Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

L’affaire Errejón, les agressions sexuelles et les féministes (Etat espagnol) : « {Il est urgent d’ouvrir le débat, d’en redéfinir le cadre et de le politiser »}

L’affaire Errejón a suscité un vaste débat public dans la société et, bien entendu, au sein d’un mouvement féministe très diversifié. Dans cette interview, Justa Montero, féministe et engagée depuis longtemps dans le mouvement social, membre du Conseil consultatif de Viento sur, nous donne son point de vue sur ce débat très nécessaire et en même temps, comme elle le dit elle-même, complexe et aux aspects multiples.

Tiré de Entre les lignes et les mots

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/15/laffaire-errejon-les-agressions-sexuelles-et-les-feministes-etat-espagnol-il-est-urgent-douvrir-le-debat-den-redefinir-le-cadre-et-de-le-politiser/?jetpack_skip_subscription_popup

Viento Sur : L’accusation d’agression sexuelle portée contre Iñigo Errejón [1] et les témoignages qui ont suivi ont donné lieu à un débat public intense. Selon toi, où se situe le cœur du débat ?

Justa Montero : Au-delà de la procédure judiciaire que l’accusation (ou les accusations) d’agression sexuelle contre Iñigo Errejón va entraîner, l’impact en a été dévastateur. À la plainte s’est ajoutée une désolante lettre, bourrée d’euphémismes, dans laquelle il reconnaît de manière vague sa conduite tout en se disculpant sans demander pardon. Les conséquences ont été dévastatrices, car il s’agit d’un responsable politique extrêmement connu du public, représentant un parti de gauche qui se réclame de la « nouvelle politique » et se déclare féministe.

L’ampleur prise par cette affaire a entraîné un important débat public qui pourrait marquer un tournant dans la compréhension du phénomène des violences sexuelles. Un débat qui n’est pas facile parce qu’il a de multiples facettes et qu’il révèle à quel point il est complexe de prendre en considération cette violence machiste dans ses dimensions personnelles et sociales.

Ainsi, au premier abord, ce qu’il révèle est quelque chose que le mouvement féministe souligne depuis de nombreuses années, depuis que la violence sexuelle est inscrite parmi ses priorités : que la violence sexuelle, dans ses différentes manifestations, est plus banalisée que ne le laisse penser la perception qu’en a la société ; qu’il n’y a pas un seul profil d’homme harceleur et agresseur, c’est-à-dire que la violence sexuelle peut être le fait de citoyens respectables, de pères de famille (Dominique Pelicot, le retraité français qui a organisé le viol de sa femme par 92 hommes, ne semblait-il pas en être un ? ), elle peut venir de prêtres, de collègues, de parents, d’enseignants…

Dans le cas d’Iñigo Errejón, le débat a également été alimenté par un traitement médiatique agressif, moralisateur et sensationnaliste, qui a réussi à faire de la douleur un spectacle (une émission de télévision a même été jusqu’à reconstituer avec des acteurs les scènes mentionnées dans la plainte) ; une stigmatisation sur le mode du lynchage s’est ensuivie, créant un monstre qui mérite la prison à vie. Ceci est typique d’un populisme punitif et étranger à une éthique féministe, quels que soient les faits et les personnes.

Mais, comme le souligne Paola Aragón dans son article « Reconstruire le monstre »·[2], cela répond à un objectif, à une intentionnalité politique claire. Il s’agit de réinstaller dans l’imaginaire collectif l’idée que l’agresseur est un monstre, un traitement qui lui confère le caractère d’exception, de chose hors du commun, ce qui permet d’empêcher que l’on puisse se reconnaître dans le problème qui l’a engendré, créant ainsi un phénomène de mise à distance. Ceci, comme nous le voyons, a un effet rassurant immédiat sur la société, sur les hommes, et un effet trompeur sur les femmes.

Parmi les articles écrits par des hommes que j’ai lus ces jours-ci (de toutes sortes sur l’échelle idéologique), et je suis sûre qu’il y en a plus et que dans les réseaux il y aura des commentaires que je n’ai pas lus non plus, il y en a très, très peu qui se sont sentis interpellés ; allez, ils se comptent sur les doigts d’une main, et il y en a trop (sur ce site, nous avons repris un article de Martí Caussa, « Errejón y nosotros » [3]). Il est surprenant de voir à quel point les hommes ont beaucoup à dire et à repenser (et dans ce cas très particulièrement les hommes hétérosexuels), à partir de la place sociale qu’ils occupent, sur leur masculinité, les relations qu’ils entretiennent, leur contribution à la construction de relations agréables pour les uns et les autres… Mais bien au contraire, dans un certain nombre de cas, ils sont tombés dans la mise en cause du féminisme et de ses dérives.

Une de ces réactions problématiques apparues dans le débat est celle qui s’accompagne d’une connotation moralisatrice. Au lieu de classer les pratiques sexuelles, quel que soit leur type, en fonction de l’existence ou non d’un consentement, et donc de leur qualification d’agression ou non, à partir de l’interprétation de témoignages sortis de leur contexte, il semble que toute pratique sexuelle insatisfaisante à un moment donné, désagréable ou directement désagréable, soit une agression. Et cela revient à dévaloriser l’expression par chaque femme de son vécu sexuel.

L’approche moralisante et moralisatrice contribue à dépolitiser le débat ouvert, il est donc urgent d’ouvrir le champ, de redéfinir le cadre du débat et de le politiser, d’élargir le cadre de l’attention aux violences sexuelles et, en plus du niveau strictement individuel, qui est important et qui exige la vérité, la justice et la réparation pour les femmes qui en ont souffert, d’affronter également la nature structurelle des violences sexuelles, au niveau des structures sociales et des relations de pouvoir patriarcales et discriminatoires qui les entretiennent.

Je voudrais ouvrir une parenthèse pour commenter le fait que, de manière surprenante, le débat s’est accompagné d’un règlement de comptes, à d’honorables exceptions près, entre personnes ayant fait partie de Podemos et de Sumar. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de rapport, il est clair que le mode de direction hyperpersonnalisé, les structures hiérarchiques, les structures peu démocratiques et l’autoritarisme sont favorables au règne du pouvoir, mais il serait bon de réserver d’autres espaces à ces discours afin d’éviter de détourner l’attention, parce que, de fait, dans ces discours, le problème de la violence sexuelle et des femmes qui la subissent disparaît.

V. S. : Pourquoi penses-tu que les dénonciations de ce cas et d’autres sont passées par les réseaux sociaux et non par les sphères collectives des partis ou des espaces dans lesquels ils se produisent ?

J. M. : Hé bien, d’une façon générale, il y a très peu de femmes qui dénoncent les violences sexuelles. Selon les données disponibles, issues de la macro-enquête de 2019 sur les violences faites aux femmes, seules 11,1% des femmes ayant subi des violences sexuelles en dehors du couple les ont dénoncées (elle ou quelqu’un d’autre en son nom) ; ce pourcentage tombe à 8% si la plainte est déposée uniquement par la femme agressée. Dans le cas d’un viol, le pourcentage de femmes qui portent plainte est un peu plus élevé, mais il n’est que de 18%.

Il n’y a pas de raison unique à cela. La majorité des agressions sexuelles ont lieu dans des environnements proches de la vie quotidienne des femmes : dans la famille, au boulot, à l’université, entre amis, à l’église, dans des lieux divers. Même dans le cas des viols, ce n’est pas dans la rue que la plupart d’entre eux ont lieu, comme ce fut le cas pour « la manada », la meute [4]. Dans de nombreux cas, des relations hiérarchiques et de pouvoir sont en jeu, et il est difficile de les dénoncer par crainte de répercussions immédiates dans l’environnement, en raison de situations précaires, par exemple sur le lieu de travail. Il y a des femmes qui, même si elles le voulaient, ne pourraient pas dénoncer ; c’est le cas des femmes migrantes en situation administrative irrégulière parce que la loi les a laissées de côté sans modification de la loi sur les étrangers et donc, si elles dénoncent, elles peuvent se retrouver exposées à des procédures d’expulsion.

Ainsi, lorsque cela a été possible, parce que les femmes se sont senties soutenues par la mobilisation féministe et qu’on leur a offert un espace de parole, on a assisté à une explosion de témoignages anonymes. Sur les réseaux, elles ont trouvé cet espace où elles peuvent raconter leur histoire et se sentir accompagnées, se reconnaissant dans les récits des autres. Cela revêt une importance politique considérable, car la première étape pour aller de l’avant est de donner la parole aux femmes. Et dans les témoignages, elles racontent des expériences qui parfois peuvent constituer un délit, dans d’autres cas elles relatent des pratiques machistes de connards et de bourrins machistes ; dans tous les cas, elles nous permettent de connaître la diversité des expériences et l’impact différencié qu’ont les différentes formes de violence sexuelle sur les femmes.

Le fait que ce soient les réseaux qui aient canalisé ce déversement, avec certaines garanties, soulève de nombreuses questions, car les réseaux, comme nous le savons tous, ne sont pas sans poser des problèmes. Mais l’alternative qui a été proposée par les institutions et certains groupes féministes, à savoir le dépôt de plainte comme procédure offrant davantage de garanties aux femmes, il faut d’abord dire qu’elle se réfère à des moments différents, parce qu’une femme peut vouloir laisser un témoignage de son expérience, mais ne pas vouloir dénoncer parce que son témoignage ne se rapporte peut-être pas à quelque chose qui est considéré comme un délit, ou parce que si c’est le cas, elle ne veut pas le faire non plus.

Comment ne pas avoir peur de la culpabilisation et de la revictimisation, de se voir jugée, d’être interrogée et de la mise à nu personnelle que cela implique ? Il suffit de se rappeler certaines questions posées dans les procès les plus célèbres, ou de l’embauche d’un détective par la défense de violeurs en bande pour passer au peigne fin la vie de la victime. Il y a un film et un documentaire qui illustrent tout cela de manière rigoureuse. Je fais référence au film récent Nevenka (la conseillère municipale de Ponferrada qui a dénoncé le maire, tous deux du PP) d’Icíar Bollaín ; et au documentaire No estás sola (Tu n’es pas seule) sur le viol collectif de Pampelune, d’Almudena Carracedo et Robert Bahart. Dans ces deux cas, les femmes ont gagné en justice, les jugements ont eu d’importantes implications sociales et juridiques en raison de leur impact, et ont permis aux femmes de reprendre le cours de leur vie, même si elles ont dû quitter leur ville. En les regardant, il est facile de comprendre pourquoi une femme ne voudrait pas subir des procédures pénales aussi longues et aussi pénibles.

Tu as demandé pourquoi les plaintes n’ont pas été déposées dans les lieux où les faits se sont produits. Tous les partis ont déclaré avoir adopté des procédures contre les abus ou la violence machiste. Mais les résolutions ne sont pas une garantie en soi ; elles doivent s’accompagner d’une culture politique et organisationnelle anti-violence, de mécanismes d’écoute préventive et protectrice permettant d’identifier les comportements machistes, de mesures d’accompagnement et de suivi. En bref, garantir qu’il s’agit bien d’espaces politiques permettant des relations sûres et amicales dans lesquels la culture machiste est combattue, qu’il existe des moyens permettant, en cas de témoignage ou de plainte, de garantir la non-répétition des faits. Je ne crois pas qu’il y ait de formule magique ; ce sont les processus mêmes de construction collective qui comptent et dans lesquels les groupes de femmes doivent avoir une légitimité et une autorité.

V. S. : Peux-tu expliquer les raisons de la polarisation entre les positions punitivistes et anti-punitivistes ?

J. M. : De mon point de vue, la question centrale pour avancer vers un horizon de transformation est de savoir comment mettre fin à l’impunité qui entoure les violences sexuelles et protège les agresseurs, et comment garantir la réparation aux victimes. L’impunité et la réparation sont les deux éléments qui donnent un sens à la demande de justice et de garanties de non-répétition, car avec l’impunité, il n’y aura jamais de réparation.

La question que se pose le féminisme est la suivante : quelles sont les stratégies qui permettent de lutter contre les violences sexuelles de façon à ce qu’il y ait la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition ? Et c’est là que le débat punitivisme/anti-punitivisme réapparaît.

Une précision préliminaire, car depuis l’affaire Errejón, des positions punitivistes ont été imputées au féminisme comme s’il s’agissait d’un groupe homogène. Bien qu’il existe un secteur du mouvement féministe qui connaît une dérive punitiviste, laquelle la rapproche des positions libérales, sociales-démocrates ou du féminisme classique, il ne s’agit en aucun cas de ce que j’appellerais la position des « grèves féministes ». Je précise cela parce qu’affirmer que le dépôt d’une plainte en justice est punitif revient à banaliser la portée du dépôt d’une plainte. Comme le souligne Laia Serra (avocate pénaliste et féministe) :

«  En fait, s’il est un mouvement politique qui n’a cessé de se remettre en question, c’est bien celui des féministes de base. Nous n’avons pas besoin de leçons d’anti-punitivisme, nous connaissons, pour l’avoir vécu, la brutalité du système et les retombées de la répression, et nous savons très bien que le droit pénal non seulement ne résout pas les problèmes sociaux, mais qu’il en démultiplie la violence. Nous avons toujours eu à cœur, de par notre éthique et notre engagement pour l’émancipation, de nous opposer à tout ce qui vide les problèmes de leur charge de contestation sociale » (pikaramagazine [5]).

Le débat avec les positions punitivistes est très important, et du fait de la loi du « seulement si », du populisme punitif qui se manifeste face aux réductions de peine et aux libérations de prisonniers, le débat sur ses conséquences s’est approfondi et amplifié. Parler de punitivisme, c’est se tourner vers l’Etat qui a le monopole de la violence, vers le système carcéral et sécuritaire qu’il organise, vers l’ensemble de son maillage juridique de contrôle social. Et l’État exerce la violence contre les femmes de multiples façons, comme le montre le livre Cuando el estado es violento d’Ana Martínez et Marta Cabezas.

Mais de mon point de vue, il est également intéressant de s’attaquer à l’anti-punitivisme, car c’est ce qui peut ouvrir de nouveaux horizons à ce que nous appelons la justice féministe. Je me réclame d’un féminisme qui a été et qui est anti-punitiviste, qui s’est confronté au populisme punitif, qui critique, par conséquent, le système pénal, les prisons et leur supposé effet préventif. Jamais ce courant féministe n’a mis l’accent sur un alourdissement des peines, ce n’est pas ce qui a été demandé dans le cas de la « meute de Pampelune », où ce qui était demandé, c’était une nouvelle façon de prendre en compte la violence, allant du harcèlement au viol collectif.

Mais, et je reviens à Laia Serra, ce débat sur l’anti-punitivisme ne peut occulter le vrai problème, non résolu, de savoir que faire face à l’impunité généralisée dont bénéficie la violence et de déterminer qui doit être tenu pour responsable de ses conséquences. En d’autres termes, la façon dont on donne un fondement à ces accords théoriques sur l’anti-punitivisme revêt un caractère plus complexe dans la pratique politique féministe, lorsqu’il faut se colleter à la réalité concrète que vivent les femmes.

Et c’est là que la complexité revient. J’ai dit plus haut que les femmes peuvent appréhender la réparation de différentes manières : par le biais d’une décision judiciaire, dans laquelle la sanction est peut-être ce qui importe le moins, mais où la reconnaissance formelle de l’agression est plus importante ; il peut s’agir d’un processus de réparation s’il bénéficie d’un accompagnement professionnel et social qui soutient les femmes ; il peut s’agir d’une réparation économique, ou de se sentir réparée par la reconnaissance et la responsabilisation de l’agresseur dans l’environnement dans lequel l’agression a eu lieu. Toutes ces réponses sont pareillement légitimes et nécessaires parce qu’elles se concentrent sur les besoins des femmes et sur les moyens de mettre fin à l’impunité et de parvenir à une réparation.

D’une part, nous connaissons les problèmes auxquels les femmes sont confrontées dans les procédures judiciaires et il ne saurait être question d’embellir ou de mythifier les choses. Mais réaliser des changements, ouvrir des failles dans le système qui permettent des améliorations dans la vie réelle des femmes, comme par exemple le fait que les femmes ne soient pas obligées de porter plainte pour bénéficier de moyens de subsistance et d’un traitement psychologique, l’existence de centres de soins d’urgence spécifiques, que la prévention sociale et en milieu scolaire occupe une place centrale (même si c’est autre affaire qu’elle soit réellement développée), que l’on continue à affronter la justice patriarcale, tout cela permet de continuer à faire porter à l’État la responsabilité de ses dérives patriarcales, autoritaires et punitives, et d’avancer vers l’horizon d’un système de justice féministe.

D’autre part, dans les positions anti-punitivistes, l’alternative à la dénonciation judiciaire est formulée comme une justice réparatrice/transformatrice centrée sur des processus communautaires de réparation et de responsabilisation individuelle et collective. Il est très important et porteur d’espoir que certaines expériences positives de promotion de la non-impunité et de la réparation au niveau communautaire existent. Il est également important que des femmes et des hommes participent à leur développement afin d’enrichir et de faire progresser la réflexion sur la justice féministe que nous souhaitons. Mais il est également important de ne pas enjoliver cela, car cela a aussi ses limites et ses difficultés. Ces espaces, auxquels nous participons, sont aussi en construction et traversés par des inégalités. Lorsqu’un cas de violence sexuelle a été soulevé, il est parfois arrivé que des dynamiques de revictimisation de la femme qui avait porté plainte au sein du collectif se soient produites. Ces expériences n’ont pas toujours été positives et l’autogestion de la violence n’a pas toujours donné des résultats satisfaisants. Vouloir l’aborder non pas de manière complémentaire, mais comme une alternative, crée des problèmes dans la pratique, car la grande majorité des femmes qui subissent des violences sexuelles ne participent pas à ce type de communautés et de réseaux sociaux, n’ont pas la possibilité de le faire, et ont besoin d’autres outils.

En conclusion, l’anti-punitivisme est quelque chose qui se construit à partir de diverses pratiques en espérant réduire la distance entre la justice féministe à laquelle nous aspirons et les conquêtes ponctuelles que nous obtenons : mesures préventives, prise en charge totale des femmes ayant subi des violences sexuelles, transformation du système judiciaire, construction de collectifs et de relations plaisantes et satisfaisantes, afin d’améliorer la situation de celles qui subissent des violences sexuelles.

V. S. : Quel devrait être, selon toi le rôle du féminisme dans ce débat ?

J. M. : Tout d’abord, une précision, car vu la tournure que prend le débat public, je pense qu’il est nécessaire de revenir à parler des féminismes au pluriel. On parle trop souvent du féminisme comme s’il s’agissait d’un bloc compact ou d’un parti, alors qu’il s’agit d’un mouvement pluriel. C’est ainsi que l’on étouffe, y compris, même si c’est surprenant, de la part de voix amies, le féminisme de base qui s’est nourri des grèves féministes et qui, comme je l’ai dit, ont fui le punitivisme, qui ont toujours mis en avant la capacité d’action des femmes en tant que sujets dotés de la compétence éthique de prendre des décisions concernant leur vie, leur identité, leur sexualité, leur plaisir et leur amour, non pas en tant que victimes mais, même dans des situations dures et difficiles, en tant que sujets actifs à même de formuler leurs revendications. Ces exigences, il les formule pour toutes, pour les travailleuses du sexe, pour les personnes transgenres, en ce qui concerne la maternité, les relations sexuelles, afin de faire face à la violence. C’est un féminisme qui pratique une approche intersectionnelle pour ancrer les histoires et les propositions dans les réalités concrètes de la vie des femmes, sur la base de leurs conditions de vie matérielles et de la subjectivité de chacune d’entre elles, afin qu’elles puissent vivre dans la dignité et libérées de la violence. Je crois que c’est ce qui ouvre une voie vers une plus grande transformation.

Tout ce qui vient d’être dit n’est rien de plus que de brèves réflexions ; comme je l’ai déjà dit, il s’agit d’un débat complexe, et plus il y a d’acteurs impliqués, plus il y a de facettes qui se dessinent. Je crois que nous devons continuer à y réfléchir et à nous poser de nombreuses questions, comme nous l’avons fait tout au long de notre vie. Lutter contre la violence à deux niveaux interconnectés – individuel et structurel – implique de se confronter à la subjectivité et à la réalité matérielle des femmes et des hommes, ainsi qu’aux structures de pouvoir du système qui génèrent et entretiennent la violence.

Nous nous trouvons à un moment important où nous devons consolider et faire progresser ce qui a été réalisé, afin de gagner la bataille du narratif qui a commencé à se déployer.

Face au risque d’une fermeture moralisatrice du débat, dans lequel la droite et l’extrême droite se lanceront avec force, c’est l’occasion d’exposer nos arguments en défense de notre identité sexuelle et de notre lutte contre la violence machiste. Et face au risque de voir les femmes réduites au silence, il n’y a pas d’autre choix, comme toujours, que l’organisation et la mobilisation féministes. Car la mobilisation féministe est aussi réparatrice pour de nombreuses femmes. J’aime à rappeler les paroles de remerciement contenues dans la lettre envoyée par la femme qui a subi la violence de la manada : « Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidée dans ce parcours. Toutes les personnes dont l’élan, sans qu’elles me connaissent, a submergé l’Espagne, et qui m’ont donné une voix quand beaucoup ont essayé de me l’enlever ».

[1] Iñigo Errejón a été l’un des principaux dirigeant de Podemos, avant de rompre avec Pablo Iglesias, et de fonder ses propres organisations, puis de rejoindre Sumar, puis de se retirer de la vie politique en 2024.
[2] https://www.pikaramagazine.com/2024/10/reconstruir-al-monstruo/
[3] https://vientosur.info/errejon-y-nosotros/
[4] L’affaire de La Manada, viol collectif commis à Pampelune en 2016. La victime a porté plainte, le procès a eu un grand retentissement. Après bien des péripéties, la mobilisation féministe a permis de faire entrer la notion de consentement dans le code pénal, les cinq violeurs ont finalement été condamnés à 15 ans de prison (ndt)
[5] https://www.pikaramagazine.com/2024/10/antipunitivismo-remasterizado/

Source : Viento Sur, 09/Nov/2024, “Urge abrir el foco, cambiar el marco del debate y politizarlo” :
https://vientosur.info/urge-abrir-el-foco-cambiar-el-marco-del-debate-y-politizarlo/
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepL.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72497

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