Les seuls à réussir furent probablement les Wahhabites saoudiens, instruments des USA contre le colonialisme européen dans le délitement ottoman. Les USA ont joué les talibans d’Afghanistan contre les soviétiques ; les Européens, les intégristes libyens contre Kadhafi.
Aujourd’hui, on feint de se scandaliser que cela ait engendré un rejet désespéré de tout ce que représente l’empire, Boko Haram en Afrique de l’Ouest, les Shebab dans l’Est, l’Émirat islamique du Caucase et celui d’Irak et du Levant.
On oublie Abd el-Kader, Calife à Mascara en Algérie entre 1830 et 1850 contre l’invasion impérialiste française ; les Mahdistes du Soudan combattus par le jeune Churchill, fin XIXe ; l’imanat caucasien en Tchétchénie et au Daghestan, qui tint en respect pendant trente ans le Tsar de toutes les Russies. Ce phénomène n’est cependant pas spécifique à l’Islam : rappelons parmi tant d’autres les Mau-Mau du Kenya (animistes), les Sickhs d’Amritsar minorisés par le pacifisme de Gandhi, ou l’Armée de Résistance du Seigneur (chrétiens) en Ouganda… etc., pour ne pas parler des Khmers rouges.
On peut faire l’hypothèse que leur courte vie vient du fait que l’impérialisme a utilisé la religion pour construire son pouvoir, et singulièrement au Moyen-Orient, pour combattre le nationalisme arabe socialiste (Iran, Égypte, Irak, Syrie, Afghanistan). Ces mouvements furent écrasés dans le sang, mais marquèrent aussi le déclin des empires coloniaux, russes, français et anglais. Sur ces ruines, l’Amérique construisit le sien. C’est à sa défense qu’Harper nous convie.
L’erreur de ces mouvements, lorsque l’empire cessa d’avoir besoin d’eux, fut probablement d’imposer une loi de fer à l’interne, mais surtout d’opposer un État à l’empire, alors qu’il n’a que faire d’États croupions pourvu que ses banquiers puissent faire rendre gorge à leurs débiteurs, et que les marchands d’armes fassent des affaires.
C’est lassant de voir nos instruments de propagande ignorer à ce point l’Histoire et monter en épingle la barbarie de ces mouvements, pour taire que l’Occident tue et détruit systématiquement dans ces régions depuis soixante ans. On place dans la même balance les cinq cent mille enfants irakiens morts du fait américain (« the price worth it » selon Madeleine Albright) et les quelques décapités occidentaux, qui représentent certes une horreur absolue, mais ne peuvent nous faire oublier qu’elle a été nourrie par l’Occident et souvent instrumentée par les USA.
On incite le bon peuple à applaudir à son écrasement et à accepter la paix des cimetières qu’Harper s’apprête à remplir au mépris du droit international, ce que Jean Chrétien n’avait pas osé.