Or, des questions demeurent : en dépit de l’élection de Donald Trump et le retour en force de l’extrême droite, les États-Unis se trouvent-ils au point de bascule d’un nouveau fascisme ? Donald Trump est-il un fasciste lui-même ? Le mouvement antifa serait-il en contradiction avec les principes de la gauche et par le fait même, contreproductif ? Plusieurs mouvements de gauche, comme les Democratic Socialists of America, Black Lives Matter et certaines revues d’inspiration marxiste, comme Jacobin et Monthly Review, s’interrogent à ce sujet.
Nous sommes conscients que la montée des idées d’extrême droite menace l’intégrité des principes mêmes de la démocratie libérale. Cependant, sans minimiser pour autant l’escalade d’un certain fascisme en Occident, nous devons faire preuve de vigilance quant à l’usage de ce terme. Les idées d’extrême droite ne relèvent pas toutes du fascisme. Dans le passé, certains membres de la gauche occidentale ont eu tendance à galvauder les principaux termes de son lexique idéologique : démocratie, socialisme, fascisme, libéralisme, etc. L’usage de ces concepts doit reposer sur des faits, des analyses approfondies et une connaissance avouée de leur véritable signification et de l’origine de celle-ci. Il importe de revoir notre conception actuelle du « fascisme ».
Certains articles de la gauche étasunienne, comme ceux du magazine Jacobin, se veulent des avertissements sur la nécessité de développer des stratégies ciblées, des analyses autant rigoureuses que nuancées et d’éviter les faux pas idéologiques dans la lutte contre l’extrême droite. Ces articles constituent l’expression des inquiétudes partagées par de nombreux militants de gauche désemparés par les stratégies adoptées par le mouvement « antifa », c’est-à-dire des actions violentes qui font donner lieu à un espace de confrontation et de galvanisation des tensions idéologiques qui déchirent présentement la société étasunienne. Les milices « antifas » agissent de manière spontanée et réprouvent la dimension pédagogique de la lutte des classes qui permettrait d’élargir le mouvement anti suprématiste dans une perspective plus large qui prendrait la forme d’une contestation sociale. Voici la principale critique que reçoit le mouvement « antifa » à l’heure actuelle.
Même au sein de la gauche radicale, la stratégie des « antifas » est souvent jugée contreproductive. La gauche marxiste défend le recours à des manifestations ponctuelles reposant sur un appel à la résistance et une pédagogie politique d’envergure dans le but de fonder un mouvement social capable de transformer le paysage idéologique des États-Unis. Les manifestations « antifas », quant à elles, n’ont pour but que de susciter la confrontation violente dénuée de toute forme de dialogue. Le mouvement Black Lives Matter revendique des échauffourées avec les forces de l’ordre, mais rappelle sans cesse l’importance de réaliser une véritable campagne de pédagogie populaire auprès de la communauté afro-américaine.
Mais qui sont les personnes qui constituent le mouvement « antifa » ? Des étudiants, des perturbateurs infiltrés par les policiers ou des contestataires mal informés sur les origines politiques du fascisme ? L’usage du terme fasciste en vogue et s’accompagne d’une incompréhension de sa véritable signification qui donne lieu à des actions irréfléchies. Ces derniers semblent oublier l’injonction d’Antonio Gramsci de refuser les mots d’ordre à la mode qui contreviennent à la nécessité de produire des analyses politiques fondées sur des tactiques de terrain limpides. Impossible de nier la montée d’un nouveau fascisme aux États-Unis, mais encore faut-il mieux définir la signification de ce concept et éviter les conclusions faciles qui prétendent que la Maison Blanche est désormais soumise au fascisme.
Depuis l’élection de 2016, les Democratic Socialists of America sont passés de 6000 à 40 000 membres. Les nouveaux syndicats de base (Rank and File) réclament le retour à un syndicalisme de combat fondé sur une analyse de classe. Des groupes populaires – mobilisés quotidiennement dans l’ensemble du pays – préparent une résistance de taille face à la discrimination raciale et l’exploitation du prolétariat américain par les classes dominantes. Le recours à des manifestations, tout comme la grève, demeure une tactique fondamentale, mais, pour la gauche, la nécessité de refonder son appareil pédagogique représente une priorité absolue dans son projet de constituer une véritable force ouvrière capable de détruire le capitalisme et ses prolongements idéologiques comme le fascisme d’inspiration suprématiste.
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