Pourquoi l’Autorité palestinienne (AP) va-t-elle demander l’adhésion d’un État de Palestine à l’ONU, la semaine prochaine ?
Elle demande cette reconnaissance à l’ONU parce qu’elle a l’impression que tout ce qui a été entrepris jusqu’à présent a échoué. Les négociations sont au point mort depuis plus de 10 ans, et la tentative de construire un État « par le bas », qui a été la ligne du gouvernement de Salam Fayyad [Premier ministre de l’AP depuis juin 2007] a en grande partie échoué.
L’idée qui sous-tendait cette doctrine originale était celle-ci : malgré la persistance de l’occupation, on construit des infrastructures qui deviennent, de facto, « un État » que la communauté internationale peut ensuite reconnaître comme tel. Ce n’est pas la fin de l’occupation qui permet l’établissement de l’État, mais l’établissement de l’État qui met fin à l’occupation. Mais l’État, même de facto, n’existe toujours pas.
Il ne reste plus que l’ONU. Cet échec a en effet fait naître le besoin d’une démarche supplémentaire, qui consiste à s’adresser aux Nations Unies pour acquérir une légitimité au niveau international en tant que représentant d’un État. Conscients de la virtualité de l’État palestinien, les responsables palestiniens ont l’impression que cette démarche donnerait du poids à leurs arguments.
Face à ceux d’Israël ?
Ce qui motive cette démarche, c’est l’espoir d’être sur un pied d’égalité avec Israël, dans des négociations d’État à État sous le patronage américain.
Mais les États-Unis ont déjà annoncé qu’ils mettront leur veto à cette reconnaissance de l’État palestinien au sein des Nations Unies. N’est-ce pas une initiative de la dernière chance de la part de l’Autorité palestinienne ?
Effectivement, c’est une initiative de la dernière chance pour une Autorité palestinienne qui avait tout misé sur le pari de la solution à deux États, négociée sous le patronage des États-Unis. En demandant cette reconnaissance, elle essaie peut-être de ranimer une perspective qui est de plus en plus contestée, notamment chez les Palestiniens eux-mêmes, en raison de la disparition des bases matérielles de l’État avec la poursuite de la colonisation et l’intransigeance israélienne sur les questions essentielles. On observe également une déconnexion entre la direction palestinienne, obsédée par les négociations, et la population, qui cherche à résister à l’occupation ou à ses effets.
Peut-on parler d’un échec de l’Autorité palestinienne ?
Sa vocation était de disparaître avec l’établissement de l’État. Sauf qu’à l’arrivée, l’État n’est pas proclamé et n’a aucune réalité matérielle. Le bilan des vingt dernières années remet donc en question la légitimité et l’existence même de l’Autorité palestinienne, qui « gère » quelques zones autonomes sans avoir conquis une quelconque indépendance réelle.
Les représentants de l’Autorité palestinienne sont pris dans des contradictions vivaces depuis la signature des accords d’Oslo, en 1993-94. Ils avaient fait le pari de construire l’État palestinien dans le cadre d’un processus négocié sur la durée avec l’État d’Israël, espérant prouver qu’on pouvait leur confier la gestion définitive de l’ensemble des territoires palestiniens. Mais ce projet est un échec.
L’Autorité palestinienne a été prise à son propre jeu. Au début, même elle ne pensait pas aller jusqu’au bout de la démarche à l’ONU. J’ai épluché quelques câbles Wikileaks qui sont sortis ces derniers jours. Y figurent notamment des déclarations d’un responsable palestinien, Saëb Erekat, qui garantissait il y a un et demi à des représentants américains qu’ils n’iraient pas jusqu’au bout et qu’ils s’arrêteraient dès lors que les négociations reprendraient. Sauf que les négociations n’ont pas repris.
L’État palestinien risque-t-il de ne pas être reconnu au terme de la demande déposée le 23 septembre prochain ?
Certes, l’État palestinien sera reconnu par une très forte majorité d’Etats au sein des Nations Unies. Mais il ne sera pas admis comme membre. Les États-Unis ont annoncé depuis le début qu’ils ne suivront pas la démarche palestinienne : ils mettront leur veto. Il n’y a aucune raison que cela change.
Je pense qu’une partie de l’Autorité palestinienne espérait que les bouleversements en cours dans la région contraindraient les États-Unis à être moins suivistes vis-à-vis d’Israël. Mais le pari était très hasardeux. L’OLP a fait le même pari pendant plus de trente ans, à savoir croire au rôle d’arbitre des États-Unis entre Israël et les Palestiniens. Or les États-Unis ne peuvent pas être arbitre, ils sont l’entraîneur de l’une des deux équipes. Israël demeure leur principal allié dans la région.
L’administration américaine tente-t-elle d’éviter un vote à New York ?
Le veto annoncé des Etats-Unis serait sûrement très mal vécu dans le monde arabe. Une position qui instaure déjà un malaise au sein de l’administration américaine. Il est donc certain que des discussions ont lieu en ce moment entre les Etats-Unis et les Palestiniens pour les dissuader d’aller jusqu’au bout. Dans tous les cas, la Palestine ne sera pas membre des Nations Unies.
Si l’État palestinien ne se fait pas sous l’égide des Nations Unies ou des États-Unis, alors le parrainage pourrait-il venir d’ailleurs, de la Turquie par exemple ?
Mais qu’est-ce qu’un État ? Il y a des États qui ne sont pas membres des Nations Unies et pourtant sont des États, comme Taïwan ou le Kosovo. Ils entretiennent des relations diplomatiques, économiques… avec la majorité de la « communauté internationale ».
Le principal enjeu de la Palestine, c’est la souveraineté, politique et territoriale. Elle peut toujours être reconnue par 191 Etats, mais elle n’est pas souveraine. Une partie de son territoire est toujours occupée par Israël, et le fait d’être un « État » ne réglera pas la question des réfugiés ou des Palestiniens discriminés en Israël.
Si la proclamation d’un État ne change pas la donne, les révoltes arabes peuvent-elles avoir un impact sur la vie des Palestiniens ?
Ce qui pourrait faire bouger les lignes, ce sont effectivement les mouvements amorcés dans le monde arabe, qui peuvent conduire à un isolement d’Israël sur la scène régionale. Dès lors que les peuples arabes ont la possibilité de faire pression sur leurs gouvernements, la question palestinienne se régionalise à nouveau et peut redevenir une cause arabe. On en est cependant très loin. Mais la mobilisation des Égyptiens après l’attaque d’Eilat le 18 août dernier a certainement dissuadé Israël de s’attaquer plus durement à la bande de Gaza. Les incidents à l’ambassade d’Égypte au Caire [9 septembre] sont le dernier révélateur des changements en cours : certains régimes arabes ne peuvent plus museler la contestation.
Qu’apportera ce vote aux Nations Unies, finalement ?
Il va apporter la confirmation de ce que l’on sait déjà depuis quelques années : Israël est de plus en plus isolé sur la scène internationale. C’est pourquoi, ni les États-Unis ni Israël ne veulent de ce vote, qui va matérialiser, à un moment donné, dans l’enceinte des Nations Unies, l’isolement de l’État hébreu. Cette séance va confirmer une évolution à l’oeuvre depuis plusieurs années et qui s’est accélérée après les bombardements de Gaza en 2008-2009. Mais ce vote ne va pas changer le rapport de forces sur la question de la souveraineté territoriale et politique des Palestiniens.
Cet entretien de Julien Salingue avec l’hebdomadaire français L’Express a été publié sur son blog.