Dans son introduction, Peter Mertens, le président du PTB-PVDA, résume le fil rouge du programme 2019 en une phrase : ‘‘Une fiscalité juste, le progrès social et les investissements climatiques sont les trois piliers centraux de notre RedGreen Deal, notre plan rouge-vert’’.
Dossier de Boris (Bruxelles)
Le mouvement historique pour le climat, celui des Gilets Jaunes contre la hausse des prix et des taxes ainsi que les mobilisations syndicales sur le dossier des pensions et contre la baisse du pouvoir d’achat expriment le rejet des inégalités croissantes. Le programme du PTB se veut être une réponse à nombre de ces préoccupations. Il n’est pas possible ici de commenter chacune des propositions de façon détaillée ni même chaque chapitre. Nous n’analysons ici que les grandes lignes de ce programme pour en saisir les forces et les limites afin d’armer aux mieux le mouvement des travailleurs et des jeunes pour passer à l’action.
Un programme contre la casse sociale du gouvernement Michel
Pour bon nombre de syndicalistes et de jeunes, un des enjeux majeurs de ces élections est d’empêcher la remise en selle d’un gouvernement de droite dur, de type thatchérien, à l’image de celui qui a lancé une offensive généralisée contre nos pensions, nos salaires, nos allocations sociales et nos services publics dès son entrée en fonction en 2014. Le programme électoral du PTB répond à cette nécessité dans sa première partie ‘‘Emploi et protection sociale’’ en revenant sur le bilan du gouvernement Michel pour lui opposer diverses revendications offensives reprises des syndicats ou émanant du PTB utiles pour pouvoir boucler les fins de mois.
On y trouve : le retour de la pension à 65 ans ; le retrait des mesures antisociales contre les pensions anticipées, les prépensions et les aménagements de fin de carrières ; une pension minimale de 1.500€ net et l’accès à la pension complète pour les femmes à partir de 40 ans de carrière ; un salaire minimum horaire de 14€ ; la suppression de la loi de 1996 de modération salariale et le rétablissement de l’index complet ; la fin de la dégressivité des allocations de chômage ; la hausse du revenu d’intégration social et des allocations à hauteur du seuil de pauvreté européen ; l’individualisation des droits aux allocations sociales et leur liaison au bien-être.
Quelle réduction collective du temps de travail ?
Le programme pour l’emploi s’attaque au bilan des 176.000 emplois que Michel I aurait créés en clarifiant que la majorité de ceux-ci ne sont pas des emplois stables mais des contrats précaires. Contre la flexibilité, le PTB défend la journée de travail de maximum 8h et la suppression des flexi-jobs. Le recours aux intérimaires serait limité et les heures supplémentaires uniquement possibles sur base volontaire et payée à 150% du salaire. Le PTB explique aussi qu’il est urgent de lutter contre la hausse des maladies liées au travail et de s’en prendre au chômage de masse. La semaine de travail des 30h sans perte de salaire et avec embauche compensatoire n’est pourtant pas proposée comme une mesure généralisée pour la prochaine législature.
Cette revendication est mise en avant comme un objectif à plus long terme, en la limitant dans l’immédiat à des projets pilotes dans certaines crèches et maisons de repos publiques d’une part et en stimulant l’introduction de celle-ci dans le privé avec des aides financière pour 1000 entreprises volontaires. Aucune précision du montant, de l’ampleur ou de la durée de ces aides n’est développée. Le PTB modère donc sa revendication en direction de la semaine des 4 jours proposée par le PS (principalement orientée vers l’aménagement des fins de carrières pour les plus de 55 ans) ou par Défi (pour la création d’emplois peu qualifiés à Bruxelles). Ces derniers proposent d’en partie financer la mesure via la sécurité sociale, pour en atténuer le coût pour les patrons en espérant ainsi convaincre ces derniers de s’engager sur cette voie.
Pourtant, la récente étude de chercheurs de l’ULB commandée par le ministre bruxellois de l’Emploi Didier Gosuin (Défi) illustre l’absence de volonté des patrons de recourir aux réductions du temps de travail (RTT). La réglementation fédérale permettant une réduction trimestrielle de cotisations sociales de 400 euros par travailleurs, en cas de réduction du temps de travail en dessous de 38h/semaine pour une durée de quatre ans, est un véritable flop. Celle-ci est principalement connue pour son utilisation pour 520 des 600 travailleurs d’Auto 5. En janvier 2017, une convention collective a été signée afin d’annualiser le temps de travail. Concrètement, le personnel preste désormais une moyenne de 36h/semaine sur quatre ou cinq jours, dans le cadre de différents horaires, avec un plancher de 32h et un plafond de 40h hebdomadaires. Les prestations du samedi n’entraînent plus de sursalaire et, s’il est interdit de travailler plus de deux semaines consécutives de 40h, les dépassements ne sont toutefois pas considérés comme des heures supplémentaires. Bref, si ce type de RTT à 36h semaine avec flexibilité accrue n´enthousiasme pas le patronat comment en stimuler 1.000 à franchir le pas de la semaine de 30h sans flexibilité accrue comme le propose le PTB ?
En France, l’introduction de la semaine des 40h en 1936 sous le Front Populaire (et pour les chantiers et les charbonnages en Belgique après les grèves de juin 36) n’a pas pu faire l’économie d’une lutte de masse du mouvement des travailleurs. Cette lutte mettait à mal l’existence-même du capitalisme. Espérer convaincre les patrons est une utopie. La semaine des 30h nécessite l’élaboration d’un sérieux plan de bataille afin de construire le rapport de forces nécessaire pour l’arracher.
10 milliards d’investissements publics annuels pour l’environnement et le social
Lors des élections communales de 2012, Gauches Communes (fruit de la collaboration du Parti Socialiste de Lutte et du Parti Humaniste à Bruxelles) défendaient déjà la nécessité d’un plan radical d’investissements publics. Les politiques d’austérité et le transfert de moyens publics au profit des grandes entreprises ont conduit à ce que les investissements publics chutent de moitié en 25 ans. Pour atteindre à nouveau le niveau des années ‘70, il faudrait investir environ 15 à 20 milliards d’euros… par an ! Ce débat a déboulé sur le devant de la scène avec le manque d’entretien des tunnels de Bruxelles, l’effondrement de rues causé par les conduites d’eau de Vivaqua, les infiltrations d’humidité dans les musées fédéraux et autres bâtiments publics,…
Pour y remédier, le PTB veut créer une banque d’investissement pour le climat et le social. Celle-ci investirait chaque année d’une part cinq milliards d’euros dans les transports en commun, l’isolation des bâtiments, la recherche scientifique et les énergies renouvelables. D’autre part, cinq autres milliards d’euros serviraient à refinancer l’enseignement, les soins de santé, la culture, le sport, l’aide aux personnes en perte d’autonomie et l’accueil de la petite enfance.
Le montant de capitaux frais pour alimenter cette banque d’investissement correspond au montant estimé que rapporterait la mesure phare de financement du programme du PTB : la taxe des millionnaires, qui devrait donc rapporter 10 milliards d’euros par an. Le réinvestissement public repose sur l’introduction de cet impôt sur les fortunes des plus riches.
Une banque publique et une entreprise publique d’énergie ou la nationalisation de ces secteurs ?
Le programme du PTB évite soigneusement d’aborder le thème des nationalisations en se limitant à la défense d’une banque publique et d’une entreprise publique d’énergie dans le cadre d’un marché privé. L’idée du PTB est de créer cette banque publique sur base des avoirs de Belfius. L’histoire nous a pourtant déjà montré quelles étaient les limites d’une telle solution.
Comment une banque publique qui refuse les investissements spéculatifs peut-elle subir la concurrence des banques privées qui, dans des périodes de hauts rendements spéculatifs, sont plus attractives ? C’est pour cela que la CGER (l’ex Caisse Générale d’Épargne et de Retraite) a été privatisée au début des années ‘90. Lorsque Belfius s’appelait encore Dexia, la présence de tout un tas de politiciens dans son conseil d’administration (par exemple Elio Di Rupo et ou encore Jean-Luc Dehaene qui en a exercé la présidence) n’a pas empêché que la banque joue en bourse en arrosant ses actionnaires de dividendes.
Nous avons assez renfloué le secteur privé avec l’argent de la collectivité ! Réclamons notre dû et plaçons l’ensemble du secteur financier dans les mains de la collectivité. C’est ainsi que nous pourrons en finir avec la spéculation tout en garantissant tout à la fois la sécurité de l’épargne, de très bas taux d’intérêts pour les petits commerçants et les particuliers et la mobilisation de l’épargne de la population comme source de liquidité pour les investissements sociaux qui répondent aux besoins de la population en termes de création de crèches, d’écoles et de logements sociaux de qualité et en suffisance.
Il en va de même pour le secteur de l’énergie pour autant que l’on soit sérieux au sujet du dérèglement climatique. Quant aux tarifs de l’électricité, devons-nous nous limiter à nous en prendre à la partie du tarif dévolue aux caisses de la collectivité, la TVA ? Pourquoi accepter les profits gigantesques et des tarifs élevés des producteurs et distributeurs d’électricité privés ? Un secteur énergétique intégralement public permettrait de gérer la production et la distribution de l’énergie, mais également de coordonner les investissements et la recherche scientifique vers de nouvelles technologies vertes. De l’énergie à très bon marché pourrait être garantie aux consommateurs tandis que les profits de l’entreprise seraient investis dans la recherche et le développement de l’énergie verte. La sortie du nucléaire pourrait ainsi être effective et la production assurée par des investissements massifs dans les nouvelles technologies renouvelables.
Un programme irréaliste ?
Le PTB fait beaucoup d’efforts pour démontrer la faisabilité de son programme, en illustrant que ces mesures pour le climat, le pouvoir d’achat et les investissements sociaux sont budgétairement équilibrées grâce à une fiscalité plus juste et en ne s’en prenant pas à la propriété du capital. Le PTB démontrera probablement sa bonne volonté de rentrer dans une majorité progressiste en ne mettant pas la barre trop haut. Qu’à cela ne tienne ! Son programme sera certainement jugé infinançable comme ce fut le cas à la suite des élections communales. Qu’importe le gouvernement qui sera formé, celui-ci devra appliquer les assainissements budgétaires de l’ampleur exigée. Le programme du PTB sera, au mieux, considéré comme intéressant pour le social et le climat, mais destructeur pour l’économie.
Un gouvernement de gauche qui introduirait la taxe des millionnaires entraînerait une riposte patronale immédiate, avec sabotage de l’économie sous forme de fuite des capitaux. Le contre-argument principal du PTB à ce sujet ne tient pas la route. Il se réfère au fait que l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en France avant son remplacement par un impôt symbolique sur la propriété immobilière n’entraînait qu’une fuite des capitaux limitées de 0,3 %. Mais l’ISF ne rapportait que 4 à 5 milliards d’euros par an et pas 10 milliards, dans une économie belge qui plus est six fois plus petite que celle de France. La taxe des millionnaires représente un impôt sur les riches qui va bien au-delà de l’ISF.
D’ailleurs, l’impôt sur les grandes fortunes, (IGF, le prédécesseur de l’ISF), introduit en 1981 par le premier gouvernement sous Mitterrand, auquel Raoul Hedebouw a déjà fait référence lors de l’événement annuel du PTB, Manifiesta, a subi une riposte offensive de la part du patronat. Parallèlement, le gouvernement PS-PCF avait aboli la peine de mort, augmenté de 10% le salaire minimum (5% des travailleurs étaient concernés), avait augmenté les allocations familiales et la pension minimum, diminué l’âge de départ en pension à 60 ans, introduit la semaine des 39h et une cinquième semaine de congé payés tandis que des banques et 5 grands groupes industriels avaient été nationalisés, avec rachat. Le patronat, furieux, multiplia les actes de sabotage sous forme de lock-out et de fuite des capitaux.
Les riches traversaient la frontière suisse avec des valises remplies de cash, plongeant de ce fait l’économie française dans le chaos. Au lieu d’utiliser l’arme de la nationalisation pour arrêter les sabotages, un an après son entrée en fonction, le gouvernement du Président Mitterrand a opéré son ‘‘tournant de la rigueur’’ pour montrer sa bonne volonté au patronat en affrontant le mouvement ouvrier, en commençant pas l’abolition de l’indexation automatique des salaires.
Un manque de lutte ou l’absence d’un programme composé de mesures socialistes ?
En 1981-82, en France, le mouvement des travailleurs n’a pas manqué de combativité, tout comme les travailleurs et la population grecs avec leurs 40 grèves générales et la victoire du Non au référendum de 2015 contre le mémorandum austéritaire de la Troïka. Le gouvernement SYRIZA a insuffisamment fait appel à la mobilisation sociale, c’est vrai, mais la principale raison de la défaite de la gauche en Grèce réside ailleurs en premier lieu. Dans les premiers mois de son mandat, le gouvernement Tsipras a adopté une série de mesures concrètes : augmentation du salaire minimum, 13e mois de pension, arrêt des pertes d’emplois dans la fonction publique et blocage de la privatisation de la compagnie d’électricité. Mais pour l’establishment européen, même ces mesures limitées étaient inacceptables. Il exigeait le remboursement de la dette grecque. Même après le référendum de juillet 2015, il n’était pas encore trop tard, mais le gouvernement Tsipras devait faire un choix : appliquer lui-même la politique austéritaire de droite ou adopter des mesures socialistes telles que la nationalisation de tout le secteur financier et des secteurs stratégiques de l’économie ainsi que le non-paiement de la dette tout en lançant un appel au mouvement des travailleurs en Europe pour entrer dans un combat acharné contre l’austérité.
Nous devons tirer les leçons des échecs des gouvernements de gauche en 1981 en France et en 2015 en Grèce. Refuser de populariser la nécessité de recourir à l’arme de la nationalisation pour rendre viable un gouvernement de la taxe des millionnaires face à la riposte patronale, cela signifie laisser le mouvement ouvrier dans l’impréparation face aux difficultés et aux tâches qui nous attendent.
La gauche doit représenter un véritable changement pour la vie des gens. Car si la gauche au pouvoir ne permet pas de faire une différence fondamentale, le populisme de droite et l’extrême droite auront le champ libre pour dévier le mécontentement et la colère vers le désastre.
Votez pour le PTB, rejoignez le PSL
Le 26 mai, un vote en faveur du PTB représentera la meilleure garantie de disposer d’élus de gauche et de faire barrage à la reconduction du gouvernement Michel et de sa politique. C’est aussi la meilleure manière aujourd’hui de défendre un programme d’investissements publics massif pour l’environnement et le social. Toutefois, ce programme est limité à une tentative de domestiquer le marché privé et d’opérer une meilleure redistribution des richesses dans le cadre du système. Aucune référence à un changement de société ou au socialisme n’est présente dans les nombreuses pages de ce programme.
Nous sommes disposés à soutenir le PTB au maximum, nous lui avons d’ailleurs offert d’être présent sur ses listes en soutien, sur base de notre propre profil politique. Nous vous invitons à voter en faveur du PTB et d’un gouvernement de la taxe des millionnaires, mais pas seulement. Rejoignez le PSL pour armer le mouvement des travailleurs et des jeunes du programme de mesures socialistes qui s’imposent.
Dans ce contexte de crise du capitalisme, même des mesures sociales limitées ne seront pas tolérées. Nous devons partir de l’idée fondamentale qu’aucune amélioration réelle de la situation des masses n’est concevable sans incursion dans le droit de propriété capitaliste. Plutôt que de vouloir nous limiter à ce qui semble le plus réaliste, la gauche a besoin d’audace. Le mouvement des travailleurs doit s’appuyer sur un programme de lutte bien élaboré, sur un système de mesures qui, avec un gouvernement de gauche, doit assurer la transition du capitalisme au socialisme.
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