Vingt ans plus tard, la décision permettant aux femmes irlandaises de se rendre dans un pays autorisant l’avortement n’a toujours pas été traduite dans la loi.
La polémique a été réactivée après la mort de Savita, à l’hôpital de Galway. Cette jeune dentiste indienne de 31 ans, enceinte de 17 semaines, est décédée d’une septicémie généralisée en octobre 2012. Le coeur de son foetus, déclaré non viable par les médecins, "battait encore" bien que la fausse-couche avait commencé. Pour cette raison, les médecins irlandais lui ont refusé l’avortement qu’elle réclamait, en arguant du fait que l’Irlande est "un pays catholique".
En 2010 déjà, la Cour européenne des Droits de l’Homme avait condamné l’Irlande pour avoir obligé une femme, en pleine rémission de son cancer, à partir à l’étranger pour y avorter en raison du risque que sa grossesse faisait peser sur sa santé. Elle craignait en effet une rechute.
La loi irlandaise prévoit actuellement une peine à perpétuité pour tout avortement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 4.000 Irlandaises se rendent en Grande-Bretagne chaque année pour avorter. Sans oublier celles qui ne donnent pas leur adresse irlandaise ou qui se procurent illégalement la pilule abortive du lendemain sur Internet.
Le projet de loi du gouvernement irlandais ne présente qu’un petit progrès en matière de droit à l’avortement. Il n’autorise pas le recours à l’avortement en cas de viol, d’inceste ou d’anormalités sur le foetus. L’avortement n’est prévu qu’en cas de risque pour la vie de la mère - non en cas de risque pour sa santé. Pour ce faire, deux médecins devront être consultés pour décider ou non d’un avortement. En cas d’urgence vitale, un seul médecin pourra prendre la décision.
Pourtant, le projet de loi revient sur le risque de suicide de la femme enceinte. Dans ce cas, et uniquement dans ce cas, la femme enceinte pourra opter pour un avortement - à condition de passer auparavant devant une commission de trois médecins (un gynécologue et deux psychiatres). Certains avaient même envisagé une commission comprenant six médecins. En cas de refus, la femme aura la possibilité d’un recours en appel devant trois autres médecins. Il s’agit d’empêcher la porte ouverte aux avortements "à la demande", grande frayeur des Irlandais, y compris d’une partie des pro-choice (pour le droit à l’avortement).
Dans un article du Sunday Business Post du week-end, la journaliste Catherine O’Mahony commente avec des mots très durs, mais lucides, la situation faite aux femmes dans son pays.
Elle tente d’imaginer la position d’une femme enceinte devant cette commission : "Vous ne voulez vraiment pas voyager à l’étranger pour résoudre ce problème ? Ok, donc voici le topo : le risque est-il pour votre vie ou pour votre santé ? Etes-vous réellement suicidaire ou êtes-vous juste un peu dépressive ? Etes-vous dépressive parce que enceinte ou êtes-vous comme cela habituellement ? Pouvez-vous prouver ce que vous dites devant un médecin - ou une équipe de médecins ? Allez, parlez, femme ! Nous avons besoin d’une clarification légale !"
Elle continue en affirmant que personne ne devrait prendre une telle décision à la place de la femme concernée. Et se demande si le projet de loi présenté par le gouvernement aurait pu éviter la mort de Savita. Rien n’est moins sûr. Un des plus grands gynécologues d’Irlande, Dr Peter Boylan, affirme pourtant qu’avec ce projet de loi, les médecins se sentiront plus sûrs de leur décision au regard de la loi. Et que cela aurait pu sauver Savita.
La conclusion de la journaliste reste amère : "Il y a peu de gentillesse et de compréhension [de l’autre] dans tout ceci - et le courant de misogynie qui parcourt tout cela est difficile à rater". Sa remarque rejoint un article paru la semaine dernière dans le Irish Times qui titrait : "Nous aimes-tu, Irlande ? Aimes-tu les femmes ?"