Tiré de Reporterre.
À l’ombre d’un arbre en bordure de route, un vieil homme arrange ses sachets de pain. Chacun renferme cinq galettes, le tout coûte 5 livres (environ 30 centimes d’euros). « Le boulanger me vend la galette à 80 piastres, je les revends à 1 livre », précise le vendeur. Ici, le prix n’est pas plus élevé comparé aux mois précédents la guerre contre l’Ukraine. « Il n’y a pas d’augmentation, mais les galettes sont plus petites », commente un client en écoutant la discussion. Quelques mètres plus loin, dans une boulangerie privée cette fois-ci, 5 livres permettent d’acheter quatre galettes seulement. Une différence que l’on justifie à la caisse par la hausse du prix de la farine.
Malgré de sensibles variantes dans le pays, la flambée des prix du blé sur le marché international a déjà des répercussions en Égypte, plus gros importateur de blé au monde. Pour 2021-2022, 13 millions de tonnes de cette céréale doivent être importées selon les estimations. Et les deux principaux fournisseurs de cette matière première sont l’Ukraine et la Russie, qui fournissent 84 % du blé nécessaire à l’Égypte.
Ne produisant lui-même que 9 millions de tonnes de blé, le pays reste donc dépendant de ces importations. Cette céréale lui sert surtout à la fabrication de son pain. Un aliment de base pour les quelque 100 millions d’habitants que compte ce pays africain, dont la population continue de croître.
L’approvisionnement de blé déjà sous tension
L’invasion russe en Ukraine impacte fortement les cours du blé. Les stocks sont bloqués dans les ports et les commandes ne peuvent être honorées. Quelques jours déjà avant le 24 février, date du début de la guerre, les prix sont montés en flèche, atteignant même 400 euros la tonne au début du mois de mars contre 200 euros en janvier de cette même année. Les soubresauts géopolitiques ne font qu’aggraver une situation déjà tendue. La crise du Covid-19 a engendré une augmentation des prix des transports et les sécheresses importantes liées au réchauffement climatique perturbent durablement les récoltes de blé dans le monde.
Dans ce contexte, le gouvernement égyptien a décidé d’arrêter l’exportation de blé pour une durée de trois mois, notamment en prévision du ramadan. Les cultivateurs de blé vont également devoir vendre 60 % de leurs céréales à l’État. Pour le moment, les autorités assurent que « la réserve de blé est suffisante pour quatre mois ». La question de la hausse du coût du blé reste néanmoins à la Une des médias depuis la guerre contre l’Ukraine. Le débat porte principalement sur l’augmentation du prix du pain subventionné, gelé depuis des années.
Les trois quarts de la population achètent du pain via un système de carte à points donnant accès à des denrées alimentaires de base dont fait partie le pain. Pour 50 piastres il est possible d’avoir dix pains. Cette somme est fixée depuis plusieurs décennies sur la base d’un prix du blé vendu à 250 dollars la tonne, ce qui ne correspond plus à la réalité du marché. Cela implique un excédent du budget de l’État consacré aux subventions sur le pain dans une conjoncture économique difficile.
Cette problématique ne date pas d’hier et le président Abdel Fattah al-Sissi a évoqué cet été une possible réforme, sans vraiment passer à l’action. Le sujet est sensible : la dernière fois qu’une telle mesure a été prise, en janvier 1977, des émeutes meurtrières ont eu lieu dans les files d’attente des boulangeries.
Au Liban, « les boulangeries rationnent le pain »
Les effets de cette nouvelle crise du blé se font sentir dans d’autres pays du Moyen-Orient, où les prix du pain grimpent également. « Depuis plus d’une semaine déjà, les boulangeries [libanaises] rationnent le pain. Le prix d’un sac de pain a augmenté de 20 % en quelques jours », a alerté Bujar Hoxha, directeur de l’ONG Care Liban. En Syrie, « les gens doivent faire la queue pendant des heures pour avoir du pain, alors que pour la plupart, c’est le seul repas qu’ils pouvaient encore se permettre », a déclaré Jolien Veldwijk, directrice nationale de Care Syrie.
Au-delà des conséquences économiques, les risques humanitaires menacent une nouvelle fois, là où les crises alimentaires existent déjà depuis des années dans des pays en guerre comme la Syrie ou le Yémen. Lundi 14 mars, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) António Guterres a dit redouter un « ouragan de famines ».
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