Tiré de la revue Relations.
Au-delà du simple constat de l’existence des changements climatiques, c’est bien l’apathie collective et l’indifférence des élites qui sont de plus en plus pointées du doigt comme des comportements irresponsables, indignes et dangereux pour l’avenir de la planète. Le dernier discours bien senti de Greta Thunberg à l’Assemblée générale de l’ONU est sans appel : « Les gens souffrent, les gens meurent. Des écosystèmes entiers s’effondrent. Nous sommes au début d’une extinction de masse et tout ce dont vous pouvez parler, c’est d’argent et de contes de fées de croissance économique éternelle. Comment osez-vous ? […] Les jeunes commencent à comprendre votre trahison. Les regards des générations futures sont tournés vers vous. Et si vous choisissez de nous trahir, nous ne vous pardonnerons jamais. Nous ne vous laisserons pas vous en sortir[1]. »
Ce ton terrible et tragique fait écho au sentiment d’écoanxiété ressenti par la jeunesse et une partie grandissante de la population. Pour surmonter ce sentiment d’impuissance devant ces bouleversements imminents, une seule issue est possible : l’action collective. Comme le souligne Laure Waridel, « le meilleur antidote à l’écoanxiété réside dans l’engagement social »[2]. Or, au-delà de la consommation responsable et du mode de vie zéro-déchet, un véritable changement social à la hauteur du « plus grand défi de l’histoire de l’humanité » (Aurélien Barrau) exige une mobilisation populaire d’une ampleur sans précédent.
Heureusement, c’est bien ce qui est en train de prendre forme sous nos yeux avec les manifestations de masse et les grèves pour le climat organisées dans le cadre de la Global Week for Future et du Global Climate Strike – la grève mondiale pour le climat. Le 20 septembre dernier, 4 millions de personnes ont participé à la grève mondiale pour le climat, avec l’appui de 2000 scientifiques et de citoyens et citoyennes de plus de 40 pays des cinq continents. Des manifestations monstres ont eu lieu à Berlin, Londres, Melbourne et New York, en même temps que des milliers de marches à travers le monde. Cette semaine de grève mondiale pour le climat culminera le 27 septembre à Montréal, avec la présence attendue de Greta Thunberg.
Le Québec représente sans doute la pointe la plus avancée de ces marches pour le climat. Rappelons que la plus grande manifestation de la grève étudiante pour le climat s’est déroulée à Montréal, le 15 mars dernier, avec plus de 150 000 personnes dans la rue. Ce n’est pas un hasard, étant donné l’historique militant du mouvement étudiant québécois, combiné au leadership du mouvement écologiste, des initiatives comme La Planète s’invite au Parlement ou encore le Pacte pour la transition, lancé en novembre dernier. Au-delà des célèbres manifestations étudiantes du vendredi (Fridays for Future) et des 250 000 étudiants et étudiantes qui seront en grève le 27 septembre au Québec, ce mouvement déborde largement « la jeunesse » pour embrasser différents secteurs de la société. Des dizaines de syndicats et de groupes communautaires seront en grève, en plus de commerces de proximité et de grandes compagnies telles Lush Cosmétiques, Mountain Equipment Co-op (MEC), Patagonia, etc., qui fermeront leurs portes en solidarité avec la marche.
Les revendications
Quelles sont les revendications de ce mouvement social effervescent ? Pour la Planète s’invite au Parlement, il s’agit de :
◾reconnaître l’urgence climatique (l’Assemblée nationale a adopté une motion en ce sens le 25 septembre 2019) ;
◾adopter une loi climatique qui force l’atteinte des cibles de GES recommandées par le GIEC pour limiter le réchauffement du climat à 1,5 degré ;
◾interdire tout nouveau projet d’exploration ou d’exploitation des hydrocarbures, et mettre un terme à toutes les subventions directes ou indirectes aux combustibles fossiles ;
◾créer des structures régionales permettant à la population de contribuer à une transition juste porteuse de justice sociale.
D’autres acteurs sociaux organisent des assemblées citoyennes pour proposer un « New Deal vert », notamment dans le contexte des élections fédérales ; le Pacte pour la transition propose « 101 idées pour le climat » ; le Front commun pour la transition énergétique prépare aussi un ambitieux plan qui sera dévoilé bientôt.
D’autres encore, plus près des pouvoirs établis, proposent un capitalisme vert, un « clean capitalism », et des réductions de taxes pour les entreprises afin de les inciter à développer des technologies vertes. D’autres militent pour une économie verte, bleue ou circulaire, alors que le gouvernement de la Coalition Avenir Québec considère que le projet du troisième lien à Québec servira à la lutte contre les changements climatiques ![3] Nous voyons ici une certaine confusion quant aux orientations à suivre pour mener à bien la transition écologique. Cela est d’autant plus grave que 32 % de la population canadienne semble sceptique face à l’existence des changements climatiques et la perte d’espèces sauvages, que 44 % considèrent les scientifiques comme des élitistes et que 30 % ne croient qu’aux sciences qui cadrent avec leurs convictions personnelles[4]. Si nous disons qu’au moins 50 % de la population s’entend sur le besoin d’une « transition », la destination de celle-ci, son contenu et les moyens pour y parvenir sont loin de faire l’unanimité.
Deux clivages
Nous faisons l’hypothèse qu’il n’y a pas un, mais bien deux clivages liés à la question écologique. Le premier clivage oppose le camp des négationnistes, populistes et conservateurs – qui nient ou atténuent la gravité de la crise climatique – au camp des environnementalistes, scientifiques et mouvements citoyens – qui reconnaissent la nécessité d’un changement de cap. Mais une autre division apparaît au sein des « partisans du changement ». D’une part, il y a ceux et celles qui croient qu’il est possible de mener une transition progressive par la volonté des États, le bon usage des incitatifs économiques et l’adoption massive des technologies vertes pour réformer le capitalisme et le rendre plus vert et équitable, dans une perspective de croissance soutenable et inclusive. D’autre part, un nombre toujours plus grand de personnes se radicalisent, remettent en question l’idée saugrenue d’une croissance infinie dans un monde fini, rejettent le modèle capitaliste et sont prêts à miser sur une transformation beaucoup plus radicale du mode de production, des institutions et de nos modes de vie.
En réalité, c’est là que la vraie bataille climatique se joue. Une fois que la gravité de la crise sera réellement reconnue par les élites, celles-ci n’hésiteront pas à tirer profit de la situation, à maintenir leurs privilèges et à réajuster superficiellement le système qui leur bénéficie. À l’inverse, un nombre croissant d’intellectuels, d’artistes, de groupes militants, écologistes, féministes, citoyens et autochtones commencent à embrasser les idées de décroissance, d’écoféminisme, d’écosocialisme, de résilience face à l’effondrement, de municipalisme, de zones d’autonomie et de territoires à libérer de la mégamachine capitaliste, extractiviste et techno-industrielle.
Cette « écologie par le bas » ne mise pas avant tout sur le rôle de l’État et encore moins sur des entreprises privées pour sauver le climat, mais l’articulation des innovations sociales, des initiatives locales, des expérimentations collectives et des mobilisations de masse comme levier d’une transition écologique synonyme de transformation sociale radicale. Dans cette perspective, la grève mondiale climatique pourrait devenir le catalyseur d’une écologie émancipatrice, basée sur l’action collective et un horizon de dépassement du système capitaliste écocidaire. Au final, la prochaine lutte à mener opposera « l’écologie » du 1 %, au service des intérêts capitalistes, et l’écologie du 99 %, de ces masses de personnes qui aspirent de plus en plus à ce que les solutions à la crise écologique soient porteuses de justice sociale.
[1] Alexandre Shields, « Greta Thunberg fustige les décideurs politiques », Le Devoir, 23 septembre 2019.
[2] Jacaudrey Charbonneau, « L’écoanxiété : quand le sort de la planète vous angoisse », Radio-Canada, 24 février 2019.
[3] Isabelle Porter, « La CAQ embarrassée par le troisième lien », Le Devoir, 25 septembre 2019.
[4] Bob Weber, « La confiance des Canadiens envers la science s’érode, selon un sondage », Le Devoir, 23 septembre 2019.
Crédits photos : André Querry et Mubeen Ibn Ahmed (pour le portrait)
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