tiré de : Chronique Mon œil édition 10 avril 2017
Ont également pris la parole : Danielle Saint-Louis Michel Pigeon, comme bénéficiaires des SAD.
J’ai toujours eu un problème avec cette appellation de « bénéficiaire » : pour une personne malade, il m’est difficile de voir les soins et services dont elle a besoin comme un accès à des avantages, à des gains, à des privilèges. Mais, passons…
Amir Khadir nous a d’abord informés que selon le ministère, en 2011-2012, il y avait 51 000 personnes qui avaient des services à domicile. Quatre ans plus tard, en 2015-2016, il y en avait 48 000. Raison de la diminution : il y aurait moins de besoins !
J’ai pensé : c’est fou comment une même réalité peut avoir en même temps deux effets contraires. Le vieillissement de la population, que le gouvernement évoque régulièrement pour expliquer la hausse des coûts de santé, causerait en même temps une baisse des besoins en SAD. Incroyable, vous ne trouvez pas ?...
Pour Me Ménard, la différence tiendrait plutôt au fait qu’on a changé, sans débat public, les balises d’évaluation des cas pour déterminer les heures de soins/services appropriées pour répondre aux besoins.
J’ai encore pensé : le ministre pourra toujours dire qu’il n’a jamais donné d’ordre en ce sens, il n’en avait pas besoin.
D’abord, sa fusion des établissements a permis d’« harmoniser » les services en utilisant comme étalon la mesure la plus petite qui existait parmi les établissements fusionnés (le moins d’heures de services, par exemple). La Protectrice du citoyen a confirmé cet état de fait dans un de ses rapports. En a résulté une diminution de l’accessibilité, un recours forcé au privé, OSBL inclus, ou alors une augmentation de la charge des proches aidant.e.s. qui, devons-nous encore le rappeler, sont principalement des femmes.
Ensuite, le ministre n’a eu qu’à ne pas y mettre l’argent nécessaire, puis à dire aux établissements : arrangez-vous avec ça, mais pas de déficit ! Alors, ceux-ci ont fait des choix : déshabiller Pierre pour habiller Paul, laver Pierrette à la débarbouillette pour avoir le temps de laver aussi Jeannette. Et finalement, quoi de mieux que de changer les balises d’évaluation : on ne fait pas de déficit, on fait même disparaître des listes d’attente.
Ne reste plus qu’à saupoudrer quelques argents en disant qu’on augmente les budgets des SAD, comme l’a fait le ministre à la fin de l’été dernier, alors que dans les faits, il a augmenté l’offre de services des entreprises privées ou
d’économie sociale, des services qui ne sont pas gratuits et que les bénéficiaires doivent payer s’ils veulent en bénéficier, ou alors s’en passer.
Me Ménard a expliqué que lorsque des personnes contestent la réévaluation de leur dossier, elles se font répondre que c’est pour une question d’équité avec les autres : pour que tout le monde soit traité pareillement.
Là encore, j’ai pensé que c’est sans doute cette même raison qui a guidé Bombardier dans sa décision d’augmenter la rémunération de ses dirigeants : pour une question d’équité avec les autres administrateurs de compagnies aéronautiques dans le monde. Encore une fois, une même réalité, mais deux effets contraires : pour l’un, l’équité s’applique par en haut, pour l’autre, par en bas !
Et Me Ménard d’ajouter que la majorité des personnes préfèrent se taire de peur de perdre le peu de services qui leur reste.
Puis, madame St-Louis s’est présentée en s’excusant de sa robe de chambre : n’ayant droit qu’à 45 minutes le matin pour se lever et s’habiller et 30 minutes le soir pour l’inverse, elle joint les deux dans un « bloc-repas ». Elle a dit préférer manger plutôt que de l’aide à l’habillement et à l’hygiène.
En quelques mois, sans aucune amélioration de son état de santé, elle est passée de 48 heures de services par semaine à 22 heures. Il lui en coûterait au bas mot 8 700$ par année pour engager une préposée comblant ses besoins : l’aide au repas, les courses pour l’épicerie, etc.
À l’annonce de cette réduction de ses heures de services, « Je me suis sentie les deux jambes et les deux bras coupés », dit-elle. Elle demande au ministre Barrette qu’il lui offre au moins l’aide médicale à mourir. « Parce que c’est carrément ça qu’il fait : il m’a enlevé ma vie », a-t-elle ajouté, avant de réfréner un sanglot.
Quant à M. Pigeon, bien qu’on ne reconnaisse aucune amélioration de son état et qu’aucun miracle n’est à prévoir, on a tout de même coupé ses heures de 39,5 à 27,75 par semaine. Il a déposé une plainte à la Commissaire aux plaintes qui a maintenu la décision du CLSC. Il s’est adressé au Protecteur du citoyen qui a exigé que le CLSC fasse la démonstration que ses besoins seraient comblés en 27,75 h. En attendant, ses services ont été gelés à 32,5 h.
M. Pigeon a expliqué que selon la grille d’évaluation du CLSC, le temps accordé pour le lavage et le séchage de son linge est de 20 minutes ! J’ai essayé d’imaginer à quoi ressemblerait le ministre Barrette s’il se présentait à l’Assemblée nationale habillé avec du linge qui aurait été lavé et séché en 20 minutes, surtout si en plus ses soins d’hygiène avaient été réduits à un lavage à la débarbouillette. Je ne sais pas si ça influencerait le ton de ses réponses aux questions de l’opposition. Plus irrité, peut-être…
Le CLSC a déposé son rapport le 31 octobre dernier, mais M. Pigeon ne peut toujours pas en avoir copie. Et on veut maintenant diminuer ses services à 30h. M. Pigeon dit qu’il a beau faire du « creative accounting », il n’y arrive pas. Il a rappelé qu’en mars 2016, après une sortie de presse avec Jean-François Lisée, qui était alors porte-parole du Parti québécois pour les services sociaux, le ministre Barrette avait déclaré qu’il en coûterait 900 M$ pour combler les besoins en soutien à domicile. « Ben le 900 M$, il est allé le donner à Bombardier… Elle est où la logique ? », a-t-il conclu.
La logique, oui… Encore une fois, je me suis mis à penser au ministre Leitao qui déclarait avoir les moyens de dédommager Petrolia, une entreprise réclamant une compensation de 200 M$ pour renoncer à un hypothétique potentiel du sous-sol de l’île Anticosti. Mais de l’argent pour répondre aux besoins bien réels en SAD des citoyennes et citoyens, ça, le ministre Leitao n’en a pas.
Encore cette réalité aux effets contraire, sans doute… La réalité des vraies affaires.
Puis je me suis souvenu de ce qu’avait dit le ministre Barrette à propos de son indemnité de départ de 1,2 M$ lorsqu’il a quitté la présidence de la Fédération des médecins spécialistes du Québec : « Ceux qui vivent dans un monde économique normal savent que ce genre de choses là existe ».
Un monde économique normal, oui…
Jacques Benoit
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