Tiré du site d’Attac-France.
Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) (1) sont aujourd’hui les plus grandes entreprises du monde par leur capitalisation boursière, mais il est de notoriété publique qu’elles sont aussi les championnes de l’évasion fiscale. Les géants du numérique parviennent d’autant mieux à délocaliser leurs profits dans les paradis fiscaux qu’ils exercent des activités immatérielles, dont il est difficile d’évaluer le montant.
Attac se mobilise depuis des années pour réclamer que ces entreprises paient leur juste part d’impôts là où elles réalisent leurs activités. Nous nous félicitons donc que ce sujet soit mis à l’agenda politique et que le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, considère anormal que « les géants du numérique payent 14 points d’impôts de moins que les PME ». Une trentaine d’entreprises du numérique seraient concernées par le projet du gouvernement dit de “taxe GAFA”. Parmi celles-ci, Uber, Booking ou Airbnb, mais aussi et surtout, les GAFAM. Toutefois, le projet du gouvernement est loin de résoudre l’anomalie qu’il prétend combattre.
Attac a réalisé une étude concernant l’application de la taxe GAFA sur les cinq GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Les résultats de cette étude montrent que cette taxe ne règle en rien le problème de l’évasion fiscale massive de ces multinationales. La recette de cette taxe, estimée par le gouvernement à 400 millions d’euros en 2019 (2), est un montant symbolique.
Pour les cinq entreprises étudiées ici, nous estimons à 9,4 milliards d’euros le chiffre d’affaires réalisé grâce à des ventes en France qui ne sont pas déclarées dans l’Hexagone. En moyenne ces entreprises dissimulent 74% de leur chiffre d’affaires, de 58% pour Amazon, à 85% pour Google.
D’après nos estimations, la France aurait dû profiter de plus de 600 millions d’euros d’impôt sur les sociétés (IS) en 2017, si la totalité de leur activité sur le territoire avait été déclarée Un chiffre donc nettement supérieur aux 400 millions d’euros promis en 2019 par la taxe GAFA qui, elle, concerne une trentaine de grands groupes. Et bien plus important encore que le montant de l’impôt qu’auraient payé les GAFAM en 2017 avec cette nouvelle taxe GAFA, que nous estimons à 162 millions d’euros.
De plus, la taxe GAFA porte mal son nom, car elle ne concerne que le chiffre d’affaires numérique de ces sociétés. Elle est sans doute efficace face aux activités de Facebook et de Google, dont les revenus sont essentiellement basés sur la publicité en ligne, mais beaucoup moins pour Apple, Amazon, et Microsoft, qui ont des activités majoritairement “hors numérique”. D’après les calculs d’Attac, 64% du chiffre d’affaires cumulé des GAFAM échappe à la taxe GAFA.
Attac considère que ce n’est donc certainement pas avec une taxe à 3% sur leur chiffre d’affaires numérique, que les GAFAM seront imposés « comme tout le monde » ni ne paieront leur « juste part d’impôts ». C’est pourquoi nous demandons que soit mise en œuvre dès maintenant une taxation unitaire des multinationales, seul moyen d’avancer véritablement vers l’éradication de l’évasion fiscale.
Les chiffres-clés de l’étude (données 2017 pour les cinq entreprises étudiées)
• 74% la moyenne, pour ces cinq entreprises, de la part du chiffre d’affaires dissimulé (non déclaré en France). Google 85% / Apple 79% / Facebook 74% / Microsoft 73% / Amazon 58%
• 9,4 milliards d’euros le montant du chiffre d’affaires français délocalisé dans les paradis fiscaux par les cinq GAFAM
• 64% la part des chiffres d’affaires additionnés des GAFAM qui échappe à la taxe GAFA, celle-ci ne concernant que les revenus publicitaires et d’intermédiation
• 623 millions d’euros le montant de l’impôt sur les sociétés qu’auraient dû payer les GAFAM si la totalité de leurs bénéfices correspondants à leurs activités sur le territoire avait été déclarée en France
• 162 millions d’euros le montant de l’impôt qu’auraient payé les GAFAM en 2017 avec cette nouvelle taxe GAFA (taxe GAFA et IS inclus).
Décryptage du projet de taxe GAFA
À peine proposée, la taxe GAFA a vu son ampleur fondre comme neige au soleil. D’abord annoncée à 5% du chiffre d’affaires, puis à un « taux [...] modulé en fonction du chiffre d’affaires avec un maximum de 5% », elle sera finalement fixée à un taux unique de 3% du chiffre d’affaires numérique (3) - c’est à dire les revenus publicitaires et d’intermédiation (marketplace, ciblage publicitaire, revente de données personnelles à des fins publicitaires). En prime seuls les groupes dont l’activité numérique dépasse les 750 millions d’euros dans le monde et 25 millions en France sont concernés. Ils ne sont qu’une trentaine en France.
Premier problème, comme Attac l’avait montré pour la marque à la pomme dans son rapport Apple, le hold up mondial (4), l’optimisation fiscale concerne l’ensemble des activités des multinationales, et non leurs seules activités numériques. Or, le texte de loi ne prévoit qu’une taxation des activités numériques, excluant de facto une partie non négligeable de l’évasion fiscale des entreprises visées par la taxe. Par exemple, les ventes d’iPhones ne seront pas concernées par la taxe GAFA. Pourtant, les ventes de smartphones représentent plus de la moitié de l’activité d’Apple. Si on ajoute les iPads et les ordinateurs Mac, on constate qu’à peine 13% des activités d’Apple pourraient être concernées par la définition d’« activités numériques » donnée par le gouvernement (5). En outre, toutes les activités numériques ne sont pas concernées : pour la publicité en ligne par exemple, seule la publicité ciblée est considérée par la taxe.
Autre problème, la taxe GAFA a pour assiette le chiffre d’affaires réalisé en France, et non le bénéfice, comme c’est le cas pour l’impôt sur les sociétés. Or, en taxant des entreprises sur leur activité et non sur leur résultat, le gouvernement crée une forme d’inégalité de traitement entre différentes entreprises, ce qui est contraire aux règles imposées par la Commission Européenne. La taxe GAFA pourrait potentiellement être attaquée au titre de la double imposition. Afin d’éviter les contestations, le gouvernement a proposé que le montant payé au titre de la taxe GAFA puisse être déduit de l’assiette de calcul de l’impôt sur les sociétés (6). Ce qui est une source supplémentaire de complexité et affaiblit d’autant plus les gains déjà faibles de cette taxe…
Une taxe mal assise
Selon nos estimations, les principales entreprises du numérique (les GAFAM, ainsi que Uber, Airbnb et Booking) déclarent en France seulement 28% de leur activité réelle sur le territoire, le reste étant déclaré dans des pays fiscalement plus favorables (notamment l’Irlande) (7). Par exemple, une grande partie des ventes d’Apple sont faites via des revendeurs (opérateurs télécoms, magasins agréés) qui achètent les produits aux filiales irlandaises ou luxembourgeoises de la multinationale. Booking et Airbnb utilisent la même stratégie : les clients français, quand ils effectuent une transaction sur ces sites, établissent un contrat avec une entreprise basée dans un autre pays (les Pays-Bas pour Booking (8) et l’Irlande pour Airbnb (9)). Booking dissimule ainsi 94% de son chiffre d’affaires réalisé en France, et Airbnb, 95%.
La taxe GAFA ne concerne que certaines activités numériques. Selon nos estimations, basées sur les comptes mondiaux consolidés communiqués par les GAFAM à la U.S. Securities and Exchange Commission (SEC), elle serait assez efficace pour des acteurs comme Google ou Facebook, qui se rémunèrent notamment grâce à leurs revenus publicitaires. En revanche, Amazon, Microsoft et surtout Apple, ne seraient que très partiellement affectés par cette taxe : 21% de l’activité d’Amazon rentrerait dans l’assiette de calcul de la taxe GAFA, 17% pour Microsoft, et seulement 13% pour Apple. En intégrant Facebook et Google au calcul, Attac a estimé à 36% la part du chiffre d’affaires des GAFAM qui sera concernée par la taxe GAFA. Autrement dit, brandie comme la solution au problème de l’évasion fiscale, cette taxe GAFA rate sa cible car elle ne concernera en réalité qu’environ un tiers de l’activité des GAFAM.
En outre, Google et Facebook ne déclarent quasiment aucune activité en France. On peut parfaitement imaginer que les filiales françaises de ces deux groupes soient - artificiellement - déficitaires à cause de la taxe GAFA, ce qui constituerait une situation inédite.
Certes, la proposition du gouvernement n’est pas uniquement basée sur les chiffres d’affaires déclarés par les groupes visés, ce qui constitue un progrès. Néanmoins, l’assiette et le mode de calcul de la taxe rendent ce progrès inopérant.
Attac a fait l’exercice de rapporter l’activité réelle estimée en France, à l’activité mondiale déclarée par chacun des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Le pourcentage obtenu peut être appliqué aux bénéfices mondiaux des géants du numérique, et donne ainsi une idée approximative de ce que seraient les bénéfices réels de chacun des groupes sur le territoire. En appliquant le taux d’imposition standard (33,33%) à chacun de ces bénéfices, on arrive à un total de plus de 600 millions d’euros pour l’exercice 2017, pour ces seules cinq entreprises… Un chiffre peu flatteur pour la taxe GAFA, notamment quand l’on considère la croissance forte des entreprises du numérique entre 2017 et 2019.
On voit bien que la taxe GAFA ne rétablit en rien la justice fiscale et que les géants du numérique vont continuer à échapper à l’impôt.
Méthodologie
La méthodologie permettant le calcul de ces chiffres est présentée dans une annexe disponible sur https://attac.org/l/ notegafam. Ces estimations sont le fruit d’un travail de croisement de données mondiales des secteurs d’activité concernés, de publications dans la presse, et de chiffres consolidés présentés par les entreprises concernées. La difficulté d’établir des chiffres est précisément liée au manque de transparence des multinationales. Il apparaît essentiel de contraindre l’ensemble de ces entreprises à publier un reporting public pays par pays, c’est-à-dire les obliger à déclarer leur activité réelle dans chaque pays (chiffre d’affaires, parts de marchés, nombre des salariés, montant des impôts payés…). Cette demande est portée depuis plusieurs années par Attac et l’ensemble des organisations membres de la Plate-forme paradis fiscaux et judiciaires (10).
Notre proposition pour éradiquer l’évasion fiscale : la taxation unitaire des multinationales
Défendue par Attac et de nombreuses organisations, la taxation unitaire consiste à considérer chaque entreprise multinationale, non pas comme une somme d’entités juridiques séparées (les filiales), mais comme une unité unique, d’où l’expression de « taxation unitaire ». La démarche est simple et comporte deux étapes. La première est de déterminer le bénéfice global à l’échelle mondiale de chaque groupe multinational à partir de ses comptes consolidés. Ensuite, ce bénéfice mondial est réparti entre les pays où le groupe réalise son activité, avec une pondération calculée par exemple sur la base de trois facteurs : (i) le travail, mesuré par les effectifs employés ou la masse salariale, (ii) les actifs, notamment les immobilisations, (iii) les ventes ou le chiffre d’affaires. On obtient alors le bénéfice imposable total dans le pays et on applique le taux d’imposition en vigueur sur le territoire pour déterminer les impôts à prélever.
La taxation unitaire présente de nombreux avantages. C’est une méthode efficace qui permet d’éradiquer l’évasion fiscale en appliquant un principe simple : taxer les multinationales dans les pays où elles réalisent leurs activités et leurs profits. Ce mode de taxation a le mérite de mettre fin à la forme la plus importante d’évasion fiscale qui consiste à créer des filiales dans les paradis fiscaux et à y détourner artificiellement les profits du groupe multinational. Par ailleurs, la taxation unitaire est particulièrement adaptée au cas des entreprises numériques qui utilisent massivement la technique des prix de transfert pour localiser leurs profits dans les paradis fiscaux. Ces prix sont appliqués à des actifs immatériels qui ne sont pas vendus sur un marché concurrentiel, et dont le calcul est difficilement contestable par les services fiscaux.
La taxation unitaire est une méthode plus efficace que la taxe sur les GAFA proposée par certains pays comme la France. Cette taxe GAFA ne s’attaque pas aux mécanismes de l’évasion fiscale et se limite à une taxe forfaitaire sur une partie du chiffre d’affaires, avec un faible rendement.
Le système de taxation unitaire va plus loin dans la lutte contre l’évasion fiscale que les différentes propositions de réforme fiscale au niveau international. Ainsi le programme BEPS (Érosion de la base d’imposition et transfert des bénéfices) de l’OCDE ne traite pas le problème du numérique et continue de considérer les entreprises multinationales comme une structure composée d’entités indépendantes. De même, au niveau de l’Union européenne, la directive ACCIS propose une harmonisation de la base fiscale de l’impôt sur les sociétés, mais ne s’attaque pas à la question du taux d’imposition « plancher ».
Toutefois, les pressions exercées par la société civile et les scandales (Panama Papers, Paradise Papers...) ont conduit à des avancées récentes qui se rapprochent des objectifs et des principes de la taxation unitaire. C’est le cas de l’accord de 127 pays, dont la France, annoncé le 29 janvier 2019 par l’OCDE. Cet accord entérine deux principes (i) appliquer aux multinationales un taux minimum d’imposition sur les profits, et (ii) taxer ces dernières dans les pays où elles réalisent leurs profits (11).
Le gouvernement français ne devrait pas être en-deçà de ces propositions qui vont être discutées à l’échelle internationale dans les mois qui viennent afin d’aboutir à un projet susceptible d’être présenté au G20 en 2020 puis mis en œuvre dans les pays signataires. Le gouvernement français se targue de jouer un rôle moteur sur la scène internationale pour lutter contre l’évasion fiscale. Plutôt que d’instaurer la taxe GAFA, mesure cosmétique qui ne s’attaque pas aux mécanismes de l’évasion fiscale, ce gouvernement devrait œuvrer à la mise en place d’une taxation unitaire.
Une publication d’Attac France coordonnée par Pierre Grimaud, Julien Joubert, Franck Mithieux, Jeanne Planche, Dominique Plihon, Raphaël Pradeau
Notes
1. Nous parlons ici de “GAFAM”, en ajoutant Microsoft, tant cette entreprise possède un poids économique et une présence sur le “marché du numérique” comparable à celle de Google, Apple, Facebook ou encore Amazon.
3. www.gouvernement.fr/taxe-gafa-que-prevoit-le-futur-projet-de-loi
4. https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/applele-hold-up-mondial
5. voir note méthodologique Attac : https://attac.org/l/notegafam
7. Tableau des estimations des chiffres d’affaire réels
8. http://www.leparisien.fr/ economie/impots-booking-com-dans-l-oeil-du-fisc-03-06-2016-5852713.php
10. PPFJ dont Attac est membre. Voir http://www.stopparadisfiscaux.fr
11. https://www.alternatives-economiques.fr/taxation-gafa-locde-lance-revolutions-historiques/00087973
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