Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

France : Sur qui saigne, regards vers Athènes

Tout a été dit, et pourtant on le redit, dans une catharsis nationale. Les coeurs qui saignent. S’indigner, comprendre. La « guerre » réclamée par Valls. Et si l’espoir venait de Grèce ?

La sidération, le dégoût, l’émotion, la colère. Les analyses, les contre analyses, les rares tentatives de garder la raison. L’unanimisme et les dissidents. La recherche des causes profondes, à juste titre pour y pallier, ou comme excuse à ne pas s’engager. Une semaine après, le pays cherche son équilibre, sans le trouver.

Les millions de manifestant-e-s ont défilé sans se laisser voler leur mobilisation par l’incroyable aréopage d’assassins, de faux culs et de vrais responsables de la détestable marche du monde. Beaucoup parmi les marcheuses et marcheurs étaient issus du peuple de gauche. Mais ces millions là ont quitté la rue. Et laissé la place au spectacle désastreux de la Marseillaise martiale à l’Assemblée, puisque, comme nous le dit et le répète le premier Ministre, « Nous sommes en guerre ». A bas les traîtres, les mous, les timides. Aux armes !

Contre qui la guerre ? Les terroristes, bien sûr. Leurs soutiens, évidemment. La famille et les proches, forcément suspects. Ceux qui se solidarisent avec eux. Ceux qui, par adhésion ou par bêtise, refusent de les condamner, et le disent, envoyés en prison. Ceux qui, à tort, ne se mettront pas en mouvement tant que les inégalités de traitement de toutes les victimes, ici et dans le monde, seront à suivre. Ceux qui condamnent les assassinats, mais qui, évidemment complices des premiers aux yeux de Valls, ne veulent pas, tout autant à tort à mes yeux, « se dire Charlie », tant ils sont aveuglés par le ressentiment et confondent question de principe et politique éditoriale variée et discutable. Ceux qui, refusant la dictature de l’émotion, cherchent à froid les causes profondes plutôt que de se focaliser sur le symptôme. Oubliant parfois que même un cœur souffrant d’une malformation fatale ne meurt pas de celle-ci, mais toujours d’une attaque, et qu’on ne meurt pas d’une cause, mais de ses conséquences, le symptôme. Empêcher la répétition de ce dernier nécessite certes de s’attaquer aux causes. Mais écarter le symptôme, si ce n’est pas s’attaquer à la source, évite quand même l’issue fatale. Ceux qui, « droits de l’hommistes » indécrottables expliquent, avec absolue justesse cette fois, toujours à mes yeux, que la mise en cause des libertés fondamentales serait justement la victoire des assassins. Et enfin ceux qui, comme moi, entièrement solidaires des manifestants du week-end, défendent pour autant que peut se défaire des bêtes furieuses, les deux premiers de la série, il faut discuter avec tous les autres. Donc les écouter même si on pense qu’ils ont tort, et chercher à les convaincre, ce qui sera plus ou moins difficile selon les cas. Pas les solidariser avec les assassins par une logique de « eux » et « nous », pas par la guerre.

Le plus étonnant si on regarde ceci avec un regard distant est que tout le monde sait, d’expérience, depuis le 11 septembre et « la guerre au terrorisme » qui a suivi, que ces choix mènent à l’échec, aggravent le mal et conduisent à Daesh. Si tout le monde le sait, Hollande et Valls aussi par conséquent ! Alors pourquoi ? Sans doute parce que la logique d’une politique qui traiterait réellement les choses serait globale, nationale, européenne, internationale, systémique pourrait-on dire. Il faudrait en France commencer par respecter les promesses de 2012, par exemple quant au droit de vote des étrangers, à la fin des contrôles au faciès par l’établissement des récépissés. S’attaquer aux inégalités de territoire, de logements, d’accès à l’emploi, aux inégalités scolaires. Défendre la laïcité et garantir un droit imprescriptible à l’exercice du culte musulman, à la protection des mosquées et lutter sans concession contre l’islamophobie. Comme contre l’antisémitisme. Mettre fin aux aventures impériales au profit de politiques coopératives. Ce que nous disaient simplement les manifestant-e-s du week-end, et qui tient au final en deux mots, liberté et solidarité, ferait une excellent base de départ pour discuter tout ceci, et c’est donc une formidable source d’espoir. Mais nous sommes dans une société éreintée par des décennies de politique pro capitaliste, où explosent les inégalités et discriminations de toutes sortes. Et à l’esprit de solidarité exprimé ce dernier week-end s’opposent les vents mauvais de la crainte, du repli, de l’épuisement de la réserve de compassion, puis de la haine pure et simple pour qui n’est pas soi. Vents qui bientôt peuvent souffler en tempête. A tous les drames que traverse notre pays, s’ajoute alors celui de la fragilité de la gauche radicale, la seule qui serait à même de donner les clés, de fournir un espoir d’ensemble, englobant à la fois les données sociales et sociétales élémentaires et une nouvelle vision du monde, bannissant la loi du profit comme moteur unique, dessinant un monde solidaire, écologique, émancipateur. La posture de résistance que la gauche radicale adopte à juste titre contre l’illusoire et funeste « union nationale » et la guerre qui nous est promise est courageuse et méritoire, mais ne suffira pas.

D’où le regard vers la Grèce. Avec le fracas actuel on en oublie que dans moins de 15 jours, le balancier peut s’inverser enfin avec une victoire de Syriza. Plus que souhaitable, elle n’est bien sûr pas garantie. Et elle ne dépend plus à cette étape de ce que nous faisons, ici en France. Mais si elle arrive, la Grèce de gauche aura face à elle un fantastique mur économique libéral et la mobilisation de toutes les institutions européennes. Alors, si l’essentiel dépendra des classes populaires grecques elles-mêmes, une partie décisive dépendra de nous. Ne pas laisser abattre une Grèce de gauche qui oserait ouvrir un autre chemin. Si guerre il y a, celle là est la bonne. Du fond des drames qui nous touchent, un regard donc vers Athènes. Fébrile, inquiet, mais plein de l’espoir qui nous manque tant.

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