Ce règlement vise essentiellement à assurer aux policiers et autres services de maintien de l’ordre les moyens pour décourager toute tentative d’occupation des lieux publics tels les parcs municipaux pour des fins de manifestations ou autres moyens de protestation. Il a concrétisé sa vision d’une société policée et autoritaire en encadrant les activités de la Fête nationale pour la rendre sans aucune saveur ni débordements festifs. Et par la bande, il se donne un règlement qui fera partie de l’éventail des lois évoquées pour encadrer le droit de manifester à Québec. Il se défend d’être inspiré par les mesures les plus extrêmes d’une droite autoritaire, mais du même souffle il affirme : “On ne commencera pas à devenir fascistes du jour au lendemain. Il faut être plus intelligents, il faut y aller au fur et à mesure” (3).
Le règlement vient compléter une campagne qui s’est orchestré depuis l’épisode de censure du groupe Mise en demeure (4). Il a été adopté dans l’empressement et la confusion (5). Et il se veut permanent (6). Les mesures de sécurité pour la Fête nationale auront coûté la bagatelle de 1,2 millions $ (7). On ne regarde pas à la dépense lorsqu’il est question de sécurité et de répression. Quitte à larguer la démocratie.
Manifestation du 22 juin
Pourtant, la veille se tenait la plus importante manifestation du mouvement étudiant et citoyen tenus à Québec. Autour de 10 000 personnes s’étaient donné rendez-vous dans une atmosphère festive et combative. Sous un soleil radieux, des étudiantEs de la FECQ, de la TaCEQ et de la CLASSE ainsi que des membres de la CSN, de la FIQ, du SCFP, du SFPQ, des TUAC, de Québec solidaire et bien d’autres organisations syndicales et populaires avaient marché de la colline parlementaire au Vieux-Québec en passant par le quartier St-Jean-Baptiste, la basse-ville, etc.
Les participantEs à la manif ont scandé à satiété les slogans dénonçant la loi 78, la hausse des droits de scolarité, les tendances à l’autoritarisme et à la répression. La dynamique de la manifestation ne laisse présager aucun temps d’arrêt dans la mobilisation.
Cette manifestation a contredit les discours sur l’essoufflement du mouvement de protestation, démontrant au contraire qu’il lui reste amplement d’énergie pour poursuivre la lutte. La foule bigarrée a aussi permis de constater que le mouvement n’est plus seulement étudiant mais touche toutes les franges des classes ouvrières et populaires. Des enfants, des personnes âgées, des familles, des jeunes des écoles secondaires ont rejoint le mouvement pour lui donner une ampleur encore jamais vue à Québec. Pourtant, lors des activités en soirée, un conducteur d’une BMW a menacé les manifestantEs (8). Où était la police ?
La société autoritaire pour quoi ? Pour qui ?
Pas d’alcool dans un périmètre équivalent à toute la zone entourant les Plaines et l’Assemblée nationale. Pas de casseroles sur les Plaines, le lancer de la casserole étant devenu, nous le savons bien, un sport collectif (ironie). Plus de 700 policiers et des dizaines d’agents de sécurité ont contribué à transformer l’endroit en place forte. Vérifications serrées à l’entrée des Plaines et confiscation de tout ce qui pourrait être identifié comme dangereux pour autrui. Comme État policier, on ne fait pas mieux, considérant les abus commis par la police de Québec dans les semaines précédentes lors des manifestations quotidiennes (arrestations de masse, expulsions de lieux publics, censure du groupe Mise en demeure, etc.). Plusieurs personnes étaient justifiées de craindre une répétition de ces événements, compte tenu de la latitude (l’arbitraire) concédée aux policiers.
Quelques jours auparavant, dans un épisode digne des comédies les plus burlesques, nous avons pu assister à la mise en scène du conseil municipal assiégé par les hordes barbares étudiantes et citoyennes. Des citoyenNEs révoltéEs de la tentative antidémocratique d’adopter un règlement qui, sous prétexte d’éviter les débordements et l’abus d’alcool, donne aux policiers les moyens de l’arbitraire (9). Quatre arrestations ont suivi et la critique citoyenne donne 2 minutes pour plongeon au conseiller municipal labeaumiste Steeve Verret. En effet, au visionnement de la séquence, plusieurs se demandent si cette scène n’était pas “organisée avec le gars des vues”, comme on dit.
Ces mesures s’inscrivent dans une série de règlementations qui ont cours depuis plusieurs années. Rappelons que jusqu’au début des années 1990, les gens pouvaient se rendre à la Fête nationale librement avec tout le matériel nécessaire à la fête. L’alcool était libre d’entrer sur les Plaines. Puis un accident malheureux, le décès d’un jeune adulte intoxiqué au PCP, a permis de justifier l’interdiction d’amener de l’alcool sur les Plaines. Cette mesure a plu aux dirigeantEs de la Fête nationale car une telle interdiction permettait aux organisateurs de vendre eux-mêmes de la bière (commanditée) sur place.
Mais ce n’était pas suffisant pour le maire autoritaire de Québec. Maintenant, aucun alcool n’est toléré sur la voie publique, ce qui n’a pas été sans déplaire aux fêtards mais aussi aux commerçants qui ont pignon sur rue dans la zone d’interdiction (10). La baisse de fréquentation n’a pu être attribuée à la règlementation l’année dernière car on a évoqué la pluie comme raison de cette baisse. Cette année, la nature ne peut être évoquée pour cette radicale réduction de l’affluence sur les Plaines. Plusieurs ont tourné le dos à cet événement qui sent de plus en plus le gaz lacrimogène, la matraque et l’arbitraire policier (11). D’autant plus que le spectacle en lui-même a été davantage un éteignoir qu’autre chose. Malgré la présence des Loco Locass et de Paul Piché qui affichaient leurs carrés rouges, les organisateurs ont tenu à revendiquer une “trêve” dans les mobilisations, plaidant pour un rassemblement de tous les Québécois et les Québécoises. Cette invitation à rassembler tout le Québec, de Pierre-Karl Péladeau et la famille Desmarais à la caissière du Wal-Mart ou au prestataire d’assurance-emploi et à l’étudiantE endettéE, sonne creux dans le contexte actuel.
En guise de conclusion, des débordements ont eu lieu malgré les “précautions” prises par l’administration Labeaume. Une personne est entre la vie et la mort suite à une bagarre devant le Musée national des Beaux-Arts du Québec. Des gens ont pu entrer de l’alcool sur les Plaines (12). Alors, tout ça pour rien ? Non, ce qui en demeure, c’est tout l’aspect encadrement règlementaire du droit de manifester. La Ville de Québec possède maintenant un éventail d’outils répressifs. Le service de police offre des formations sur le contrôle de foule. On n’hésite plus à investir dans la sécurité sans craindre l’opposition de la population. On tient un discours agressif en matière de sécurité digne d’une droite tout ce qui a de plus autoritaire, discours relayé par les radios de droite extrême et autres chroniqueurs enragés. Tout ça sans débat démocratique, en diabolisant le mouvement de protestation pour décourager les plus hésitants à s’y joindre. En ce sens, la manifestation du 22 juin aura été, par son dynamisme et la variété de sa composition, une gifle au maire autoritaire de Québec. Mais les citoyenNEs qui tiennent à une société avec encore un brin de démocratie devraient s’indigner de la politique du maire de Québec et se mobiliser dès maintenant contre cette politique.
Notes
4 http://www.lapresse.ca/le-nouvelliste/politique-quebecoise/201206/15/01-4535211-charest-sen-prend-au-groupe-mise-en-demeure.php et http://www.pressegauche.org/spip.php?article10760