C’est Nicolas Sarkozy qui le premier s’est saisi de cet air nouveau en excluant l’économie, le social et la crise de sa campagne, jugeant ces sujets comme trop dangereux. « La crise financière est terminée. Il reste à traiter la crise économique », avait-il d’abord annoncé fin février. Aujourd’hui, il est encore plus affirmatif : « La crise est finie. Nous sommes en phase de reprise économique », a-t-il assuré, il y a deux jours. Le président de la BCE, Mario Draghi, lui a emboîté le pas : « Le pire est passé. La confiance des investisseurs revient et la BCE n’a pas eu à acheter d’obligations souveraines depuis des semaines pour les soutenir », a-t-il souligné dans un entretien au quotidien allemand Bild. Même le premier ministre italien Mario Monti, qui samedi encore s’inquiétait de la situation de l’Espagne, s’est finalement rallié à l’entrain général. « Les malheurs de la zone euro sont presque terminés », a-t-il dit lors d’un voyage au Japon.
Les signaux abondent, à les en croire, pour justifier ce regain d’optimisme. Les 1 000 milliards d’euros généreusement accordés aux banques par la Banque centrale européenne ont bien eu les effets euphorisants attendus. Les tensions sur le marché obligataire se sont dissipées. Les pays de la zone euro ont pu sans grand problème se refinancer depuis le début de l’année. Ils ont levé près de 70 milliards d’euros de dette depuis le début de l’année. La Grèce paraît désormais sous contrôle, depuis le rééchelonnement de sa dette et le nouveau plan de sauvetage, qui lui a permis d’honorer sans encombe son échéance cruciale du 20 mars. Les banques ont toutes les liquidités nécessaires pour faire face et relancer le financement de l’économie. Les marchés boursiers volent de record en record depuis trois mois. Depuis le début de l’année, ils se sont appréciés de plus de 20 %, même si ces derniers jours, la hausse semble se tasser.
Les Européens ont déjà connu pareil enthousiasme. Au printemps 2010, ils assuraient déjà que la crise était finie. La ministre des finances de l’époque, Christine Lagarde, dissertait alors sur les mérites de la « rilance ». Au printemps 2011, les mêmes avaient repris leur assurance, jusqu’à ce que la crise grecque ne vienne à nouveau les cueillir à froid et mettre à bas tous leurs espoirs.
Le même scénario risque-t-il se reproduire en 2012 ?
L’optimisme européen, en tout cas, est loin d’être partagé ailleurs. « Il est encore beaucoup trop tôt pour crier victoire », insistait encore mardi le président de la FED, Ben Bernanke. Presque au même moment, le gouverneur de la Banque centrale d’Angleterre, Mervyn King, soulignait que la politique monétaire de la BCE avait « créé une fenêtre d’opportunité » mais qu’il restait à vérifier si les Européens sauraient utiliser ce répit pour traiter leurs problèmes. « Ceux qui prétendent que nous sommes sortis du bois s’aveuglent ou trompent leur auditoire. La situation s’est stabilisée en Europe. Et il est dans leur intérêt d’être optimistes mais l’Europe continue à patauger dans la crise », prévient un économiste de Moody’s. Revue des détails qui pourraient à nouveau faire capoter l’euphorie européenne.
La crise espagnole est de retour
Depuis plusieurs semaines, la situation espagnole est à nouveau un sujet de préoccupation pour les économistes. Les taux de la dette espagnole remontent et sont désormais plus élevés que ceux de l’Italie. « L’Espagne représente un risque plus élevé que jamais », a prévenu le chef économiste de Citigroup, Willem Buiter, qui anticipe déjà une renégociation de grande ampleur de la dette espagnole.
Les raisons d’inquiétude sont multiples. L’économie est à nouveau en récession. Le gouvernement espagnol table sur une chute de 1,7 % du PIB en 2012. Le taux de chômage dépasse les 22,8 % de la population active et plus de 50 % pour les jeunes. Selon les prévisions du gouvernement, plus de 630 000 emplois pourraient disparaître encore cette année, amenant le taux de chômage au-delà des 24 %.
Dans ce contexte, le budget que doit présenter vendredi le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, relève de la mission impossible. Après avoir enregistré un déficit de 8,5 % en 2011, totalement hors des prévisions, le nouveau gouvernement espagnol a renégocié avec Bruxelles le plan d’économie qui prévoyait un déficit de 4,8 % en 2012. Madrid demandait un objectif de 5,8 %, l’Europe qui ne voulait pas donner le sentiment que son plan de rigueur, tout juste adopté, était déjà mort, a transigé à 5,3 %.
Le gouvernement espagnol a déjà annoncé 8,9 milliards d’euros d’économies budgétaires et 6,3 milliards d’euros de hausses d’impôt. Mais il semble loin, encore très loin, du compte pour tenir ses engagements de réduction de déficit pris auprès de la Commission européenne. Selon les estimations, revenir à cet objectif suppose que le gouvernement trouve entre 55 et 63 milliards d’économies supplémentaires dans l’année. Ces seuls chiffres donnent la mesure du leurre européen.
D’autant que le gouvernement ne peut en aucun cas compter sur le secteur privé. L’endettement de celui-ci s’élevait à 227 % du PIB à la fin de 2010, selon Eurostat. Il est presque resté inchangé en 2011. Lesté par ces dettes énormes, il n’a plus aucun ressort : sa première préoccupation est de se désendetter. Depuis le début de l’année, les secteurs de l’immobilier et de la construction, les deux piliers du “miracle espagnol” passé, ont plongé. Les prix des logements sont en chute de 30 % à 40 %.
Les banques qui avaient jusqu’à présent provisionné au minimum leurs créances immobilières, sont obligées de prendre en compte cette nouvelle réalité. Le gouvernement espagnol avait estimé que le besoin de recapitalisation des banques était de 52 milliards d’euros pour tenir compte notamment de l’effondrement de l’immobilier. Selon El País, il faudrait au moins le double pour restaurer le système bancaire espagnol. Les sommes sont telles qu’elles semblent hors de portée des banques et même de l’Etat espagnol.
Le scénario trop connu s’est remis en marche. Alors que le marché spécule déjà sur un nouveau plan de sauvetage européen pour l’Espagne, le gouvernement espagnol a démenti avoir besoin de recourir à un plan de sauvetage européen, le ministre des finances espagnol, Luis de Guindos, qualifiant cette hypothèse de « totalement déplacée ». Le commissaire européen aux affaires économiques, Olli Rehn, l’a immédiatement soutenu. Une telle insistance est compréhensible : un sauvetage de l’Espagne serait sans commune mesure avec les précédents grec, irlandais ou portugais. Mais en coulisse, le commissaire européen de la concurrence Joaquín Almunia, a reconnu que l’Espagne aurait intérêt de recourir très rapidement au mécanisme européen de stabilité le plus rapidement possible, afin d’éviter la contagion dans la zone euro. Un danger souligné par Mario Monti lui–même, samedi, en insistant sur le danger que faisait courir un éventuel dérapage de l’Espagne sur l’ensemble de la zone euro, en commençant par l’Italie.
L’Espagne va ainsi être au centre des conversations de la prochaine réunion des ministres des finances européens, vendredi, à Copenhague. Lors de cette réunion de l’Eurogroup, il est aussi prévu de renforcer le mécanisme de stabilité financière, afin de le doter d’une puissance de feu d’au moins 900 milliards d’euros. Berlin s’était jusqu’alors opposé à ce renforcement. Mais les pressions sont venues de toutes parts pour le faire changer de position, faisant valoir qu’il était urgent d’envoyer des signes rassurants au marché, dans l’espoir d’endiguer la crise espagnole à temps.
La récession s’installe à nouveau en Europe
Amateurs de chiffres en tous genres, les dirigeants européens restent curieusement très discrets sur certains d’entre eux. Croissance, chômage semblent avoir brusquement disparu de leur écran radar. Les données, pourtant, sont plus inquiétantes les unes que les autres. Deux ans après être sortie de la récession, l’Europe y plonge à nouveau. À l’exception de l’Allemagne et de la France – qui a enregistré un minuscule 0,2 % de croissance au quatrième trimestre –, tous les autres pays ont à nouveau plongé dans la récession. À la fin de 2011, la zone euro a enregistré le taux de chômage le plus élevé depuis sa création. De 10,9 % en moyenne, il peut atteindre des pics de 20 % à 25 % selon les pays.
Cette situation, déjà difficile pour l’ensemble de la zone euro, devient catastrophique pour les pays secourus par l’Europe ces dernières années. L’Irlande, présenté comme bon élève du sauvetage européen, a enregistré un recul de 0,2 % du PIB au quatrième trimestre, les exportations, son seul moteur, tombant de 1,1 %. Le gouvernement irlandais demande déjà à renégocier les conditions de remboursement d’une partie de sa dette, estimant qu’il lui est impossible dans la conjoncture actuelle de tenir ses engagements.
Le Portugal est encore en plus mauvais état. L’économie est en chute libre. En octobre, le ministre des finances, Vitor Gaspar, prévoyait une chute de 2,8 % du PIB en 2002 et un chômage à 13,4 %. Dès janvier, celui-ci a dépassé les 14,8 %. Le gouvernement a revu ses prévisions et s’attend désormais à une chute de 3,3 % du PIB en 2012. Des économistes annoncent que ce sera pire. Plus personne, en tout cas, ne s’attend à un rétablissement rapide du Portugal. Même s’ils ont un peu baissé, les taux de sa dette sont toujours à plus de 11 %. Un autre plan de sauvetage sera nécessaire, comme pour l’Irlande, parient des banques.
De tels résultats étaient prévisibles. Les politiques d’austérité imposées sans discernement à l’ensemble de la zone euro ne peuvent que produire l’effet procyclique dénoncé par nombre d’économistes : l’Europe ajoute de la récession à la récession. Même le FMI prône un assouplissement de cette rigueur, en suggérant que les pays qui en ont les moyens, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, abandonnent la religion du déficit zéro pour soutenir, par les dépenses publiques, une certaine relance. Ses appels, jusqu’alors, sont restés sans suite.
Subjugués par les remèdes miracles de la BCE, les dirigeants européens font le pari que la croissance se restaurera toute seule, par la seule intervention du secteur privé, les banques, gorgées de liquidités, acceptant de reprendre leur mission de financement de l’économie. Jusqu’à présent ce pari ne s’est pas concrétisé. Les banques, surtout italiennes et espagnoles, ont certes accepté de souscrire à nouveau de la dette publique dans leurs pays respectifs. Mais pour le reste, elles ont gardé les généreux prêts accordés par la BCE pour elles, recyclant pour l’essentiel, l’argent prêté sur les marchés.
Le financement de l’économie réelle est toujours dans un état comateux. Selon la BCE, les crédits au secteur privé ont enregistré une progression de 0,7 % sur un an en février contre +1,1 % en janvier. « Les injections généreuses de liquidités de la BCE ont pu éviter le risque d’un effondrement des banques de la zone euro (...) et arrêter la contagion sur le marché de la dette souveraine. Néanmoins, elles ne semblent pas avoir eu les effets désirés sur les prêts à l’économie réelle », constate Christian Schulz, économiste de la banque Berenberg.
Le pétrole flambe, l’inflation repart
Le prix de l’essence s’est invité dans la campagne présidentielle, tant la hausse est brutale. Les cours du Brent ont progressé de plus de 15 % en trois mois, pour dépasser les 124 dollars le baril, avec répercussion immédiate sur les consommateurs. Jamais le prix du pétrole n’avait été aussi élevé depuis l’été 2008, juste avant la chute de la banque Lehman Brothers.
Les tensions internationales y sont pour beaucoup : la menace d’un embargo sur l’Iran pèse sur un marché en équilibre précaire. La production peine à suivre l’augmentation de la demande mondiale, portée par les pays émergents. Pour apaiser les tensions sur les cours, l’Arabie Saoudite, premier producteur mondial, s’est engagé la semaine dernière à augmenter de 25 % sa production, si cela était nécessaire. De même, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France sont prêts à puiser dans leurs stocks stratégiques pour éviter la surchauffe. Ces seules annonces auraient suffi en temps normal à calmer les esprits et à faire baisser les cours. Or là, rien de tel.
Car un autre acteur s’est invité dans le jeu pétrolier : le monde financier. Les tombereaux de liquidités déversés par les banques centrales ont toujours le même effet : ils précipitent la course vers les actifs jugés sûrs. En 2010-2011, les politiques de quantitative easing de la Réserve fédérale avaient provoqué une flambée des cours sur le pétrole et les matières premières. En 2012, les prêts de la BCE ont les mêmes conséquences. Les banques comme les investisseurs se ruent vers le pétrole, estimé comme un placement sûr face à l’inflation.
Malaise social
D’ordinaire très attentifs à cette donnée, les dirigeants européens sont soudain muets sur le sujet. Pourtant, les effets d’une hausse brutale du pétrole sur l’économie, toujours aussi dépendante de l’énergie, sont connus de longue date : ils ont déjà provoqué deux chocs pétroliers. Selon le chef économiste de l’AIE, Fatih Birol, si les prix du pétrole restent à leur niveau actuel, cela devrait représenter un coût de 2,8 % du PIB dans les pays européens contre 1,7 % en moyenne entre 2000 et 2010. Compte tenu de l’état de faiblesse actuelle de l’économie européenne, cette surcharge est dangereuse. Des économistes n’hésitent pas à évoquer le retour de la stagflation, comme à la fin des années 1970. Certains pensent que cela pourrait même être pire.
En bon pompier pyromane, le président de la BCE se dit préoccupé par le redémarrage de l’inflation dans la zone euro. Au cours des premiers mois de 2012, celle-ci a dépassé le seuil vénéré des 2 %, pour atteindre 2,5 % en moyenne. Une hausse liée à la seule envolée des prix de l’énergie, et qui se répercute sur tous les prix à la consommation. Mais cela n’empêche pas Mario Draghi de prôner à nouveau la rigueur, pour les Européens naturellement, pas pour le monde financier qui provoque des dérèglements en chaîne par excès de création monétaire.
La politique et le social s’invitent dans la crise
Les historiens et les économistes ont depuis longtemps mis en lumière l’enchaînement : toute crise économique et financière longue finit par se traduire par des crises sociales et politiques. L’émergence des mouvements sociaux, pourtant, a l’air de prendre de court les dirigeants européens.
Leur surprise est d’autant plus étonnante que la déflation sociale pour laquelle ils ont opté ne peut que créer un malaise social grandissant. Les dirigeants européens se sont en effet ralliés aux recommandations du FMI : il faut des réformes structurelles dans la zone euro, pour libéraliser l’économie, fluidifier le marché du travail, et retrouver une compétitivité.
Première touchée par la crise de la zone euro, l’Europe du Sud est la première à expérimenter les mesures préconisées par l’Union européenne, qui ne manqueront pas d’être généralisées par la suite. La Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal se sont tous les quatre engagés sur une réforme du travail, sur le même mode : par décret, leur gouvernements ont choisi d’abaisser les niveaux de protection sociale, faciliter les licenciements, diminuer les salaires. Partout, les syndicats dénoncent la brutalité et l’erreur de ces mesures. Pour eux, ces réformes ne peuvent aboutir qu’à une précarisation accrue des salariés, accentuant encore le chômage plutôt que de le résorber, entraînant une dépression économique plutôt que la reprise.
Jeudi 29 mars, les deux principales confédérations syndicales espagnoles ont appelé à une grève générale. Une première depuis 2010. Des milliers de manifestants ont défilé à Madrid. Le mot d’ordre selon les syndicats était très suivi : le secteur industriel était « presque paralysé », 85 % des salariés travaillant dans le secteur agricole et alimentaire avaient suivi l’appel, les transports routiers étaient bloqués de point en point.
Avant l’Espagne, le Portugal et l’Italie avaient connu aussi des journées et manifestations monstres contre les politiques d’austérité et les réformes du marché du travail. La Confédération générale italienne du travail (CGIL) prévoit d’appeler à une grève générale en mai, pour dénoncer « une politique libérale qui fait payer aux classes moyennes et aux retraités la facture de la crise ».
Parachuté en novembre comme premier ministre, Mario Monti, qui jusque là jouissait d’une popularité incontestée, enregistre une première décrue d’opinions favorables. De 62 % en décembre, sa cote est tombée à 55 %, après l’annonce de la réforme du marché du travail.
Cent jours à peine après son arrivée au pouvoir, le gouvernement de droite espagnol connaît ses premières déconvenues électorales. Alors qu’il prévoyait d’emporter haut la main les élections régionales en Andalousie, son parti n’a emporté, avec 40 %, qu’une majorité relative, à un point et demi seulement du parti socialiste espagnol (PSOE). Sauf surprise, c’est donc un gouvernement d’alliance, en Andalousie, qui sera mis sur pied, entre socialistes et les écolo-communistes d’Izquierda Unida (IU). Pour Rajoy, c’est toute sa politique de coupes budgétaires à l’échelle des communautés autonomes qui se trouve fragilisée : rien ne dit que Séville jouera le jeu des coupes budgétaires.
Cette élection est déjà vue comme un avertissement par les dirigeants européens. Mais, c’est vers la Grèce à nouveau que tous les regards convergent. Des élections législatives sont prévues en avril ou en mai (la date n’est pas encore fixée). Au fil des sondages, les partis traditionnels de gouvernement, droite comme Pasok, reculent au profit de l’extrême droite comme du parti communiste. Même si la droite est encore en tête, elle n’est plus sûre d’être en mesure de former un gouvernement, y compris avec l’appoint du parti socialiste grec. Cette perspective inquiète les dirigeants européens. Au moment où la France est en campagne présidentielle, où l’Irlande s’apprête à tenir un nouveau référendum sur l’Europe à la fin mai, ces responsables, très sensibles à l’opinion publique voient émerger des contestations de leur politique qu’ils n’avaient pas prévues et qui pourraient faire dérailler leurs plans.