Premier acte : la lettre Ottawa, septembre 1997. Le statisticien en chef de Statistique Canada est en colère. Il en veut aux médias de confondre les seuils de faible revenu et les seuils de pauvreté. Pour le commun des mortels, cette confusion paraît sans importance, mais pas pour le statisticien en chef. Il décide alors d’écrire une lettre ouverte où il rappelle que Statistique Canada s’engage à calculer les seuils de faible revenu tout en refusant de les qualifier de seuils de pauvreté.
Mais pourquoi ?
Pour le statisticien en chef, c’est le rôle du gouvernement fédéral de donner une définition de la pauvreté et, par le fait même, de mettre en place un seuil de pauvreté. « Lorsque les gouvernements auront formulé une définition [de la pauvreté], Statistique Canada s’emploiera à estimer le nombre de personnes dites pauvres. Entre-temps, Statistique Canada ne mesure pas et ne peut mesurer le seuil de “pauvreté” au Canada ».
Le choix d’un seuil de pauvreté ne se fait pas à partir de savants calculs ou de données objectives. Il s’agit d’une décision politique. C’est ce qui ressort de la lettre du statisticien en chef et d’autres textes publiés à la même époque par Statistique Canada. Deuxième acte : l’origine de la MPC La lettre nous apprend également qu’a été formée, à cette époque, une équipe de travail dont l’objectif était d’« instaurer une façon de définir et de mesurer la pauvreté ». Cette nouvelle mesure devait se fonder « sur un panier de consommation – un panier dont les biens et services sont marqués d’un prix ». On reconnaît ici l’origine d’un nouveau seuil de faible revenu, la Mesure du panier de consommation (MPC), qui deviendra effectif quelques années plus tard (début des années 2000).
Statistique Canada convenait que la MPC avait le potentiel de devenir un « seuil de pauvreté ». « Le seuil de pauvreté, écrit encore le statisticien en chef, se fonderait sur le revenu nécessaire pour acheter les articles contenus dans ce panier ». Dernier acte : coup de théâtre Ottawa, août 2018. Coup de théâtre. La Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté propose une première définition « officielle » de la pauvreté. « La pauvreté c’est : la condition dans laquelle se trouve une personne qui est privée des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour atteindre et maintenir un niveau de vie de base et pour favoriser son intégration et sa participation à la société ».
Cette définition pose problème. Pourquoi ?
Parce qu’elle lie le « niveau de vie de base » à la sortie de la pauvreté. D’après la Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, atteindre un « niveau de vie de base » équivaut à « assurer sa subsistance ». Depuis quand « assurer sa subsistance » est-il synonyme de ne-plus-être-pauvre ? Pour sortir de la pauvreté, une personne ou une famille doit vivre au-delà du strict minimum et de la survivance. Elle doit, entre autres, être capable d’épargner pour faire face aux imprévus et avoir accès à des loisirs sans être obligée de couper dans des dépenses essentielles.
Le gouvernement a fixé le seuil de pauvreté à la hauteur de la MPC, soit 18 000 $ en moyenne pour une personne seule ou 36 000 $ pour une famille de quatre. Statistique Canada pourra désormais « estimer le nombre de personnes dites pauvres ». Morale de l’histoire La mise en œuvre d’un seuil officiel de pauvreté est une décision purement politique. C’est le mérite de l’ancien statisticien en chef du Canada que d’avoir porté à la connaissance de touTEs que la hauteur de la barre est une question politique et non seulement statistique. Morale de l’histoire : rien n’empêche le gouvernement fédéral de fixer un seuil de pauvreté plus élevé.
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