1 novembre 2021 | tiré d’À l’encontre
Suppression, même progressive, des combustibles fossiles et les tensions qui en découlent
Comme le montre le rapport annuel [produit la première fois en 2019] « Production Gap Report » du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), les projets des 15 principaux pays exportateurs de pétrole, de gaz et de charbon sont incompatibles avec les objectifs climatiques fixés dans l’accord de Paris de 2015 [1]. Ce que l’on appelle l’écart de production – la différence entre les volumes de production de combustibles fossiles fixés avec ces objectifs et les volumes de production réels ou prévus – ne se réduit pas. Au contraire, il s’élargira d’ici 2040 si des pays comme l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, l’Indonésie, la Russie, l’Arabie saoudite, l’Afrique du Sud, les Emirats arabes unis, les États-Unis et la Grande-Bretagne maintiennent leurs niveaux de production. En tant que producteur de charbon, l’Allemagne fait également partie de ce groupe pour l’instant. Les gouvernements des pays cités ont fait la preuve qu’ils investissent beaucoup plus dans de nouveaux projets d’extraction de combustibles fossiles que dans des énergies propres (renouvelable). Et ils le font depuis des années.
Il existe des raisons peu convaincantes pour repousser ou retarder l’abandon des combustibles fossiles, comme l’ont toujours fait les entreprises énergétiques du monde entier, notamment avec l’argument selon lequel il y a tout simplement trop de capital investi par le secteur privé (sans parler de l’argent public englouti) dans les installations d’extraction et de transport qui peuvent encore faire des profits. Un revirement de la politique climatique ne peut donc être obtenu que si les pays industrialisés riches et les « économies émergentes ambitieuses » ne continuent pas à augmenter comme prévu leurs émissions de pétrole, de gaz et de charbon d’ici à 2030, mais les réduisent radicalement. Pour les Etats-Unis, les pays de l’OPEP, la Russie et l’Australie, cela signifie non seulement renoncer à augmenter les exportations, mais aussi les réduire de manière drastique. La production de pétrole, de gaz et de charbon doit diminuer, chaque année et de plus en plus rapidement.
Certaines délégations à Glasgow veulent proposer l’élimination accélérée des combustibles fossiles. Or, elles devraient savoir ce que cela signifie : des tensions permanentes avec les industries nationales du pétrole, du gaz et du charbon et avec les syndicats [les pertes d’emplois, entre autres], à quoi s’ajoute une dispute avec tous ceux qui sont concernés par une répartition injuste des responsabilités et des coûts de démantèlement ; et au final des milliards de pertes pour les caisses de l’Etat et une baisse permanente de l’influence géostratégique.
Cela concerne principalement la Russie, l’Arabie saoudite, les Emirats du Golfe et l’Australie. Le pays le plus à même de faire face au démantèlement de la production pétrolière est la Norvège, qui a investi judicieusement les bénéfices de cette activité depuis des décennies et qui n’a pas de surplus d’ambitions politiques mondiales. Mais les autres ? En tant qu’acteurs mondiaux, ils ne renonceront pas à leurs objectifs de croissance sans se battre.
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En Allemagne, depuis le document exploratoire des trois partis gouvernementaux potentiels [SPD-Verts-FDP], un différend est apparu sur la question de savoir s’il est possible d’éliminer progressivement la production de lignite d’ici à 2030. Les éternels freineurs de la transition énergétique sous la direction d’Angela Merkel ont décidé d’une longue période de transition économiquement et écologiquement insensée jusqu’en 2038, tout cela entièrement dans l’intérêt de l’industrie. Quiconque prend la politique climatique un tant soit peu au sérieux ne peut participer à la mise en balance, prétendument « équitable », des intérêts, d’un côté, d’entreprises comme RWE [conglomérat actif dans le secteur de l’énergie, deuxième producteur allemand d’électricité à base de charbon, après E.ON], de quelques milliers de salariés et, de l’autre, de ceux du reste du monde (pas seulement des Allemands). Pour un pays comme la Pologne, les choses sont bien différentes. Pour résoudre le problème de l’abandon progressif du charbon, en tant que tel petit pour l’Allemagne et, comparativement, énorme pour la Pologne, s’insère l’UE, tant décriée. La mission de l’UE devrait être de compenser les pertes inégalement réparties d’une transition énergétique à l’échelle européenne – par le biais d’un ou deux plans Marshall. Une telle approche peut également être exemplaire à l’échelle mondiale et convaincre dès lors les grandes puissances telles que les Etats-Unis, la Russie, la Chine ou l’Inde.
Dans son rapport annuel « World Energy Outlook », l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a confirmé il y a quelques jours [le 13 octobre 2021] que l’exploitation et l’utilisation de nouvelles réserves de pétrole, de gaz et de charbon doivent cesser immédiatement, dès aujourd’hui, si l’on veut atteindre les objectifs climatiques convenus à Paris. A Glasgow, l’occasion sera donnée de prendre un engagement contraignant pour réduire résolument l’extraction mondiale de combustibles fossiles. Il est clair que ni Vladimir Poutine ni le Brésilien Jair Bolsonaro ne veulent s’engager dans cette direction. Comme celui de la Russie, plusieurs autres chefs d’Etat ne viendront pas à Glasgow. Il est regrettable que le président chinois Xi Jinping soit également absent. Dans son pays, l’élimination progressive du charbon n’est pas prévue avant 2040, mais les Chinois produisent beaucoup moins de gaz à effet de serre par habitant que les Américains ou les Européens. Une politique environnementale et climatique du type de celle menée en Chine est largement méconnue en Allemagne. Pointer du doigt la Chine est de loin le substitut le plus populaire de la politique climatique occidentale. Pourtant, le gouvernement chinois attend déjà beaucoup plus de ses citoyens que la « chancelière du climat » Angela Merkel n’a jamais osé le faire. Pour la Chine, la politique climatique et la géostratégie vont de pair : plus elle renonce à l’importation de combustibles fossiles, mieux c’est [2].
La « normalité » n’est plus de mise
Bien que la pandémie soit loin d’être terminée, l’économie mondiale se redresse, grâce notamment au redressement budgétaire que les Européens ont cette fois également opéré en empruntant collectivement : 750 milliards pour le plan de relance baptisé Next Generation UE, et quelques centaines de millions pour le Fonds de solidarité de l’UE pour le covid. A l’échelle mondiale, un peu plus de 13’000 milliards de dollars ont été mobilisés jusqu’à présent pour compenser les pertes liées à la pandémie. Mais seuls 380 milliards de dollars sont destinés à soutenir la transition vers une énergie propre. On dépense beaucoup trop pour ramener l’économie à une « normalité » qu’en fait on ne peut plus se permettre. (Article publié le 1er novembre 2021 sur le site Der Freitag ; traduction rédaction A l’Encontre)
[1] « La production de combustibles fossiles prévue par les gouvernements reste dangereusement décalée par rapport aux limites de l’Accord de Paris ». (Réd.)
[2] Face à l’alignement du gouvernement australien sur la politique des Etats-Unis (entre autres), Pékin a pris des mesures commerciales de « rétorsion », parmi lesquelles la non-importation de charbon australien. Néanmoins, selon Les Echos du 5 octobre : « Face à la violence de la crise énergétique qu’elle traverse, la Chine a déchargé plusieurs cargaisons de charbon en provenance d’Australie, alors que de telles importations semblaient interdites depuis octobre 2020 sur fond de tensions commerciales entre les deux pays, rapporte le Financial Times de ce mardi 5 octobre. » La Chine, en 2020, était le premier producteur de charbon à l’échelle mondiale et le premier importateur, bien qu’elle produise l’essentiel de ses besoins en charbon. (Réd.)
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