Le 28 novembre dernier ont eu lieu les élections présidentielles et législatives en République démocratique du Congo (RDC). Ce rendez-vous électoral est le deuxième dans l’histoire de ce géant africain, indépendant depuis 1960. Près de 32 millions d’électeurs étaient attendus pour ce scrutin dans quelque 64 000 bureaux de vote. Pour les législatives, prévues le jour même, 500 sièges étaient disputés par 18 334 candidats en lice. Des chiffres énormes. Lors de ces élections, l’Eglise catholique a joué un rôle important : la conférence épiscopale nationale du Congo s’y est engagée à déployer, de concert avec les autres confessions religieuses et le Centre Carter (ONG étasunienne), une mission d’observation de 30 000 observateurs. La conférence des évêques catholiques du Canada a, de ce fait, répondu à l’appel de sa consœur congolaise en envoyant une délégation composée de 5 personnes, organisée par l’organisme Développement et paix et au sein de laquelle a fait partie le secteur Vivre ensemble du Centre justice et foi que j’ai représenté.
Finalement, après plusieurs jours de retard, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annoncé la victoire de Joseph Kabila avec 48,95% des voix contre 32,33% à l’opposant Etienne Tshisekedi, qui a rejeté ce verdict et s’est autoproclamé président élu de la RDC. Une telle élection est possible, car la majorité présidentielle au pouvoir à Kinshasa a voté au début de 2011 une modification de la Constitution et de la loi électorale permettant d’être élu à la majorité simple à un tour. Ce tripatouillage constitutionnel a soulevé le courroux de l’opposition et d’organisations de la société civile, cela n’y changera rien.
L’émergence de deux opposants, capables d’une alliance au second tour pouvant inquiéter le président Kabila en exercice, a pesé aux yeux des Congolais dans cette révision : d’une part, Etienne Tshisekedi de l’UDPS qui concourt cette année après avoir boycotté l’élection de 2006 ; de l’autre, le bouillant Vital Kamerhe, ancien secrétaire général du parti présidentiel, le PPRD, et ex-président de l’Assemblée nationale, aujourd’hui à la tête d’un parti d’opposition, l’Union pour la nation congolaise (UNC) et de la coalition Alternance et qui brigue les voix sur le fief du nord et du sud Kivu où Joseph Kabila, dont il aura été le propagandiste, avait été plébiscitée en 2006, mais, au final, l’opposition sera partie affronter le clan Kabila en rang dispersé.
Sur les élections
Le centre Carter et la mission d’observation de l’Union européenne (MOE-UE), s’ils relèvent des anomalies et de nombreuses irrégularités entourant l’opération électorale, se refusent à se prononcer sur le fait de savoir s’il y avait eu fraudes à grande échelle ou dysfonctionnements. La MOE-UE a souligné qu’en dépit des recommandations faites en 2006 par la majorité des missions d’observation, près de 3,2 millions d’électeurs ont voté sur des listes de dérogation ou d’omis, soit plus de 17% du total des votants. Une autre interrogation existe au niveau des listes de délivrance des cartes. Les différences entre les nombres d’inscrits sur le fichier électoral selon les provinces suscitent la méfiance. La CENI a recensé 32,02 millions de votants, contre 25,70 millions cinq ans plus tôt, une hausse de 25%, supérieure à la croissance démographique. La réaction la plus vive de l’Eglise catholique, acteur majeur de la société civile congolaise, est venue de Laurent Monsengwo, archevêque de Kinshasa qui a déclaré le 12 décembre que « les résultats annoncés par la CENI ne sont pas conformes à la vérité ni à la justice ». A vrai dire, qu’il s’agisse de la CENI, que dirige le pasteur Daniel Nguy Mulunda, cousin de l’actuel président, ou de la Cour suprême congolaise, qui vient de valider ce scrutin, il n’y a guère de raison de se surprendre d’une telle complaisance : dans les deux cas, il s’agit de chambres d’enregistrement inféodées aux caciques de l’élite politico-économique interne. Dans ce contexte, les grandes puissances semblent largement embarrassées : les communiqués officiels des différentes chancelleries rechignent à donner un satisfecit au président Joseph Kabila.
Un pillage éhonté au profit des multinationales
Toujours est-il que ce nous avons observé sur place témoigne largement de la volonté de la population congolaise de prendre en main de façon souveraine l’avenir du pays pour en finir avec la corruption et le bradage des ressources. La longue lutte de la société congolaise pour la démocratie et une plus grande justice ne date pas d’aujourd’hui, elle remonte au début des années 1990 avec notamment l’épisode des conférences nationales souveraines qui émergent en Afrique. Mais les grandes puissances avaient d’autres plans pour ce pays : il fallait trouver un remplaçant durable à Mobutu pour continuer de piller la RDC en toute quiétude.
Une part de la responsabilité de ce pillage silencieux et éhonté incombe en partie à l’Etat congolais lui-même, faible et corrompu. Mais cela ne suffit pas. Cet Etat est mis en tutelle au milieu des années 1990 par les armées du Rwanda et de l’Ouganda qui agissaient pour leurs intérêts et pour le compte de leurs parrains anglo-saxons, soucieux d’installer l’après-Mobutu. On apprendra plus tard que des ambassades occidentales ont encouragé la marche de ces armées sur Kinshasa, cachées derrière l’Alliance des forces démocratiques de libération (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila (père de l’actuel président), en ordonnant aux militaires de Mobutu de ne pas offrir de résistance.
C’est dans ce contexte que Kabila père consentira des contrats léonins à des firmes minières étrangères alors qu’il marchait encore sur Kinshasa et n’était même pas installé au pouvoir. Or, Laurent-Désiré Kabila tente plus tard de s’affranchir de la tutelle rwando-ougandaise en prenant l’aide de l’Angola, du Zimbabwe et de la Namibie. Le Zimbabwe et la Namibie étaient deux pays qui se libérèrent quelques années plus tôt du régime d’apartheid qui s’effondre en 1994 par la prise du pouvoir en Afrique du Sud par le Congrès national africain (ANC).
S’ensuit la guerre, durant laquelle Américains et Britanniques et dans une moindre mesure le Canada, grands alliés de l’Ouganda et du Rwanda, manœuvrèrent au Conseil de sécurité de l’ONU pour mettre le Congo sous une autre tutelle, celle de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc), aujourd’hui appelée Monusco.
Cette dernière dispose de 20 000 hommes et d’un milliard de dollars par an. Elle est dominée par des Sud-Asiatiques, tous des anglophones coupés des Congolais et aptes à transiger avec les Ougandais et la nouvelle élite anglophone du Rwanda. L’installation de la Monuc donnera lieu, en 2003, à un accord de paix qui obligea le Congo à intégrer toutes les milices à la solde du Rwanda et de l’Ouganda dans son armée et tous les chefs rebelles dans son « gouvernement de transition ».
Sur le modèle de l’American Mineral Fields International (AMFI), une société créée en 1995 et enregistrée à la fois dans l’Arkansas, à Londres, à Vancouver et à Toronto, ces firmes ont fait main basse sur d’importants gisements miniers et ont utilisé une petite partie de leurs gains en bourse pour financer la guerre elle-même.
Il en découle une logique de privatisation de guerres de pillage, avec des armées dotées de mercenaires comme Executive Outcomes (EO) et Defense Systems Limited (DSL). Face à cela, la Commission Lutundula, chargée par le Parlement de transition congolais d’examiner les accords économiques et financiers conclus depuis 1996 a relevé, en 2004, que « les différents codes miniers, forestiers et des investissements pêchent par l’absence de structures de contrôle ».
« L’absence d’un Etat exerçant une autorité réelle partout, la situation de guerre et l’instabilité politique créent une opportunité de prédation à grande échelle qui transforme le Congo en un espace économique de libre-service où se croisent les réseaux les plus divers et les hommes d’affaires de tous horizons pour l’exploiter », ajoute la même commission. Aujourd’hui, les forces les plus critiques du Congo sont animées par une réelle volonté de prendre en main leur destin en infléchissant la domination étrangère. Même la délicate question rwandaise est abordée de plein fouet : le tabou arguant que le Rwanda de Paul Kagamé soit « inattaquable » et « sans reproche » à cause du génocide des Tutsis (et des Hutus modérés) ne tient plus.
Dans ce contexte, le pouvoir a « revisité » en 2007 de nombreux contrats miniers : au nombre des contrats résiliés et renégociés figurent des compagnies minières canadiennes comme First Quantum et Banro, les sud-africaines AngloGold Ashanti et Gold Fields, l’américaine Freeport-MacMoRan, et la britannique Mwana Africa.
Récemment, Eric Joyce( ), président du groupe parlementaire multipartite du Parlement britannique, a révélé que des marchés importants sont remportés dans des conditions peu transparentes par des sociétés immatriculées aux Iles Vierges britanniques proches de l’homme d’affaires israélo-américain, Dan Gertler. On estime à 5,5 milliards de dollars le manque à gagner pour le Congo dans le bradage de ces contrats. Tout cela se fait dans un contexte mondial de mutation géopolitique faisant en sorte que les pays occidentaux se trouvent bousculés dans leurs pré-carrés traditionnels. L’arrivée de la Chine avec laquelle la RDC a signé des contrats de près de 10 milliards de dollars sur plusieurs décennies en retour de projets d’infrastructure en est un exemple. En 2011, les entreprises chinoises, comme la China Railway Engineering Company ont notamment entamé la construction de grands axes à Kinshasa. Même si le peuple congolais est dans une posture prérévolutionnaire, le pouvoir local semble loin des aspirations populaires, mais il est clair que ce peuple ne tolérera pas indéfiniment le néo-mobutisme actuel.
Les Etats occidentaux devront se résigner à terme à des rapports plus égalitaires avec cette région du monde. Les puissances occidentales qui feignent de dénoncer « les irrégularités de Kabila » étaient pourtant plus entreprenantes en Côte-d’Ivoire face au régime de Laurent Gbagbo ! Au-delà de ces élections, en RDC se dessine surtout l’avenir de l’Afrique. Des analyses relèvent « qu’au moment où l’Empire déploie l’Africom ( ), pousse le Kenya à guerroyer en Somalie et s’emploie à détourner le printemps arabe en sa faveur en jouant la carte islamiste, les Congolais renouent avec la ferveur démocratique de la Conférence nationale souveraine d’il y a 20 ans. Ce pays dispose d’importantes ressources minières ». Il a aussi un potentiel agricole et hydraulique énorme qui le rendrait capable de nourrir et d’électrifier tout le continent. D’où son surnom de « Brésil africain », mais il faut d’abord que les Congolaises et Congolais reprennent contrôle de leur pays et installent un Etat fort qui mette les ressources nationales au service du développement » ( ).
* L’auteur, politologue, est responsable du secteur Vivre ensemble du Centre justice et foi : un centre d’analyse sociale basé au Québec : (www.cjf.qc.ca). Il a fait partie d’une mission d’observation durant les élections congolaises).
Notes
-1- Des hommes proches de Bill Clinton et de l’ancienne secrétaire d’Etat Madeleine Albright comptent parmi les fondateurs de l’AMFI. Pour en savoir plus : http://www.cadtm.org/Le-Canada-en-Republique
-2- Communiqué de presse du bureau d’Eric Joyce en date du 18 novembre 2011 sous ce lien :
http://ericjoycemp.files.wordpress.com/2011/11/summary-5-5m-loss-french-version.pdf
-3-Voir Mouloud Idir, « l’Afrique dans la mire des Etats-Unis » sous ce lien :
http://www.cjf.qc.ca/fr/relations/article.php?ida=532
-4- Mauritius Times, 2 décembre 2011.
tiré de El Watan