Et il fit son appel à ne pas consommer. Calqué sur les campagnes d’épouvante des prohibitionnistes américains qui montraient des oeufs dans une poêle à frire et qui scandaient : « this is your brain on drugs », la politique des caquistes s’inscrit dans une approche dite de l’abstinence. Développant une perception déformée des motivations entourant la consommation de cannabis qui, pour eux, ne peut être que le symptômes de graves problèmes, ils ne voient comme solution que la non-consommation. La consommation dite récréative est pour eux une fausse réalité. La consommation de cannabis ne peut qu’apporter des conséquences négatives.
De plus, le gouvernement caquiste souhaite interdire la consommation du cannabis dans tous les lieux publics. Il empêche la SQDC d’ouvrir des succursales à moins de 250 mètres d’un établissement scolaire. En bref, le gouvernement caquiste tente de réduire au maximum l’impact de la légalisation du cannabis en multipliant les irritants. Pourquoi agit-il ainsi ? Simplement parce que ces élu.e.s n’y croient pas. Qu’au fond, ils et elles s’opposent à cette légalisation et que les circonstances imposent une campagne de dénigrement de cette mesure. Quitte à abuser de la démagogie comme en fait foi l’absence d’argumentaires sérieux qui viendrait appuyer leur prudence.
Leurs prédécesseurs n’ont guère fait mieux, les libéraux avec Carlos Leitão en tête avaient clairement fait savoir dans un premier temps qu’ils n’étaient pas intéressés à ce que l’état québécois en fasse le commerce. « Moi, je n’ai aucun plan, idée, intention de commercialiser ça » avait-il affirmé en février 2016. C’est la réaction typique des éléments les plus conservateurs de la société.
Dans ce contexte, l’approche des caquistes vise à discréditer l’usage de la substance, de limiter l’offre au maximum et de rejeter du revers de la main tout débat s’appuyant sur des éléments scientifiques et rationnels. Lorsque questionné sur les études qui appuient la hausse de l’âge légal, le ministre évoque sa propre expérience. Ils sont plusieurs à souligner les risques à ce que les jeunes se procurent le cannabis auprès du crime organisé, Carmant rejette « l’argument fataliste ». Plus largement, il soutient vouloir protéger la santé mentale des jeunes : « Notre intention est de lancer un message clair aux milliers de jeunes du Québec : le cannabis n’est pas un produit banal, c’est une substance qui affecte le développement de votre cerveau. »
Cette conclusion du ministre est loin de faire l’unanimité. « C’est plutôt parce qu’il s’agit d’une substance comportant des risques, au même titre que l’alcool et le tabac, qu’il est préférable de l’encadrer plutôt que de la laisser sous l’empire du marché illicite. Plusieurs substances comportant des risques, telles que le tabac, sont légales sans pourtant être banales » rétorque Roxanne Houde, médecin-résidente en santé publique et médecine préventive et co-présidente de Jeunes médecins pour la santé publique (JMPSP).
Or, la plupart des intervenant.e.s comprennent que l’enfer étant pavé de bonnes intentions, les conséquences des mesures annoncées par la CAQ n’empêcheront pas les jeunes de se procurer du cannabis, mais qu’ils le feront dans des conditions beaucoup plus risquées. La mairesse de Montréal a bien résumé l’absurdité de la situation : « Le message que les gens doivent comprendre, c’est « le cannabis est légal, vous ne pouvez pas fumer chez vous, et vous ne pouvez pas fumer dans les lieux publics »
Cannabis et schizophrénie
L’épouvantail brandi par les caquistes est le risque de développer des maladies graves, de multiplier les risques de psychoses et de schizophrénie. Et dans cette campagne de peur, ils sont appuyés par une partie du lobby médical. Par exemple, la présidente de la Fédération des médecins spécialistes, Diane Francoeur, a elle-même salué le projet de loi du ministre. Elle a plaidé que la prévalence de nombreuses maladies et troubles de la santé augmente chez les jeunes de moins de 21 ans qui fument du cannabis et que de nombreuses études démontrent les effets délétères que la drogue peut avoir sur leur cerveau. L’Association des médecins psychiatres du Québec et l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec ont ajouté leurs voix à la campagne. Or, les spécialistes et chercheurs de la santé publique sont beaucoup plus prudents à ce chapitre. Certains vont même jusqu’à s’opposer à cette mesure. « Il y a certainement un lien entre les deux, oui, mais sa nature exacte est « une question qui reste en suspens pour l’instant » explique le Dr Marc-André Roy, psychiatre-chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec et spécialiste des psychoses. Mais « ça ne veut pas nécessairement dire qu’il y a un lien de cause à effet » s’empresse t-il d’ajouter. « Le hic, c’est que cela peut vouloir dire (au moins) deux choses. Ou bien la drogue agit comme déclencheur. Ou bien c’est la maladie mentale, un certain mal-être venant avec la schizophrénie qui est en train de s’installer, qui pousse les gens vers la drogue. » De fait, les hypothèses évoquées dans les explication du Dr Roy nous portent à adopter la plus grande prudence face aux affirmations alarmistes des prohibitionnistes. Les recherches disponibles sont loin d’être unanimes quant aux causes et les effets du cannabis sur le développement du cerveau des adolescent.e.s.
Par ailleurs, si les caquistes tiennent tant à protéger la santé mentale des jeunes ados, ils devraient voir à fournir les ressources nécessaires au système de santé pour accueillir et traiter les jeunes qui souffrent de tels problèmes. Or selon la Dr Amal Abdel-Baki, psychiâtre au CHUM qui participait à l’émission 24 heures en 60 minutes sur les ondes de RDI le 5 décembre dernier, la moitié des régions du Québec ne disposent pas de telles ressources. Elle ajoute que le fait de légaliser le cannabis et de pouvoir en connaitre les caractéristiques permettrait de suggérer aux jeunes à risque de se procurer du cannabis à plus faible teneur en THC. Or, en dehors du réseau des SQDC, il est impossible de recevoir une telle information. Bref, la mesure de la CAQ risque de provoquer l’effet inverse à celui désirée : la multiplication des cas de problèmes de santé mentale suite à la consommation de cannabis de mauvaise qualité acheté sur le marché noir par des jeunes de moins de 21 ans. Mais les prohibitionnistes n’ont que faire de la réalité. Ils s’attèlent plutôt à construire une réalité parallèle, celle de la diabolisation du cannabis.
Il faut bien sûr dénoncer cet obscurantisme contemporain. La CAQ comme les conservateurs de tout poil n’ont de repos que lorsque la société est policée de long en large. Opposons-lui un mouvement basé sur la science et la véracité des recherches sur la santé, pas sur les préjugés montés en épingle.
Rappelons que selon la Santé publique du Québec, en 2016, 15,6 % des jeunes du secondaire disaient consommer du cannabis. La proportion de Québécois âgés de 15 à 17 ans qui ont consommé du cannabis au moins une fois dans la dernière année est de 31 % et celle des 18 à 24 ans, de 41,7 %, contre 14 % pour la moyenne nationale.
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