À l’origine de cette clameur, il y a nous, les étudiants des cycles supérieurs du Département de Langue et Littérature françaises de l’Université McGill. Nous qui, le 19 mars 2012, avons été les premiers McGillois à enclencher une grève générale depuis l’ère Duplessis.
Nous avons derrière nous l’histoire du Québec et cette histoire nous donne raison.
Nous nous souvenons.
Nous nous souvenons que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, signé par le Québec en 1976, reconnaît l’éducation comme un droit fondamental et s’engage à rendre « l’enseignement supérieur accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par
l’instauration progressive de la gratuité ».
Nous nous souvenons que lors de la Révolution tranquille, le Québec avait fait de l’accessibilité aux études une priorité. Nous nous souvenons du rapport
Parent de 1963. Nous nous souvenons des 100 000 étudiants en grève qui, en 1969, ont permis la création des Universités du Québec. Des grévistes qui
ont obtenu un système de prêts et bourses bonifié en 1978. De ceux qui ont fait plier le gouvernement sur la question du gel des frais de scolarité en 1986. Et de ces 200 000 autres qui se sont opposés à la conversion de 103 millions de dollars de bourses en prêts en 2005.
Et nous n’oublierons pas qu’en 2012 les libéraux de Jean Charest ont brisé l’héritage de la Révolution tranquille en annonçant une hausse brutale de 75 %
des frais de scolarité.
La grève n’est pas un privilège, c’est un droit et il n’est pas acquis : il se prend.
C’est maintenant la fin de l’indifférence.
La nécessité de nous battre pour une université abordable découle d’une conscience inquiète de la direction intellectuelle que prend notre collectivité.
Le débat qui occupe le Québec sur la hausse des fraisde scolarité n’est pas l’affaire des étudiants d’un côté et des contribuables de l’autre, mais de l’ensemble des citoyens.
Notre éducation influence et reflète nos façons d’appréhender le monde, de penser notre culture, et d’écrire notre histoire. La place donnée aux paroles
de l’écrivain, de l’artiste, du scientifique, de l’historien, du philosophe et de tous les intellectuels doit être à la hauteur des défis auxquels notre société
doit et devra faire face, aujourd’hui et demain.
Dans la bataille de chiffres qui accapare notre espace médiatique, la littérature, et les disciplines connues sous le nom d’humanités, sont les dernières à être convoquées. Pourtant, la transformation annoncée de
nos universités les affecte directement. La marchandisation des savoirs menace de disparition nos champs de connaissances, déclarés inutiles du
fait qu’ils se monnayent mal.
Mais la valeur de l’université ne se calcule pas selon l’étalon-or. Nous n’avons d’autre choix que de parler une autre langue pour affirmer la place qui lui
revient, et la nôtre dedans.
Par l’indocile littérature, nous revendiquons le droit d’être intempestifs, inactuels, déphasés par rapport aux discours majoritaires, dans une position critique et non cynique face aux coquins qui ne perçoivent pas l’utilité de l’inutilité de notre travail.
Plus il est de gens pour nous dire que notre engagement est de l’énergie dépensée pour rien, plus nous voyons la nécessité de continuer à nous abîmer
pour nos idées.
Le temps est au coeur de nos études. Nous en avons besoin pour lire et pour étudier. Donner un prix au savoir revient à nous imposer la lecture rapide, la
lecture en diagonale, la lecture écumée qui ne laisse au fond de nos esprits que de la lie mal fermentée.
Nous exigeons le droit de perdre notre temps dans les livres, comme nous prenons le temps d’une lutte dont les enjeux n’ont d’égale que la gravité du présent.
Nous sommes enracinés dans une époque, une culture, un lieu auxquels nous tenons, et nous aspirons à en devenir les artisans. Nous embrassons la responsabilité d’écrire notre temps comme une exigence éthique. Nous voulons faire acte de présence, fabriquer la mémoire de ce qui nous arrive,
comme ceux qui nous ont précédés ont façonné la leur.
Nous refusons de laisser s’éteindre notre amour pour ce que nous nommons à la fois culture, langue et nous.
Des choses aussi futiles que les livres contiennent peut-être les choses les plus graves que nous connaissions. Si la fiction et le mythe sont des fabulations, il en va de même de tout discours se réclamant de la vérité. Car nous appartenons sans condition à cette espèce qui a besoin de se raconter
des histoires.
Nos contes nous forgent et nous inventent.
Nous avons conscience de la morosité qui contamine nos esprits, du nombrilisme qui encombre notre avenir et du cul-de-sac dans lequel se dirige notre désir d’exprimer nos ambiguïtés et nos contradictions, pendants langagiers de la complexité du monde tel que nous le concevons.
Nous sommes inquiets de ce que nous devenons. C’est pourquoi nous cherchons à nous résister. Nous résistons à notre accablement dans l’espoir que notre parole reste assez incisive pour imposer les
changements auxquels nous aspirons et ruiner ceux dont nous ne voulons pas.
Nous résistons pour continuer à croire à l’existence d’un monde où la culture et les livres possèdent encore une valeur. Nous nous battons parce que nous
croyons que le monde dont nous rêvons, menacé par la philosophie pernicieuse qui gangrène nos institutions, mérite d’être mis en oeuvre et transmis à nos prochains.
Ce monde existe, nous l’avons entrevu dans les livres.
Nous étions nombreux à nous croire seuls dans nos bouts de pensées fragmentés, nous voyons que nous ne le sommes plus. Nous parlerons partout, et si on nous oppose des portes et des oreilles fermées, nous
sortirons parler dans les rues.
Nous rappellerons au monde que la lettre n’est pas moins universelle que le chiffre. Qu’elle le précède, et qu’elle n’a pas à s’y soumettre. Nous revendiquons le droit à l’insoumission de la lettre par laquelle nous nous constituons en tant que sujets libres.
Parce que nous croyons qu’être lettrés ne se réduitpas à connaître son alphabet. Comprenez donc que nous ne le serons jamais assez.
Quant au chiffre, réglons-lui son compte une fois pour de bon : il n’y a pas de frais de scolarité « artificiellement » bas, il n’y a pas de « juste » part,
il n’y a que des choix.
Nous ne sommes pas « gâtés », nous sommes sains. Nous n’avons pas noirci nos cahiers pour rien. Nous avons appris à penser, et nous voyons clair. Nous
connaissons la valeur du savoir. Nous comprenons que s’il peut être un moyen, il est tout aussi légitimement une fin.
Voici notre choix : que nos richesses et notre travail soient mis en commun pour rendre l’esprit et la lettre accessibles à tous les Québécois, sans discrimination de classe, de sexe, d’âge ou d’origine.
Que notre culture puisse s’épanouir, sans complexes et dans les conditions les plus favorables que nous puissions nous offrir.
Que les épuisés nous laissent la place. Nous brûlons le papier. Nous détenons la parole inattendue.
Voici, EN TOUTES LETTRES, notre réponse à la hausse des frais de scolarité : N O N.
Écrit par l’Association des étudiant(e)s en langue et littérature françaises inscrit(e)s aux études supérieures de l’Université McGill