifiques des compagnies.
Le gouvernement justifie ses coupes budgétaires et transferts de fonds en disant que les fonds publics doivent être mis au service de l’industrie du pays. Cette politique détourne les objectifs des fonds des recherches et compromet toute recherche autonome en imposant des hypothèses ou des prémisses. Les restrictions gouvernementales renforcent la démarche conservatrice de création d’un environnement libre d’entraves, configuré pour l’industrie et l’idéologie gouvernementale et met en danger la population. Les recherches fondamentales qui contredisent les objectifs industriels et gouvernementaux sont supprimées même si elles mettent en jeu la santé et la sécurité publiques. Les recherches hyper-ciblées et qui vont dans le sens de l’industrie et du gouvernement sont non seulement acceptées, mais prévilégiées financièrement.

Les dangers publics inhérents à cette stratégie de suppression de l’information et autres distorsions ne sont pas toujours visibles mais n’en sont pas moins délétères. Prenons l’exemple du retrait des fonds du « Experimental Lakes Area » à Kenora en Ontario, mondialement reconnu [1]. La possibilité que les résultats des recherches de ce centre mettent en lumière les dangers liés à l’extraction des ressources est la seule explication logique pour justifier cette fermeture. Au lieu de s’arrêter sur les défis liés à des effets industriels comme les déversements de pétrole dans les eaux ou l’impact des polluants sur les écosystèmes, le gouvernement choisi de les nier et d’en minimiser les impacts. Ces deux stratégies, le dénie et la minimisation peuvent marcher en l’absence de fondements scientifiques mais les problèmes subsistent et les impacts sur l’environnement et sur les citoyenNEs demeurent. Le cas de l’industrie pharmaceutique montre comment la recherche directement orientée vers ses propres besoins est dangereuse.

L’exemple des aléas du VIOX est lumineux. En voulant rassurer les futurEs patientEs quand à la sécurité de leur nouveau produit, la compagnie Merck a mis de côté les résultats des recherches cardio-vasculaires qui signalaient des dangers liés à ce nouveau médicament contre l’arthrite et la douleur. Le médicament a été mis en marché prématurément en 1999. Résultat : une augmentation mondiale de 88,000 à 140,000 cas de sérieux troubles cardiaques selon les estimés, dont au moins la moitié sont décédés. Au Canada on en compte de 4,000 à 7,000. Le Viox n’a été retiré du marché que le 30 septembre 2004.

Le détournement des travaux scientifiques par l’industrie n’est nouveau. Pendant des décennies, les chercheurs-euses employéEs par les entreprises du tabac ont soulevé de sérieux doutes sur la sécurité des produits. Mais leurs résultats ont été falsifiés et, nous le savons maintenant, au détriment de la santé publique.

Le même jeu se fait autour des problèmes liés au réchauffement climatique. Les scientifiques embauchéEs par les industries liées à cette problématique ne peuvent se prononcer sur le sujet et on les empêche de soumettre leurs résultats à l’examen de leurs pairs. Cela crée une situation dangereuse de doute sur le rôle de l’activité humaine dans l’augmentation du réchauffement. Donc, on fait constamment obstacle à leurs efforts pour une communication responsable autour de ce qui représente actuellement la plus grande menace à l’humanité.

La suppression de la partie obligatoire du recensement par le gouvernement Harper illustre aussi sa politique d’élimination des preuves. Cette partie très précise donnait un portrait détaillé et clair de la démographie canadienne du moment. Normalement, ces données sont déterminantes pour élaborer des politiques basées sur la science. Mais elles révèlent aussi des informations qu’on ne veut pas voir. Par exemple, qu’il y a environ 4,2 millions de pauvres au pays. Si les statistiques ne montrent pas les problèmes liés à la pauvreté ils ne feront plus l’objet de questionnement de fond. D’ailleurs, le Canada n’a pas de politique nationale contre la pauvreté…… !

La recherche de fond en sciences sociales et en histoire est aussi vitale pour la construction de la citoyenneté. Elles sont aussi la cible des coupes dans les budgets. Sans conscience de sa citoyenneté, le gouvernement peut interpréter les faits à sa manière au détriment de la population. Par exemple, nous sommes constamment confrontéEs à ce que Naomi Klein appelle l’esprit « extrativiste », qui traite les valeurs canadiennes d’entraves à l’activité industrielle. Cela passe par l’utilisation d’un langage alternatif pour décrire par exemple les arbres, la terre et les écosystèmes détruits avant que le bitume ou le minerai ne soit rejoint.

En plus, ce gouvernement d’inspiration républicaine-américaine utilise des projets de lois omnibus pour nier les droits constitutionnels des Premières nations : droits à être consultées avant l’adoption des projets, à les approuver et à négocier les conditions d’implantation pour ce qui touche leurs impacts sur les territoires non encore cédés.

L’auteur Anthony James Hall explique dans Flanagan’s Last Stand, que le gouvernement a le devoir de reconnaitre et défendre les droits des AmérindienNEs contenus dans les traités, pas celui de les leurs nier alors qu’ils apparaissent dans la section 35 de la Constitution canadienne de 1982. A.Hall va plus loin et déclare que ce gouvernement centré sur les États-Unis et leur histoire, évacue la réalité de la proclamation royale de 1763 qui garantie aux Premières nations la protection de la Couronne à titre d’alliés. Ce sont ces alliés qui ont combattu avec les soldats britanniques et empêché les Américains d’annexer le Canada lors de la guerre de 1812 [2] .

Connaitre l’histoire canadienne et ses retombées juridiques est fondamental pour comprendre comment le gouvernement la manipule pour tenter de cacher son objectif d’en finir avec les droits des autochtones et ainsi faciliter les projets de l’industrie pétrolière.

La censure, les bâillons, les coupes budgétaires des producteurs-trices du savoir de ce pays agissent comme un cancer : ils menacent la sécurité publique, notre santé, notre bien-être, le caractère pluraliste de notre société, sa souveraineté et son pouvoir d’auto détermination.

Rester vigilantEs est la première arme pour combattre une telle attaque [3].


[1Situé dans le comté du nouveau ministre de la science et de la technologie, M. Greg Rickford.

[2Cette interprétation du rôle des amérindiens dans cette guerre est remis en question par certainEs historienNEs. N.d.t.

[3Pour en savoir plus sur ce sujet, voir l’émission The Silence of the labs diffusée le 20 décembre 2013 par The Fifth Estate sur la CBC-Radio-Canada. La démonstration y est impressionnante.

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