1. Les GAFAM se sont construits en mettant en place un capitalisme de surveillance, processus bien décrit par Sosphana Zuboff. [1]. Les grandes entreprises des GAFAM ont mis en place la cueillette systématique des données de tout genre. Elles ont marchandisé les masses de données recueillies. Elles ont pu attirer les publicitaires, car elles ont pu cibler les publicités très finement vers des secteurs précis de la population, et même vers des individus particuliers en modélisant des algorithmes de recommandations qui ont pu démontrer leur efficacité. Mais ce pouvoir des GAFAM ne s’est pas limité à la promotion publicitaire. Les données recueillies ont aussi permis le repérage des valeurs et comportements de segments de la population afin d’élaborer et de vérifier des messages politiques construits sur mesure. Cette prédation systématique des informations sur une large partie de la population a permis de créer un vaste dispositif de profilage et de contrôle social qui ont été mis au service d’acteurs économiques (entreprises) ou politiques (gouvernements et partis).
2. Avec le développement de l’Internet, beaucoup ont cru que les médias sociaux pourraient permettre la multiplication des échanges et des possibilités de délibérations sur divers enjeux sociaux. Bref, c’est l’élargissement des possibilités des débats démocratiques qui semblait ouvert. Mais, si ces possibilités ne sont pas complètement éliminées, la mise en place d’un contrôle des médias sociaux par de grandes entreprises multinationales américaines a marginalisé en grande partie ces possibilités. Aujourd’hui les GAFAM sont utilisés par des milliards de personnes à l’échelle mondiale. Au Québec, c’est la moitié des adultes qui s’en servent comme source privilégiée d’information. Le développement des GAFAM a exacerbé la crise des médias en accaparant leurs revenus publicitaires, ce qui a conduit à la réduction de la taille des salles de nouvelles, à la fermeture des médias locaux, et ce, en s’appropriant les contenus produits par les grands et petits médias. Les GAFAM ont donc développé un contrôle de plus en plus important sur les contenus et les moyens de diffusion de l’information et ont par le fait même développé le pouvoir de mousser certains contenus et d’en écarter d’autres. Le pouvoir de modération, sur la capacité d’accès à une grande partie de l’information et sur les modalités de sa mise en forme, est maintenant dans le mains de ces grandes entreprises. [2]
3. Les conséquences politiques de cette domination sur les États, les partis, les mouvements sociaux et culturels dans la circulation de l’information conduisent essentiellement à une réduction de leur pouvoir d’influence au profit de ces grandes entreprises. La souveraineté des États est remise en question. Les GAFAM diffusent les informations qu’elles veulent, amassent les informations qu’elles veulent, revendent les données qu’elles veulent et accaparent les informations créées par les médias d’un pays tout en refusant toute redevance. [3] Le refus de Facebook de se soumettre à la loi canadienne sur la nécessaire rétribution des grands médias dont elle reprend les informations démontre que le pouvoir d’une telle multinationale dépasse les frontières et lui permet de se soustraire aux lois des États. Cette entreprise a d’ailleurs manifesté sa volonté d’en découdre avec différents États comme cela a été le cas en Australie et en Espagne. Le refus de payer ces impôts dans le cadre de l’Union européenne en est un autre exemple patent. Sans compter que les GAFAM sont des entreprises qui utilisent allègrement les différents paradis fiscaux.
4. « L’espace public et les médias sont une médiation essentielle au cœur même de la démocratie ; un espace intermédiaire entre le peuple (demos) et son pouvoir (kratos). Sans cette médiation, le sens de la démocratie s’effondre ; sans lieu où parler, dialoguer et débattre le démos ne peut exercer le pouvoir commun. Pour que la démocratie soit plus que des préjugés individuels additionnés par le vote, il faut disposer d’un endroit où les idées s’entrechoquent et sont soumises à la critique de la raison. » [4] Il est vrai que la concentration des grands médias, au Québec comme ailleurs, dans les mains de milliardaires, auxquels les journalistes doivent répondre rend relatif le caractère démocratique de ce quatrième pouvoir. Il n’en reste pas moins que la prise de contrôle sur l’information par les GAFAM a considérablement détérioré le caractère démocratique des débats dans la société des débuts du XXIe siècle. Les GAFAM ont permis la diffusion de fausses nouvelles et de contenus haineux en rejetant toute responsabilité sur les producteurs de contenus. Ces entreprises ont permis la circulation de menaces en tout genre, y compris de menaces de mort. Ils ont permis la glorification de la violence militaire et la désinformation à ce niveau. L’espace public a été fragmenté, si ce n’est atomisé. Le développement des GAFAM a donc permis la division de la population, plus sa polarisation. Les opinions ne sont plus partagées et discutées, mais les débats se mènent en vase clos dans des sous-groupes retournés sur eux-mêmes. Cette situation a favorisé le développement de l’individualisme et du complotisme et le refus d’une recherche réellement collective d’une vérité réellement partagée. La science elle-même a été remise en question par cette dynamique. Le rapetissement d’une démocratie déjà fort limitée est manifeste.
5. Tout au cours du processus de la prise de contrôle des GAFAM sur l’information, les formes de résistance sont restées timides et peu efficaces. Le gouvernement fédéral n’a jamais manifesté l’intention de remettre en question le pouvoir de ces entreprises. Le premier ministre Legault est allé jusqu’à déclarer qu’il fallait éviter de les effaroucher. Des réglementations ont été envisagées pour protéger les données personnelles, pour permettre aux utilisateurs de signaler les contenus haineux, pour obliger la diffusion de productions nationales, pour exiger le paiement de redevances sur les contenus mobilisés par les médias du pays. [5] Mais, ces réglementations ont eu peu d’effets sur les pratiques des GAFAM. Ces entreprises ont toujours voulu garder le plein contrôle sur les ajustements demandés. Facebook a ainsi créé Comité de surveillance chargé de réviser ses propres décisions en matière de modération lorsqu’elles ont été controversées. Le refus de Facebook de se plier à la loi C-18 sur les redevances à payer aux médias canadiens et le blocage des médias canadiens est la dernière illustration de la volonté de cette entreprise d’échapper à tout contrôle.
6. La véritable opposition à la domination des grands médias d’information et des GAFAM est venue de citoyen-ne-s, de responsables associatifs, politiques et syndicaux, d’intellectuel-le-s et chercheur-e-s, et de journalistes qui se sont opposés à la façon dont l’information est dévoyée par les trusts médiatiques et les GAFAM. La réappropriation citoyenne des grands médias et des médias sociaux ne peut passer que par la remise en question du régime de propriété de ces derniers. La concentration des grands médias par les puissances financières a permis à ces dernières de cherche à imposer à la majorité de la population les valeurs et les décisions de la classe dominante. La reprise en main citoyenne de l’information passera par le démantèlement des grands trusts médiatiques, par la mise en place de médias indépendants disposant de moyens de production (presse, télévision, Internet) sur une base publique ou coopérative sous le contrôle des journalistes comme producteurs et productrices de l’information. Cela passe également par l’élargissement du financement public des médias associatifs. C’est ainsi qu’on pourra ouvrir l’accès aux médias à tous les acteurs sociaux (syndicats, associations, institutions locales). Pour en finir avec la domination des GAFAM, il faudra sans doute une action internationale pour libérer les médias sociaux des contraintes commerciales. La socialisation des médias sociaux passe par la mise en place d’un réseau public sans but lucratif offrant tous les services nécessaires à la constitution d’un service public des médias sociaux gérés de façon transparente et décentralisé et axé sur le bien commun. Cette démarche s’inscrit dans la lutte pour une souveraineté populaire véritable qui implique une redistribution des richesses et des pouvoirs dans la société au niveau local, national et international.
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