Édition du 19 novembre 2024

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Le mouvement des femmes dans le monde

Féminisme au Mozambique : pour la terre, la liberté, la sororité et une vie sans violence

Nzira Deus dénonce l’usurpation des terres et la violence au Mozambique et partage des stratégies féministes pour l’organisation et la transformation. Au Mozambique, il n’est pas possible de parler des conditions de vie dans lesquelles se trouvent les femmes sans parler de l’usurpation de la terre. De grandes entreprises d’investisseurs arrivent ici et notre gouvernement continue à leur céder des terres. La terre au Mozambique, comme dans le monde entier, est le principal moyen de subsistance des femmes.

Publié le 19 avril 2021
tiré de : Entre les lignes et les mots 2021 - Lettre n°17 - 24 avril : Notes de lecture, textes, mises-à-jour, pétitions

Plus de 80% des femmes vivent et survivent grâce à la terre. Ces investissements extérieurs génèrent beaucoup d’incertitude, d’insécurité et de peur chez nous, car nous ne participons pas efficacement aux processus de décision.

Si nous considérons le contexte de la Covid-19, nous nous rendons compte que l’on a profité de ce moment pour avancer davantage dans l’occupation des terres et dans le retrait des paysans et des producteurs de leurs terres d’origine. C’est un capitalisme qui arrive de manière agressive et crée beaucoup d’effroi. Il est difficile de rester vigilant car de nombreux accords sont conclus secrètement. Dans la province de Cabo Delgado, par exemple, il est connu que le gouvernement du Mozambique a scellé des contrats d’exploitation et de cession de terres à des sociétés transnationales. Pour cette raison, une grande partie de la population a quitté sa terre, fuyant les balles et étant obligée de couper les liens avec son lieu d’appartenance. Les gens perdent le lien avec leur lieu, leur communauté et avec eux-mêmes, car notre identité se construit aussi à travers ces éléments.

Le discours derrière l’octroi de longues étendues de terres aux entreprises est qu’il y a beaucoup de terres disponibles. C’est une erreur, car il n’y a pas de terre sans propriétaire ! Partout, même si l’on ne voit que des arbres ou une forêt « négligée », il y a une communauté environnante qui utilise ce territoire. Ce sont des lieux qui préservent la tradition ou des espaces de pratique de cultes. Les bois sont utilisés pour extraire des herbes médicinales pour la guérison de maladies ou pour d’autres croyances locales.

Les prières et les pratiques des femmes font que beaucoup les appellent des sorcières. Ce sont des pratiques traditionnelles que les femmes transmettent de génération en génération. La connaissance est leur force. Les machistes détenteurs du capital et du pouvoir le savent et se sentent menacés par ce pouvoir invisible, mais très fort. Pour la vie des femmes, en particulier, le risque est très élevé. Elles sont assassinées, violées et kidnappées. Les femmes, avec leurs connaissances, leurs traditions, leurs prières et leurs pouvoirs, sont considérées comme une menace dans les territoires qui sont usurpés.

Les accords d’octroi de vastes étendues de terres détruisent une grande richesse de connaissances traditionnelles et aussi la diversité des forêts, laissant les communautés sans rien. Qu’est-ce que c’est que ce développement ? Et à quoi sert-il, s’il ne respecte pas la volonté des peuples ?

Les femmes sont utilisées comme un instrument de guerre dans le conflit auquel le pays est confronté, notamment dans la zone centrale et septentrionale. Récemment, en septembre 2020, une femme a été sauvagement assassinée par les forces armées du Mozambique dans la province de Cabo Delgado. Le gouvernement a affirmé qu’elle avait été tuée par des terroristes, mais la communauté affirme que la responsabilité incombe aux forces armées. Cette femme a été accusée d’être une sorcière au service des terroristes, mais il n’y a même pas eu d’enquête sur sa provenance.

Le corps des femmes souffre énormément pendant les conflits, car il est systématiquement utilisé, maltraité et violé de différentes manières. Ce sont des femmes mères, épouses, sœurs et filles qui, en raison de tant de douleur et d’humiliation, perdent même leurs forces pour se battre et résister contre l’ennemi. Le corps de la femme est violé comme une stratégie pour convaincre les hommes qui refusent de vendre leurs machambas (terres) ou insistent de défendre les terres communautaires. Les gens se sentent impuissants face à des brutalités de ce genre. La violence est directement liée aux conflits concernant l’exploitation des ressources naturelles et de la nature.

Les femmes sont brutalement violées non seulement dans ce contexte de conflit armé, mais aussi dans les régions et les zones où elles ont été réinstallées. Il n’y a aucun respect pour les Droits Humains et aucun accent sur les besoins spécifiques des femmes. De nombreux cas de violence sexuelle contre les filles et les femmes dans les camps sont signalés. Ce qui inquiète le plus, ce sont les situations que nous ne connaissons pas encore. Beaucoup de choses ne sont pas dites parce qu’elles ont peur de s’exprimer, il y a beaucoup de méfiance et de crainte. Elles ne parlent que lorsqu’elles rencontrent quelqu’un en qui elles ont confiance ou se sentent en sécurité. Le silence qu’elles portent en dit long.

Force et espoir pour construire des alternatives

Nous célébrons l’existence d’une loi sur la prévention, mais la violence continue. Les femmes n’ont pas de soins appropriés. Les femmes ne font pas confiance à la Esquadra, le service de police chargé de les protéger de la violence. Elles sont toujours interrogées sur ce qu’elles ont fait pour subir la violence, et il arrive que les agresseurs soudoient la police afin que le processus n’avance pas, ce qui décourage les femmes de la dénoncer.

Nous avons également réussi à dépénaliser l’avortement. Nous avons fait une campagne forte et maintenant il existe une loi, mais il y a encore beaucoup à défendre, car nous vivons dans un pays où les documents ne reflètent pas la réalité. Nous continuons de surveiller les services afin qu’ils répondent aux besoins des femmes, mais nous devons faire un très gros effort pour être entendues et pour faire en sorte que ce qui est enregistré dans le document devienne la pratique.

Nous avons une loi foncière considérée comme l’une des plus progressistes d’Afrique, car elle défend les droits des individus et des communautés. Cette loi permet l’enregistrement des terres au nom de l’homme et de la femme, mais le patriarcat est fort : les documents sont toujours au nom de l’homme et il n’y a pas d’assistance juridique. Beaucoup de femmes ne savent pas comment accéder aux lois et garantir leurs droits. Lorsqu’un gros investissement arrive, le gouvernement enlève la terre aux citoyens et aux communautés et ne leur laisse rien. La mise en œuvre de la loi au quotidien est assez déficitaire. À l’heure actuelle, cette même loi est en cours de révision, sans garantir que les productrices rurales soient clairement informées sur les aspects qui sont modifiés.

Il est important de mentionner que de nombreuses langues sont parlées dans ce pays. Il y a 17 langues différentes et aucune ne communique avec l’autre. Autour du Mozambique, tous les pays parlent anglais. La langue est un défi pour la diffusion des informations. Pour lutter contre le patriarcat, nous devons également nous pencher sur ce qui limite la participation des femmes, leur voix et leur capacité à être protagonistes de leurs droits. Le silence des femmes est le résultat du patriarcat et du colonialisme.

Dans les espaces communautaires pour décider, par exemple, si une entreprise extérieure peut faire des investissements locaux, tout est discuté en portugais. Beaucoup de femmes dans les communautés ne comprennent pas ce qui est dit ; ou, lorsqu’elles le comprennent, elles ne parlent pas parce qu’elles n’osent pas utiliser leur propre langue. Si les sessions se déroulaient dans leur propre langue, elles auraient beaucoup de choses à dire. Elles parleraient de leurs préoccupations : presque toutes, comme nous le savons, liées à la reproduction, à l’eau, à la terre, à tout ce qui est en rapport avec les soins et dont personne ne se soucie.

« Personne ne dit qu’il faut réduire la distance pour obtenir de l’eau. Qu’il faut des maternités et des hôpitaux à proximité. Nous devons chercher de l’énergie pour construire un processus révolutionnaire de prise de conscience et de discours politique. »

Nous essayons donc de construire de la force et de l’espoir, de proposer des alternatives. Ces derniers temps, un certain désarroi nous est tombé dessus, car nous luttons mais nous ne parvenons pas à sortir de cette situation. Plus nos compagnes souffrent, plus le sentiment d’impuissance grandit. Comment pouvons-nous surmonter ces problèmes ?

En cette période de pandémie, il est encore plus difficile de présenter nos perspectives et nos revendications, car c’est dans la rue que nous avons été le mieux entendues. En outre, il y a la répression et l’interdiction croissantes de nos activités politiques publiques. Nous recherchons une coopération entre nous pour renforcer la lutte et la conscience politique.

Résistance, mouvement et expériences féministes

« Comment trouver le rythme commun entre celles qui sont déjà en route et celles qui arrivent ? Si nous ne construisons pas ce dialogue, nous restons silencieuses, rétractées, et cela fragmente le mouvement, rend la lutte individuelle. »

Comment pouvons-nous garder notre mouvement féministe fort et vibrant ? Comment construire de nouvelles formes d’articulation ? Les jeunes femmes qui sont dans le mouvement souhaitent faire quelque chose de nouveau, de différent. Elles veulent réfléchir, proposer et agir, mais elles font face à des défis économiques et sociaux. Chacune a son propre temps. Comment trouver le rythme commun entre celles qui sont déjà en route et celles qui arrivent ? Si nous ne construisons pas ce dialogue, nous restons silencieuses, rétractées, et cela fragmente le mouvement, rend la lutte individuelle. Comment rassembler tout le monde, même si nous sommes différentes ? Qu’est-ce que faire autrement ? Comment pouvons-nous exercer l’écoute ?

L’expérience du féminisme au Mozambique passe par les mouvements et par les associations de femmes, qui se rapportent au niveau local, régional et international. La Marche Mondiale des Femmes donne un sens plus profond à la lutte, dénonce le système, démantèle ce qui est en place, nous assure une unité. C’est un espace pour celles qui veulent se battre pour leurs droits et ne veulent pas le faire seulement en théorie, dans les bureaux, sur Internet. C’est la possibilité d’avoir un espace de solidarité, de rencontre et de partage.

En construisant le féminisme au Mozambique, nous créons de nouvelles formes d’action politique. En juin 2015, face à la nouvelle d’une affaire de viol, nous avons protesté en nous allongeant sur le sol d’une avenue très fréquentée. Cette manifestation n’était pas autorisée, ce qui aurait pu nous conduire en prison. Nous avons eu beaucoup de courage et nous avons réussi à maintenir l’action pendant quarante minutes, apportant de la visibilité à l’affaire.

D’autres belles expériences sont les caravanes nationales et régionales, les camps de solidarité avec les femmes dans le contexte de conflit militaire et les feux de joie féministes. Avec les caravanes, nous avons parcouru sept mille kilomètres. Bien qu’il s’agisse de voyages longs et fatigants, le fait de voir les femmes des communautés visitées venir à notre rencontre, nous écouter, partager leur vie, tout cela en vaut la peine.

Le feu de joie féministe est un cercle de conversation que nous, jeunes femmes féministes, avons créé pour partager nos défis quotidiens, exposer nos indignations, renforcer notre militantisme dans la défense de nos droits. Les traditions ici sont très fortes, donc nous avons gardé et transformé cet aspect culturel personnel, le feu de joie que nous avons l’habitude d’organiser en fin de journée. Il s’agit d’un moment de passage du témoignage des anciens aux plus jeunes, de partage d’histoires, d’enseignements et de conseils pour la vie. Nous utilisons cette pratique pour être proches les unes des autres.

Il y a beaucoup de responsabilité sur les épaules des femmes. Le feu nous réchauffe, nous réconforte et nous fait sentir que nous ne sommes pas seules. Il nous donne le courage d’affronter le machisme de la vie quotidienne. Le feu de joie porte un symbole très fort pour nous et a renforcé le mouvement féministe au Mozambique, car c’est un espace libérateur pour les femmes. Ce qui est dit dans cet espace n’en sort pas. À la fin, nous brûlons le patriarcat sur le feu de joie et nous sommes revigorées.

Nzira Deus

Nzira Deus est féministe, militante de la Marche Mondiale des Femmes au Mozambique, directrice exécutive du Fórum Mulher (Forum Femme), militante pour les droits des femmes et des LGBT en Afrique.

Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves.

https://capiremov.org/fr/analyse/feminisme-au-mozambique/

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