Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Corruption

Faire connaissance avec l’oligarchie

Cupidité, recherche perpétuelle des rentes, copinage, retour d’ascenseurs. L’oligarchie comme classe sociale dominante a un esprit de corps développé et un sens de ses intérêts qui ne se dément pas. La théorie des pommes pourries ou de l’exceptionnalité de la corruption et de la collusion a fait long feu. Dans cette oligarchie, on retrouve les riches entrepreuneurs, les grands commerçants, les banquiers ou autres financiers.

Le tableau que la Commission Charbonneau dessine à grands traits prend des allures de plus en plus inquiétant. La méfiance populaire envers les puissants et les politicienNEs à leur service en est exacerbée. Les beaux principes de l’équité, de l’honneur, de la transparence, de l’honnêteté volent misérablement en éclats.

Aux fondements de ce qui apparaît comme une dérive morale des élites, il y a d’abord la construction de leur pouvoir sur une formidable inégalité qui n’a fait que se renforcer dans les dernières décennies. La course des puissants pour s’accaparer l’entièreté de l’assiette au beurre se fait de plus en plus sans honte et sans retenue. L’oligarchie concentre dans ses mains les décisions économiques qui concernent l’avenir de tous et toutes, la majorité des décisions politiques alors que les travailleurs et travailleuses (surtout) manuelles sont exclus de tous les lieux de pouvoir ; elle monopolise la prise de parole dans les grands médias imprimés et électroniques... Il n’est guère étonnant que l’oligarchie se croit tout permis et qu’elle se permet en fait tout. L’oligarchie est une famille où l’on se reconnaît et on l’on sait se solidariser au mépris du reste de la société. Et cette concentration du pouvoir économique, politique et idéologique va bientôt tout permettre et tout justifier pourvu que ses prévarications restent à l’abri des regards de la majorité.

Mais notre oligarchie n’est pas suffisamment connue. Il y a va de l’autodéfense des intérêts et de la dignité de la majorité populaire de mieux connaître cette oligarchie, ses pratiques, ses us et coutumes et ses abus multiples. Une commission d’enquête publique, c’est bien. Une commission d’enquête populaire autogérée et permanente, c’est mieux. Plus, cela devient essentiel.

Tout un programme de recherche sur l’oligarchie doit devenir une préoccupation quotidienne de la gauche politique et sociale comme nous le suggère Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot en conclusion d’un leur livre, Le président des riches ... Nous vous invitons à lire ici une partie de la conclusion de ce livre qui décrit les tâches qui sont devant nous à cet égard.

Bernard Rioux

Que faire ?

(...)

Un changement de société, allant vers plus de justice sociale, moins d’inégalités économiques, un accès plus large au savoir et à la culture, suppose de maîtriser la connaissance des réseaux qui contrôlent et asservis sent la grande majorité du peuple français.

Chaque citoyen doit s’intéresser aux différentes composantes de l’oligarchie, en commençant par celles dont le pouvoir s’exerce sur son lieu de résidence et sur son lieu de travail. S’informer sur les appartenances politiques des élus, être attentif aux relations qu’ils entretiennent avec les entrepreneurs de travaux publics, les promoteurs et les industriels. Dresser un tableau des interconnexions entre ces personnages importants, omniprésents dans la presse locale, qui, ensemble, ont un pouvoir dont on ne peut prendre conscience qu’en additionnant leurs liens et leurs interrelations. Construire les réseaux et les faire connaître.

Un travail de longue haleine peut-être, mais qui, dans son élaboration même, amène à réfléchir sur sa propre position dans le monde social et permet de prendre un peu de distance par rapport à sa vie personnelle, ainsi replacée dans la complexité des relations qui incluent, mais aussi excluent. Prendre le temps nécessaire à la réflexion est déjà une riposte à la politique des effets d’annonce si chère au président. Cet arrêt sur image est déjà en lui-même une forme de résistance à la saturation présidentielle et médiatique.

Toute bibliothèque municipale ou d’entreprise devrait mettre à la disposition de ses lecteurs les ouvrages de référence qui donnent d’utiles renseignements sur les réseaux des dirigeants. Le Who’s Who, par exemple. Excellent ouvrage qui permet de recouper les informations sur les individus. De l’origine sociale aux différents postes occupés en passant par les écoles fréquentées et les diplômes obtenus, le Who’s Who est une encyclopédie biographique de toutes les élites françaises. Les adresses professionnelles et privées sont également indiquées.

Alors que la présence dans cet ouvrage est de l’initiative de la rédaction, la personnalité sollicitée pouvant toujours refuser d’y être mentionnée, le Bottin mondain est, quant à lui, un annuaire familial, où les familles nucléaires ont demandé à figurer, avec le soutien de deux parrains, la rédaction se réservant un droit de refus. Les familles sont regroupées par patronyme, ce qui donne immédiatement une idée du réseau familial. L’ouvrage comprend de nombreuses pages pratiques et des publicités qui donnent un bon aperçu du mode de vie des familles privilégiées.

Dans un autre registre, le palmarès annuel des cinq cents premières fortunes professionnelles de France établi par Challenges, déjà évoqué, est une mine de renseignements clairement présentés. Les sites Internet sont enfin une source inépuisable d’informations : sites d’entreprise, d’institution ou d’association, ils livrent des données dont l’accès n’est pas aisé par la voie traditionnelle de la bibliothèque, de la revue ou du livre. Il en va ainsi des rapports d’activité des sociétés et des documents qu’elles sont tenues de publier. Pour les principales d’entre elles, ces informations, publiques, sont diffusées sur leur site institutionnel, sous la rubrique « Document de référence », sous le thème « Publications financières ». Ces données sont également accessibles sur le site de l’Autorité des marchés financiers (AMF)

(...) La vigilance, la curiosité et le travail de recherche dans ces masses de documents sont déjà une partie du combat. Si les dominants peuvent bénéficier de revenus qui n’ont plus rien à voir avec l’échelle des salaires, c’est, pour une part, parce qu’ils ne sont pas suffisamment connus. Ni leurs personnes ni les interrelations complexes qui les lient. Ne pas chercher à en apprendre plus sur les dominants est une complicité involontaire avec la domination que l’on subit. Il est vrai que ces documents sur les entreprises, et les ouvrages consacrés au monde de la finance et à l’économie apparaissent souvent compliqués, inaccessibles et bourrés d’anglicismes ésotériques. Un jargon bien fait pour intimider et éloigner les curieux. Cette mise à distance de la France du travail protège des êtres humains bien vivants derrière le paravent pudique des organigrammes abstraits et désincarnés. Internet recèle toutefois une telle masse de données que l’on trouve presque toujours la réponse recherchée.

La méconnaissance de la richesse et des riches est d’autant plus profonde qu’ils vivent entre eux, dans des quartiers à part, véritables ghettos dorés.
(...) Cette connaissance plus précise des puissants peut se diversifier presque à l’infini et permettre de comprendre la force accumulée dans ce milieu par le simple rapprochement d’agents sociaux qui occupent des positions de pouvoir.

La conscience aiguisée de la puissance de la domination pourrait aboutir à une volonté de sanctions contre ces organisations de fait qui, au sommet de la nation, en règlent la marche pour leur seul profit. Le travail sur les mots devrait trouver une pertinence avec l’application du terme « bandes » à celles qui, depuis les beaux quartiers, sévissent en détruisant l’outil de travail, en fermant les usines pour cause de délocalisation, en ruinant des vies humaines au nom de la rentabilité du capital. L’intégrité des travailleurs est atteinte par la précarisation de leur emploi et les remises en question de leurs droits sociaux, dont celui de la retraite attendue et méritée.

L’identité politique des ouvriers, des personnels de service, des employés et de tous les travailleurs qui font tourner l’économie réelle est stigmatisée aujourd’hui par la qualification récurrente de populisme. Toute condamnation des inégalités de revenus, toute velléité contestataire à l’égard de la spéculation financière et du chantage à la dette sont taxées de démagogiques. Populistes et démagogues flatteraient le peuple pour s’attirer ses bonnes grâces et en particulier ses voix en prodiguant des promesses inconséquentes.

Mais personne n’a jamais parlé de "bourgeoisisme". Pourtant, celui-ci existe bel et bien dans les partis de droite dont la défense des intérêts privés de la haute société est le credo. Le néolibéralisme mériterait pourtant d’être ainsi désigné. Mais la force idéologique des aventuriers de la finance est telle que leur démarche apparaît comme allant de soi, et parler de bourgeoisisme à leur sujet serait incongru.

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