Édition du 17 décembre 2024

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Solidarité avec la Grèce

Grèce. Lorsque des mesures populaires exigent des actions unilatérales

Selon les dernières informations donnant suite à la réunion entre Alexis Tsipras et Angela Merkel : « La Grèce présentera une liste de réformes à l’Eurogroupe avant la semaine prochaine, a déclaré mardi le porte-parole du gouvernement d’Alexis Tsipras. “Ce sera fait d’ici lundi au plus tard”, a annoncé Gabriel Sakellaridis sur l’antenne de Mega TV. Il a précisé que cette liste ne contiendrait pas de mesures d’austérité mais des changements structurels. A court d’argent, Athènes doit présenter au groupe des ministres des finances de la zone euro une liste détaillée de réformes structurelles, conformément à l’accord conclu le 20 février à Bruxelles sur la prolongation de quatre mois de l’aide internationale. Evoquant la rencontre, la veille, entre le premier ministre grec, Alexis Tsipras, et la chancelière allemande, Angela Merkel, à Berlin, le porte-parole du gouvernement a déclaré que les deux dirigeants avaient discuté des grandes lignes des réformes, sans entrer dans les détails. « Je suis sûr qu’ils ont trouvé des points de convergence », a-t-il dit. Dans une interview au quotidien italien La Repubblica, le président du Parlement européen, Martin Schulz, dit s’attendre à la conclusion d’un accord cette semaine entre Athènes et ses partenaires de la zone euro. » Le quotidien économique français La Tribune, le 24 mars, précise : « Ce lundi 23 mars, Angela Merkel n’a, en réalité, pas bougé d’un pouce. Elle a même précisé explicitement (mais avec le sourire de circonstance) qu’elle ne pouvait en réalité rien pour la Grèce. Selon Bild Zeitung, citant des « participants » aux discussions, il n’a, du reste, été discuté de rien de concret concernant ce problème. Autrement dit, Angela Merkel a renvoyé Alexis Tsipras face à l’Eurogroupe et à la troïka. On revient donc au point de départ. » (Rédaction A l’Encontre)

(tiré du site À l’encontre)

Au cours des 15 à 20 dernières années, les économistes et sociologues du courant socialiste révolutionnaire (et pas seulement eux) ont souligné que le capitalisme a atteint un tel stade de développement que pour maintenir ou relever son taux de marge il devait assurer une compression forte du salaire social. Ce qui signifie la stagnation (ou la baisse) du salaire social, en utilisant le chômage de masse et en affaiblissant les organisations syndicales, et donc dudit Etat providence […].

Ces théoriciens étaient conscients que, dans de telles circonstances, les forces politiques dites réformistes – celles qui veulent tout simplement obtenir des améliorations pour le peuple (certes nécessaires) – ne peuvent développer des changements favorables aux masses laborieuses sans remettre en cause le système. Elles auront donc moins d’espace pour agir.

Cela parce que les classes dirigeantes non seulement ne sont pas disposées à céder des miettes, mais veulent récupérer ce qu’elles avaient été forcées de céder durant la période dite de « boom » économique. La social-démocratie représentait la principale force qualifiée de réformiste et donc elle s’est trouvée dans une impasse. Le réformisme sans cœur et sans propositions concrètes attrayantes pour les masses laborieuses ne pouvait pas survivre en tant que tel pour longtemps. Ainsi, les partis sociaux-démocrates, qui jusque-là avaient un pied sur chaque rive, ont été forcés de choisir. Et ils ont choisi comme prévu, en raison de leurs nombreux liens économiques et sociaux, le camp de la classe dirigeante. La politique suivie par le Labour en Grande-Bretagne, le SPD en Allemagne, le Parti socialiste en France et en Espagne, le Parti démocrate en Italie, et le PASOK en Grèce, sont les témoins irréfutables de cette option. Une option qui désormais fait de ces formations politiques des partis bourgeois qui ne diffèrent pas sur le fond des autres partis bourgeois. Ainsi, ils ont pu faire des coalitions avec la droite, de manière très confortable, que ce soit en Allemagne, en Italie ou en Grèce. Cet exercice n’était pas circonstanciel. Il a même conduit à une coalition avec des forces politiques de droite extrême, comme au sein du gouvernement Samaras. Dans de nombreux cas, cette identité politique a conduit, ou conduira, à leur disparition, à leur affaissement dans la mesure où ces partis ont cessé d’être utiles à « ceux d’en haut » et à « ceux d’en bas ».

Mémorandum

Dans le cas de la Grèce, la classe dirigeante locale, en réponse à la question de la dette, a co-organisé avec les créanciers une offensive extrême pour écraser les conquêtes des salarié·e·s. Cette offensive a un nom de code : le mémorandum. Cette offensive extrême a un champ d’application : l’Europe. Il est donc important pour les classes dominantes de réussir leur première expérience la plus avancée, celle faite en Grèce.

Bien sûr, cette politique a des dommages collatéraux. Ainsi quelques secteurs des classes dirigeantes en ont souffert. En même temps, le principal réformateur, le PASOK, créé en 1974, a été écrasé. Simultanément, le risque existe que des partis fascistes augmentent leurs forces et même puissent atteindre des positions gouvernementales dans certains pays. Mais les capitalistes, pour l’heure, ne sont pas inquiets par ces formations. Ce qui les préoccupe, c’est d’assurer, dans une stabilité sociale relative, le maintien et l’expansion de leurs profits. Les nazis ne sont pas leurs ennemis. Les ennemis sont ceux qui s’opposent aux objectifs des dominants.

SYRIZA est un front politique qui, avec succès, a conduit une résistance face aux mémorandums. Sur cette orientation générale de résistance ont conflué divers éléments de la gauche : une gauche démocratique, une gauche réformiste à tonalité social-démocrate historique, des réformistes issus de l’eurocommunisme, des forces centristes (entre réformistes et révolutionnaires), des forces de la gauche radicale ayant des références historiques plongeant dans des aspects du stalinisme ou du maoïsme, et des forces rebelles qui s’inscrivent dans une continuité raisonnée avec le léninisme et le trotskysme.

Le point de vue politique qui a dominé au sein de la direction de SYRIZA est une version d’une réforme, se situant au sein du capitalisme. Et cela implique de s’inscrire dans le choix stratégique du capital grec qui reste l’intégration dans l’Union européenne néolibérale et la zone euro. Les réformes que la stratégie de SYRIZA vise et ses buts proclamés, s’ils étaient appliqués, apporteraient certainement un énorme soulagement aux masses populaires. Ce ne sont pas des « miettes » comme l’affirme le Parti communiste (KKE) et d’autres forces. Mais ce serait une inversion sans précédent de l’austérité (et de l’autoritarisme antidémocratique qui l’accompagne), cela aux yeux de l’essentiel des habitants des pays capitalistes.

Mais le gouvernement estime que l’adversaire n’est pas disposé à négocier quoi que ce soit. Le gouvernement estime que, sur le terrain de la politique intérieure, il ne peut rien faire sans l’approbation de la troïka qui est devenue maintenant un quartet (BCE, FMI, UE, plus Eurogroupe). Même le projet de réponse à la crise humanitaire, réduit à un sixième, a été jugé par Schäuble comme une action unilatérale.

Et malheureusement pas seulement cela. Lors d’une réunion plénière très récente de SYRIZA, à laquelle j’appartiens, un camarade s’est plaint auprès de moi parce que, dans mon intervention, j’ai demandé un changement immédiat des directions des banques. Mon camarade m’a dit ceci : « Mais le changement de Stournaras [président de la banque nationale grecque] n’est pas possible parce qu’il a l’appui de la BCE. Si nous faisions cela, ce ne serait pas simplement une action unilatérale. Ce serait un acte révolutionnaire. » Il avait raison. Même la moindre réforme dans le système actuel, beaucoup plus que le remplacement de l’administrateur de la Banque de Grèce par une personne qui ne serait pas associée aux milieux bancaires liés à l’Etat, serait une action quasi révolutionnaire. Une même action révolutionnaire pourrait être : de prendre le contrôle de toutes les banques systémiques ; d’acquérir le contrôle du système juridique ; de pourvoir en l’électricité gratuitement tous ceux qui en ont vraiment besoin ; d’imposer la richesse réelle ; peut-être même d’abolir les 5 euros à verser pour accéder aux soins hospitaliers ; d’assurer le rétablissement des 751 euros comme salaire minimum et plus généralement les revendications Thessalonique annoncées par Tsipras le 14 septembre 2014. Tout cela serait considéré comme une déclaration de guerre par les créanciers et la classe dirigeante grecque.

Un carrefour

La direction de SYRIZA et le gouvernement Tsipras découvrent ce que les réformateurs classiques, mentionnés auparavant, ont découvert : la plupart des réformes envisagées s’avèrent dans les conditions présentes comme nécessitant des changements à dynamique révolutionnaire. Par conséquent, SYRIZA et gouvernement doivent décider la voie à choisir. S’ils insistent sur les revendications avancées, ils seront contraints d’entrer en conflit avec les créanciers et leurs alliés locaux. Si cela est fait à temps – et c’est la seule option – ils auront un large soutien populaire, suffisant pour se tourner vers le peuple et réclamer un soutien majoritaire. Ils auront également le soutien de millions de personnes en Europe et pas seulement. Alors seulement, ils pourront mettre en valeur le temps prétendument gagné grâce aux accords avec l’Eurogroupe en février. De là la possibilité d’une convergence avec d’autres forces radicales en Europe. Tout cela n’implique pas une révolution, mais une sorte d’invitation réaliste pour une telle perspective.

Si le gouvernement n’insiste pas à appliquer le noyau au caractère de classe des revendications de Thessalonique et repousse ce programme dans un futur indéterminé ou, pire l’abandonne définitivement, quand bien même il gagnerait un peu de temps, cela sera sans effet car la déception va saper la perspective de victoire des autres forces radicales en Europe.

Si SYRIZA participe à un gouvernement d’unité nationale, il aura perdu le cœur de sa perspective réformiste. Comme l’ont prouvé les expériences douloureuses aussi bien du PASOK que de DIMAR (Gauche démocratique issue de SYRIZA), le système économique, social et politique n’accepte pas les réformes populaires, même celles limitées promises grâce à une participation à un gouvernement d’unité nationale. Il n’existe pas une zone grise intermédiaire. Soit SYRIZA s’engagera dans des décisions unilatérales, c’est-à-dire prendre des mesures de facto révolutionnaires, soit ce sera le suicide. (Publié dans La gauche ouvrière, organe de DEA, 18 mars 2015, traduction Antonis Martalis, édition A l’Encontre)

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