Au premier coup d’œil, l’entente semble bénéfique pour tout le monde : elle est présentée comme un « win-win scenario ». Le gouvernement, qui aura besoin de certaines infrastructures – dans ce cas-ci le système léger sur rail (SLR) sur le futur pont Champlain et le transport entre le centre-ville de Montréal et Montréal-Ouest – demandera à la Caisse si elle est intéressée de prendre sous ses ailes un projet. La CDPQ, qui gère un actif de 214,7 G$, examinera le dossier et pourra ouvrir ses coffres pour des projets d’infrastructures qu’elle jugera profitables et pourra investir dans ces derniers. La Caisse fera un appel d’offres pour les entrepreneurs et investisseurs, financera majoritairement la construction de ces projets (en promettant, bien sûr, qu’il n’y aura pas de dépassement de coûts), construira avec ses partenaires les infrastructures, les maintiendra et les entretiendra par le biais d’une entente avec le soumissionnaire retenu. En somme, la Caisse sera maître d’œuvre dans ces projets. Ceci dans le but de permettre au gouvernement qu’il ne s’endette pas davantage tout en assurant des infrastructures nécessaires.
Mais parlons-nous encore ici d’institutions publiques ?
À première vue, ceci ressemble beaucoup à la formule des PPP dans laquelle le consortium privé doit en principe financer entièrement le projet d’un coup. Le gouvernement lui versera par la suite une sorte de loyer annuel pendant un certain nombre d’années déterminées à l’avance. Durant cette période, c’est au partenaire privé de gérer et d’entretenir l’infrastructure en question. Au terme de ce « bail », le partenaire privé remet les clefs au gouvernement et ce dernier commencera à gérer la chose lui-même. On sait que les PPP ont été désastreux autant sur le plan financier qu’en terme de relation de confiance avec la population. L’IRIS a d’ailleurs publié une note sur cette question.
Il fallait donc repenser un nouveau modèle néolibéral de financement pour la construction d’infrastructures publiques. Toutefois, il y a une grande différence entre ces deux modèles. Dans les PPP, c’est le partenaire privé qui doit emprunter. Or, le taux d’intérêt duquel jouissent les investisseurs dans le privé est le double de celui dont l’État bénéficie. On parle d’environ 10 % contre 4 %. Ces taux d’intérêt élevés sont comptabilisés dans l’administration de ces projets et les rendent, par le fait même, plus dispendieux. La CDPQ, en retour, a de très bons taux d’intérêt sur ses emprunts.
Alors, il est « win-win » ce scénario ? Certains diront que c’est le cas en invoquant le fait que l’État ne s’endette pas davantage, que nous allons avoir les infrastructures dont nous avons besoin, que ça ne coûtera pas cher parce que la Caisse a droit à des taux d’intérêt peu élevés et que les profits qui entreront dans les poches de la Caisse reviendront de manière indirecte aux Québécois.e.s.
Puisque la Caisse a plutôt bonne presse, en grande partie parce qu’elle est une institution qui a eu de bons rendements ces dernières années, plusieurs vont penser que le fait qu’elle devienne propriétaire de ces infrastructures signifiera forcément que ces éléments seront bien gérés. « On time, on budget », comme dirait l’autre. Cela dit, seul le temps nous dira si cette promesse tiendra la route.
D’une manière ou d’une autre, il faudrait calmer nos ardeurs. En examinant de plus près cette entente, nous nous rendons compte que tout n’est pas si magique et que derrière cette formule de financement des infrastructures se cache la fondation d’une institution, « la CDPQ Infra », qui facilite le processus de privatisation de nos institutions.
D’une part, une tension en matière de finalité est à l’œuvre ici. D’un côté, la finalité des infrastructures publiques est de mettre en place des installations, des systèmes et de l’équipement de qualité et de moindre coût en vue de fournir des services publics à la population : des routes, des chemins de fer, des monorails, des hôpitaux ou des écoles.
De l’autre côté, la finalité de la Caisse est de développer l’économie du Québec et d’afficher de bons rendements pour ses déposant.e.s. Avec cette entente, on lui donne un nouveau mandat qui est celui d’exploiter des infrastructures desquelles elle prendra possession. Pour ce faire, la Caisse lancera la filiale « CDPQ Infra » qui sera pour les infrastructures ce qu’Invanhoé Cambridge est pour l’immobilier.
De là vient un problème important. La Caisse ne peut qu’exploiter une infrastructure si c’est profitable de le faire. Ce n’est donc pas un hasard si dans les principes directeurs de l’entente entre le gouvernement et la Caisse, on retrouve ce passage sur la propriété des actifs :
« 3.5 Propriété des actifs
3.5.1 Les biens corporels et ouvrages acquis, construits ou exploités demeurent ou deviennent propriété de la Caisse.
3.5.2 Une option d’achat à la juste valeur marchande sera octroyée au Gouvernement afin de permettre la rétrocession des biens corporels et ouvrages. L’achat des actifs par le Gouvernement sera à sa discrétion. La période d’exercice de cette option devra être prévue dans chaque entente définitive.
3.5.3. – Un droit de première offre sera octroyé au Gouvernement dans le cas de transaction de changement de contrôle pour chaque projet. La Caisse ne peut céder en tout ou en partie ses droits, titres et intérêts dans les terrains constituant l’assiette d’une infrastructure de transport collectif avant la fin des travaux de construction. »
Il faut comprendre que la Caisse n’est pas un investisseur ayant plus à cœur le bien commun qu’un autre. Elle cherche à générer des profits. Si, par exemple, vendre une infrastructure tel le SLR du nouveau pont Champlain est profitable pour elle, la vente aura lieu. Elle proposera d’abord à Québec d’acheter le SLR. Si Québec refuse ou ne peut se permettre d’acheter, la Caisse pourra le vendre à un investisseur privé.
Cette entente n’est pas un PPP. Ça va plus loin. C’est une nouvelle forme de privatisation avec un partenaire privilégié qui s’adonne à être une instance publique indépendante du gouvernement. Le hic, c’est qu’on ouvre la porte pour que cette instance revende aisément les infrastructures nécessaires pour les services publics à des investisseurs privés.
On parle ici de la privatisation de nos infrastructures publiques et de nos institutions de manière beaucoup plus importante que ce fut le cas avec les PPP tout en entretenant l’illusion d’être encore dans le paradigme des services publics.
Il ne faut pas être dupé par cet écran de fumée. Nous sommes en présence d’une manière de faire qui s’inscrit parfaitement dans la logique néolibérale. Pour bien comprendre ce qui se passe, il faudra faire l’effort de la nommer pour ce qu’elle est réellement : une entente qui facilite la privatisation des infrastructures publiques.