Quatre camps incompatibles
Ce n’est pas par hasard que le paysage politique québécois se divise entre quatre principaux partis. Chacun dispose de son terrain spécifique dans un système résultant d’une division sur deux axes : indépendance vs fédéralisme, conservatisme identitaire vs inclusion. La CAQ incarne un fédéralisme conservateur, le PLQ un fédéralisme inclusif, le PQ un indépendantisme conservateur, et QS un indépendantisme inclusif.
Le Parti conservateur dispute à la CAQ son coin fédéraliste et conservateur, ce qui le place dans une position difficile, à moins d’un effondrement, peu probable, du parti de François Legault. L’indépendantisme conservateur du PQ est aussi, sur bien des aspects, une radicalisation de l’idéologie caquiste, à laquelle on ajoute un indépendantisme rituel. Durant la campagne fédérale, les OUI Québec, lieu de coordination des efforts du PQ, du Bloc et des métapéquistes, ont avancé qu’il fallait faire l’indépendance pour se réserver le droit de continuer à pratiquer une politique discriminatoire avec la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21). Ce type de discours rend totalement impossible une convergence sur la question de l’indépendance entre QS et le PQ, en plus de miner nos efforts de reconstruction d’un mouvement indépendantiste progressiste.
QS ne peut pas faire de gains significatifs simplement en faisant appel aux gens qui sont déjà dans son “coin” sur ces deux questions. Il faut viser les gens qui ne s’identifient fermement ni à l’unité canadienne ni à l’indépendance ou qui ont de la difficulté à se positionner dans le débat entre le nationalisme conservateur et une vision pluraliste et inclusive de la nation. Bref, il faut rejoindre les gens qui n’ont pas déjà décidé pour quel parti voter sur la seule base de cette double polarisation.
Oser être à la hauteur de la situation
Pour y arriver, la campagne devra être à la hauteur des grands défis de notre époque et s’inscrire résolument dans la conjoncture. Bien entendu, l’urgence climatique sera en tête de liste. Sur ce terrain, QS doit se démarquer clairement par des cibles ambitieuses de réduction des GES. (Les 45% de réduction en 2030, repris de la campagne de 2018 dans la proposition de la commission politique, ne suffisent plus après quatre ans de détérioration de la situation globale. La commission thématique sur l’environnement propose 65%, ce qui permettrait de respecter les critère du traité de Paris.) À cette cible doivent correspondre un ensemble de mesures qui permettent de l’atteindre : infrastructures vertes, nationalisations, transport actif et transport en commun, etc.
L’autre élément incontournable du contexte est sans conteste la pandémie et tout ce qu’elle a révélé sur le plan des inégalités sociales et de la fragilité de notre système de santé et de services sociaux. Des propositions fortes et claires doivent annoncer la fin des politiques d’austérité, la pleine reconnaissance des métiers du soin et du travail des femmes, ainsi que l’inclusion dans ces services d’une population travailleuse diversifiée (minorités visibles, personnes vivant avec des handicaps, etc.).
Pour une indépendance inclusive et internationaliste
Pour réaliser une transition rapide et juste, nous aurons besoin de tous les pouvoirs d’un État indépendant. En effet, il ne sera pas possible de protéger notre économie contre les pressions des marchés financiers et les règles antidémocratiques des traités de libre-échange si nous n’avons pas le contrôle des institutions financières (notamment en créant notre banque centrale et une monnaie québécoise) et de la politique étrangère, incluant l’ensemble des traités.
À son tour, l’indépendance sera impensable sur la base du nationalisme conservateur qui domine présentement la politique québécoise. Mettre de l’avant une vision inclusive du Québec d’aujourd’hui et du pays à construire est non seulement juste, du point de vue des droits de la personne et de la lutte contre toutes les oppressions, mais stratégiquement sage dans une perspective indépendantiste. Cette vision doit aussi aller de pair avec une solidarité sans faille envers les luttes des peuples autochtones et des peuples du Sud global contre le néocolonialisme et pour la justice climatique mondiale.
Face à l’urgence climatique, les trois autres partis s’entendent sur l’idée que la transition vers une économie plus verte ne doit pas remettre en cause la propriété privée des principaux moyens de production ou le pouvoir des marchés financiers. On préfère continuer à dépasser les limites objectives de la planète que de dépasser celles, historiques et contestables, du capitalisme. Les politiques permettant une transition rapide et juste vont à l’encontre de l’orthodoxie économique néolibérale, de l’acceptation de facto des inégalités de genre (par exemple la procrastination infinie autour de l’équité salariale ou du temps supplémentaire obligatoire), et de la vision capitaliste de l’immigration (cheap labour, citoyens de seconde zone…). C’est pourquoi il n’y a pas de terrain d’entente possible entre QS et les trois autres principaux partis.
Voir la réalité en face
Bref, durant la campagne de 2022, nous devrons oser dire des vérités difficiles à entendre et éviter la langue de bois. L’urgence climatique c’est maintenant et il faut sortir de l’économie fossile au plus vite. L’État canadien est contrôlé par les grandes banques et les pétrolières, il n’est pas réformable de l’intérieur et doit être renversé par les efforts combinés des luttes autochtones, d’un mouvement indépendantiste québécois inclusif et des luttes de toutes les forces sociales progressistes sur l’Île de la Tortue. Cette révolution économique et politique sera difficile, mais ça en vaut la peine si on veut éviter le désastre climatique et ses conséquences probables : le militarisme, l’autoritarisme, bref ce que André Gorz appelait le techno-fascisme.
Québec solidaire doit donc se présenter comme le seul parti qui prend au sérieux l’urgence climatique et est prêt à prendre les grands moyens pour que le Québec fasse sa part, donne l’exemple et prenne un leadership dans la lutte mondiale pour une économie écologique. Il doit donc aussi offrir à la population une vision féministe et de classe des services publics et des programmes sociaux. Il ne s’agit pas modestement d’éviter la détérioration des services et un approfondissement des inégalités, mais de concevoir les services publics et le secteur public de l’économie en général comme les moteurs d’une transformation de nos modes de vie et comme des leviers pour mettre fin à des injustices de toutes sortes.
Le danger principal pour QS dans la présente conjoncture n’est donc pas celui d’une radicalité excessive qui retournerait la gauche dans la marge, mais celui de l’insignifiance de slogans creux, sur le modèle du NPD et des autres vieux partis sociaux-démocrates. Les autres partis seront toujours meilleurs que QS sur le terrain de la raisonnabilité, de la modération, etc. Il faut s’assumer comme le parti des changements fondamentaux qui s’imposent, comme le parti de la révolution québécoise. Nos adversaires vont nous traiter de “woke” et d’utopistes. Mais le vrai réalisme doit commencer par la reconnaissance de la réalité de l’urgence climatique. [1]
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