Édition du 17 décembre 2024

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Politique québécoise

L’insoutenable légèreté d’être souverainiste

« D’abord, il convient de rappeler que le PQ n’est pas indépendantiste. »

Depuis quelques temps, les initiatives se multiplient pour relancer et regrouper le mouvement souverainiste. Les appels se sont faits pressants lors de la dernière campagne électorale pour que "les partis souverainistes" collaborent afin de battre "les partis fédéralistes". La plus récente initiative du Nouveau mouvement pour le Québec (NMQ) avec son Congrès de la Convergence nationale va dans ce sens. Leur appel parle d’un "effort collectif pour réaliser l’indépendance du Québec" et pose comme diagnostic que "l’avènement de l’indépendance est obstrué par des luttes partisanes". [1]

D’abord, il convient de rappeler que le PQ n’est pas indépendantiste. Son option est passée de la "souveraineté-association", à la "souveraineté-partenariat", en passant par le rapatriement de compétences à la pièce, pour aboutir à la "gouvernance souverainiste". Un parti qui s’engage catégoriquement en faveur des traités de protection des investissements étrangers (dits de "libre-échange"), qui est attaché à la monnaie canadienne, qui fait tout pour ne pas froisser les multinationales minières, gazières et autres, ne vise en fait qu’à renégocier les termes de notre dépendance, pas à mener une lutte de libération.

Cette stratégie superficielle reposant sur « l’unité des forces souverainistes » a aussi le défaut de faire abstraction des questions sociales et des divisions gauche-droite du paysage politique, comme si le combat pour briser le carcan du fédéralisme canadien pouvait ne pas avoir de contenu social. Les milieux dirigeants savent très bien qu’il n’en est rien, d’où leur ralliement presque unanime au statu quo constitutionnel, garantie du statu quo social et de leur domination économique.

Aussi, l’idée selon laquelle la "division du vote souverainiste" serait responsable, même en partie, du maintien du Québec dans la confédération est une fabulation pure. Tous les sondages des dernières années montrent que les appuis pour la souveraineté ou l’indépendance, quoique substantiels, demeurent minoritaires. Seules les distorsions de notre mode de scrutin hérité du colonialisme britannique permettent à un parti (souverainiste ou fédéraliste) de remporter une majorité de sièges en ne comptant que sur une minorité des suffrages. La stratégie d’Option nationale qui repose, en dernière analyse, sur une simple élection dans le cadre du système actuel, relève de la pensée magique. Comment en effet espérer briser la résistance de l’État canadien sur la base d’une victoire électorale, possible avec l’appui du tiers d’un électorat peu mobilisé, quand une victoire référendaire (demandant à peu près le double en nombre de votes) est contestée à l’avance par la loi sur la Clarté et la Cour suprême ?

Bref, l’appel du NMQ ne pose aucun diagnostic sérieux sur les raisons des échecs de 1980 et 1995 et de l’impasse dans laquelle se trouve le mouvement. Ce refus de poser les vraies questions est au cœur de la crise intermittente perpétuelle du PQ et de la multiplication des pôles de regroupement nationalistes depuis quelques années. Au fond, ce que ces groupes tentent de faire, c’est de reconstruire une grande coalition souverainiste sans contenu, donc de refaire le PQ en dehors du PQ, ce qu’on pourrait appeler du « métapéquisme ». Ces démarches ont le mérite d’irriter au plus haut point la direction du PQ qui prétend toujours incarner cette vaste coalition. Mais pour ceux et celles qui désirent renouveler le mouvement pour notre libération nationale, il s’agit d’un grand détour pour nous ramener à notre point de départ en forme de cul-de-sac.

Dans son dernier essai, Mathieu Bock-Côté, intellectuel autoproclamé du nationalisme conservateur, affirme avec raison que « l’idée de l’indépendance…a dégénéré sous la forme caricaturale du souverainisme officiel,… ». Il ose dire que « Ce qui reste du souverainisme parlementaire, tout occupé à gérer un fond de commerce électoral, ne sait plus trop quoi faire de son option. » Je partage également son diagnostique à l’effet que « Avec la Révolution tranquille, l’indépendance est passée de rêve à idée à projet. Aujourd’hui, elle fait le chemin inverse. » [2] J’ajoute que non seulement la souveraineté n’est plus un projet concret pour le PQ et les péquistes, mais qu’il a été réduit à un simple marqueur identitaire, comme un macaron ou un ruban de couleur. On a vu d’ailleurs avec quelle facilité le caucus du PQ pouvait porter le carré rouge pendant les semaines les plus intenses de la grève étudiante de l’an dernier, puis se l’interdire jusqu’à l’élection, puis s’essuyer le derrière avec, en écartant à l’avance la perspective de la gratuité scolaire et en jouant avec les mots sur le gel.

En fait, le PQ et le Bloc en sont rendus depuis quelques années à une stratégie politique fondée sur la simple "identification" avec la cause souverainiste. Il faudrait voter pour ces deux partis parce qu’ils "sont" souverainistes. Le fait qu’ils ne prennent aucun engagement ferme allant dans le sens de la réalisation du projet ne devrait pas être pris en compte.

Lors du débat des chefs, Mme Marois disait, essentiellement, quand on lui a posé une question sur l’éventualité d’un troisième référendum : "Faites-moi confiance, je suis souverainiste, j’aimerais en tenir un (référendum) et j’en tiendrai un quand je penserai pouvoir le gagner." Maintenant, son parti prépare une campagne de promotion de l’idée de la souveraineté. Mais si on se fie à leur travail antérieur, on ne devrait pas placer beaucoup d’espoir dans cette initiative qui sera sans doute aussi vide de contenu social, démocratique ou autre que l’entente à la base du dernier référendum.

Quand les sondages ont commencé à indiquer un tournant des intentions de vote vers le NPD, durant l’élection fédérale de 2011, les ténors du Bloc ont également eu recours à cet appel identitaire. Toutes les électrices et tous les électeurs qui "étaient" souverainistes devaient voter Bloc simplement à cause de cette identification du parti à la cause, indépendamment de la réalité politique et de l’absence de conséquences concrètes allant vers la souveraineté advenant leur victoire. Le fait que le tiers de l’électorat souverainiste ait décidé de voter NPD à partir d’autres considérations (comme de chercher une alternative gouvernementale face aux Conservateurs) a été reçue par plusieurs comme une aberration, un comportement irrationnel. En fait, ce vote avait bien plus de substance et de conséquences possibles que le vote pour un parti affirmant "défendre les intérêts du Québec", comme si tout le monde, au Québec, avait les mêmes intérêts.

L’exemple ultime de ce nouveau souverainisme identitaire est sans doute le ralliement de François Rebello à la CAQ. Lors de la conférence de presse annonçant sa décision, l’ancien député péquiste s’est justifié en affirmant qu’il "était" toujours souverainiste et que pour lui, l’élection d’un gouvernement caquiste allait préparer le terrain pour la souveraineté. Lucien Bouchard ne parlait pas différemment en affirmant, en 1996, que l’élimination du déficit faisait partie des "conditions gagnantes".

Face à cette vision de la souveraineté dont la minceur atteint maintenant des niveaux bidimensionnels, il est urgent de retourner aux sources et de refonder le mouvement pour la libération nationale du Québec sur des perspectives stratégiques claires et un projet ayant de la substance. C’est ce que Québec solidaire a commencé à faire en mettant de l’avant le projet d’une assemblée constituante, un processus profondément démocratique d’élaboration du contenu de notre projet national. C’est aussi ce que Québec solidaire a fait en développant l’idée du "pays de projets", en faisant de l’indépendance un moyen pour arriver à réaliser des objectifs correspondant aux ambitions et aux valeurs de la majorité. 

Il faut en finir avec cette notion de la "grande famille souverainiste". Certaines des forces politiques qui portent cette étiquette ne s’engagent à rien pour le moment, et ne promettent pas grand chose de neuf même advenant la réalisation de leur modeste objectif. Cette stratégie a été essayée pendant quarante ans et a échoué. Le PQ au pouvoir depuis quelques mois nous rappelle quotidiennement pourquoi nous avons cru nécessaire de fonder un nouveau parti et de proposer une alternative indépendantiste de gauche. Quand à Option nationale, ses partisans font face à un choix. Soit ils et elles optent pour la construction d’un groupe de pression qui fera des pieds et des mains (en vain) pour pousser le PQ à s’engager dans une lutte pour l’indépendance, soit ils et elles décident de travailler avec Québec solidaire et d’autres au renouvellement du mouvement, tant sur le plan du pourquoi que du comment arriver à l’indépendance. 

Un grand écart allant de QS au PQ en vue de favoriser l’élection d’un gouvernement majoritaire "souverainiste" ne contribuerait en rien à mobiliser la population pour un changement politique aussi majeur que l’indépendance. Une telle alliance serait sans principes, sans perspective, et ne ferait que brouiller encore davantage un paysage politique déjà confus et générateur de cynisme. Dans un prochain texte, nous aborderons la question de pourquoi faire l’indépendance, en développant un argumentaire à la fois internationaliste et ancré dans notre histoire, à l’opposé de l’argumentation étroitement nationaliste et bêtement consumériste des péquistes.


[1Documents d’invitation à la Convergence nationale http://www.convergencenationale.org

[2et pose comme diagnostic que "l’avènement de l’indépendance est obstrué par des luttes partisanes".[[ Documents d’invitation à la Convergence nationale http://www.convergencenationale.org

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