« Ce qui m’est attribué est faux. Je n’ai jamais reçu, ni distribué d’argent noir au sein de ce parti, ou ailleurs. Je le dis en toute sérénité », a déclaré le Galicien, à la sortie d’un conseil extraordinaire des responsables du PP à Madrid (lire l’intégralité de son intervention en espagnol). Il a promis la « transparence absolue » sur les comptes du premier parti d’Espagne, tout en refusant de répondre aux questions de journalistes présents, une fois son discours prononcé au siège du PP.
L’affaire, si elle se confirme, pourrait bien ébranler l’édifice du PP tout entier. Les démentis catégoriques de Mariano Rajoy ne suffiront pas à calmer la tempête, dans une Espagne frappée de plein fouet par la crise, lessivée par des années d’austérité, où les citoyens sont fatigués par des scandales de corruption à répétition.
« La parole de Rajoy a perdu toute crédibilité », a réagi Ignacio Escolar, le rédacteur en chef du journal en ligne El Diario, peu après l’intervention du premier ministre, dans un éditorial très remonté. Pour le chef de l’opposition socialiste Alfredo Perez Rubalcaba, « Monsieur Rajoy a donné très peu d’explications, mais il a multiplié les accusations : tout le monde ment, sauf lui, tout le monde est coupable, sauf lui, tout le monde attaque l’Espagne, et il est le seul à la défendre. Des accusations partout, des explications aucune ! ».
À gauche du parti socialiste, le député Alberto Garzon, membre des écolo-communistes de Gauche unie (IU), et ex-figure du mouvement « 15-M » des indignés, s’en prend, lui, à la mise en scène du PP : « Un président qui ne répond pas aux questions est une insulte au concept de démocratie. Nous ne pouvons accepter que cela se normalise. »
Preuve que l’heure est grave, la numéro deux de l’exécutif, et porte-parole du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, était montée au créneau, vendredi, pour défendre son chef, et tenter, en vain, de faire baisser la tension : « Cela fait douze ans que je travaille avec Mariano Rajoy. (...) Ce que j’ai vu a toujours été une conduite exemplaire, je ne l’ai jamais vu transgresser une norme. »
Un pactole supposé de 270 000 euros pour Rajoy
Le feu couve au siège du PP depuis le 18 janvier. Le quotidien de centre droit El Mundo est le premier à avoir sorti un pan de « l’affaire Barcenas », du nom de Luis Barcenas, gérant puis trésorier du PP pendant dix-huit ans, accusé par la justice espagnole d’avoir détenu un compte en Suisse sur lequel ont transité jusqu’à 22 millions d’euros. D’après le journal, qui cite plusieurs sources anonymes, Barcenas aurait en fait puisé dans ce magot pour verser des « compléments de salaires » à certains dirigeants du parti. Des enveloppes comprises entre 5 000 et 15 000 euros, pour gonfler les rémunérations officielles.
Des mails émanant de banquiers genevois (de la Dresdner Bank) ont également été révélés par la presse. Ceux-ci montrent les dessous de la gestion des comptes offshore du trésorier du PP, considéré par la place financière de Genève comme un « PEP ». Une personnalité politiquement exposée...
Mais l’affaire s’est accélérée avec la publication par El Pais, photos à l’appui, des cahiers manuscrits de Barcenas, et d’un autre trésorier du PP, Alvaro Lapuerta (aujourd’hui décédé), qui couvrent la période allant de 1990 à 2008. Cette cagnotte aurait été constituée au fil des années par des dons officieux de chefs d’entreprise, principalement dans le secteur de la construction, sans doute dans le but de remporter plus facilement des marchés publics.
On retrouve par exemple les noms des patrons de deux géants internationaux du BTP espagnol, OHL et Sacyr Vallehermoso (respectivement pour des dons de 530 000 et 480 000 euros). Les deux groupes ont démenti. Parmi les entreprises citées, certaines étaient déjà impliquées dans un autre scandale, l’« affaire Gürtel », qui avait déjà malmené, en 2009, bon nombre de cadres locaux du PP – tout en épargnant sa direction.
Surtout, El Pais contredit El Mundo sur un point explosif. Dans son édition du 18 janvier, le quotidien conservateur avait assuré que Mariano Rajoy n’était pas concerné, et qu’il avait même mis fin, à son arrivée à la présidence du parti, à ces mécanismes de rétribution. Pourtant, si l’on en croit les cahiers reproduits dans El Pais, le nom de Rajoy apparaît bien à plusieurs reprises.
L’actuel premier ministre aurait ainsi touché l’équivalent de « 25 200 euros par an » de 1997 à 2008, sans avoir, évidemment, à les déclarer. Soit un pactole de... 277 200 euros. Le Galicien, successeur peu charismatique de José Maria Aznar, est à la tête du PP depuis octobre 2004, et dirige le gouvernement depuis sa victoire aux élections générales de novembre 2011.
D’autres grands noms de la politique espagnole, comme Maria Dolores de Cospedal (secrétaire générale du PP, et présidente de Castille-La-Manche), ou encore Ana Mato, l’actuelle ministre de la santé, désormais sur la sellette, apparaissent également dans les fameux carnets.
Si on lit la loi de financement des partis politiques en vigueur à l’époque en Espagne (de 1987 à 2007), les formations n’étaient autorisées à recevoir, « directement ou indirectement », d’apports supérieurs à dix millions de pesetas, soit environ 60 000 euros. Il était également interdit de bénéficier de fonds versés par des entreprises privées qui seraient sous contrat avec l’administration publique.
Les socialistes prudents
Ce système de financement parallèle, s’il est avéré, a donc permis de contourner, pendant des années, en toute illégalité, ces deux interdits. Les deux tiers des entrées de cash consignées dans les cahiers dépassent en effet largement le seuil des 60 000 euros, et beaucoup des entreprises concernées travaillaient pour les collectivités locales tenues, notamment, par le PP.
Dès la publication jeudi des « carnets Barcenas » (ci-contre), le PP a crié à la « manipulation », estimant qu’il s’agissait là d’une opération de diversion, alors que le gouvernement est en train de gagner la bataille contre la crise. Certaines figures respectées du parti (le président de Galice, Alberto Nunez Feijoo, ou l’ex-patronne du PP madrilène Esperanza Aguirre) ont toutefois exhorté le PP à faire toute la lumière et lancer sans attendre des enquêtes sur l’étendue de ce financement illégal.
Certains conservateurs mis en cause dans les carnets ont par ailleurs reconnu l’exactitude de la transaction. C’est le cas, par exemple, de l’actuel président du Sénat, Pio Garcia Escudero, bénéficiaire en 2001 d’une enveloppe de cinq millions de pesetas (environ 30 000 euros). Ce dernier prétend qu’il s’agissait d’aider à la reconstruction de sa résidence madrilène, endommagée l’année précédente par un attentat de l’ETA, et qu’il a, par la suite, remboursé ce « prêt » au parti.
Il est difficile de mesurer l’onde de choc que risque de provoquer une telle affaire sur la vie politique espagnole. L’opposition socialiste hésite entre la prudence et l’attaque. Le PSOE a choisi, pour l’instant, de ne pas appeler à la démission de Mariano Rajoy. Même si l’un des proches de Rubalcaba reconnaît, dans les colonnes d’El Pais, qu’« il est évident, si le président de l’exécutif a commis une illégalité, qu’il ne pourra pas rester président » (le PSOE a finalement appelé à la démission de Rajoy ce dimanche, lire la boîte noire de l’article, ndlr).
Du côté de la Gauche unie (IU), Cayo Lara, le secrétaire général, estime que les conservateurs sont en train de préparer le terrain à une « explosion sociale », référence au ras-le-bol que ressentent beaucoup d’Espagnols à l’égard d’une classe politique de plus en plus corrompue à leurs yeux. Une pétition appelant à la démission du chef de gouvernement, mise en ligne sur le site Change.org, a déjà récolté plus de 600 000 signatures.
Mariano Rajoy doit se rendre lundi à Berlin pour rencontrer la chancelière Angela Merkel. Il n’échappera pas, cette fois, aux questions des journalistes sur son implication dans les « carnets Barcenas ».