Depuis le cœur et la raison, en pensant à nos intérêts de classe comme au sort de l’humanité dans son ensemble il faut donc penser et combattre le capitalisme autoritaire qui s’apprête à laisser la main à un projet fascisant voir fasciste.
La question du fascisme
On ne va pas donner l’ensemble des réponses complètes et complexes à ce que fut le fascisme et ce qu’il est aujourd’hui, mais donner quelques repères nécessaires pour appréhender le phénomène fasciste et pour le contester. Dans la lignée de ce que disait l’intellectuel allemand de l’école de Francfort, Max Horkheimer, on considère que si on n’a rien à dire sur le capitalisme on n’a rien à dire sur le fascisme. Il ne faut pas rester au plan des idées mais étudier les conditions matérielles qui leur ont permis d’éclore. Une analyse matérialiste est de mise pour comprendre le monde, la dimension destructrice du capitalisme et la progression de courants politiques autoritaires et racistes.
Avant de s’arrêter sur le XXème siècle il faut remonter à l’impérialisme, père de la modernité. L’entrée se fait avec la conquête de l’Amérique en 1492. Point d’origine du projet colonial qui donne naissance à la division sexuelle, sociale et raciale du travail. Ces divisions restent très présentes au XXème siècle et encore aujourd’hui. Les rapports sociaux et les migrations sont définis par la classe dominante émergente qui utilise les êtres humains comme de simples outils de production. Les mouvements migratoires seront légions et ne poseront aucun problème tant que c’est la classe capitaliste qui a les rênes et qui décide sur qui doit aller où et pour quoi faire. Les frontières qui traversent l’humanité portent alors le sceau de la race, du sexe et de la classe dès le début, et c’est la pratique impériale qui vient d’abord (les théories racistes et sexistes suivront) et fabrique ces divisions. Les premiers capitalistes au début de l’âge moderne vont biologiser les êtres humains afin de mieux naturaliser un ordre du monde qui commence à se structurer autour de ces trois catégories, la race, le sexe et la classe sociale. Ce triptyque va permettre de soumettre le peuple et de briser les éléments émancipateurs qu’il y avait dans l’ordre ancien comme la sororité, les relations communautaires fortes pour l’Europe et la gestion collective et spirituelle des affaires de la cité en Abya Yala (Amérique), une sorte de “communisme primitif” dira Marx, brisé par le système plantationnaire esclavagiste et l’introduction forcée de la propriété privée sur le territoire. Les oppressions multiples se renforcent l’une l’autre et dès les premières conquêtes les classes possédantes ont su jouer sur ces frontières pour atténuer la force de frappe du peuple en accordant par exemple un privilège blanc aux travailleurs dans les pays colonisés pour pallier aux crises économiques et éviter que le chômage de masse engendré par le capitalisme lui-même entraine des mouvements de foule et une instabilité pour le pouvoir en place. Tout signe de solidarité entre les classes, que ce soit entre les femmes et les indigènes, ou les travailleurs blancs avec les travailleurs racisés fut combattu dès le départ. Parler du fascisme, on le voit, c’est aborder la genèse du capitalisme. Le projet impérial est fondé sur l’extermination coloniale, le pillage, les guerres et l’exploitation. Justement, le fascisme va puiser ses racines dans le projet impérial qui vient de loin et s’étend sur plusieurs siècles si bien que la folie génocidaire nazie ne vient pas de nulle part. Pour ne prendre qu’un exemple il y a eu le génocide des Héréros et des Namas perpétré sous les ordres de Lothar von Trotha dans le Sud-Ouest africain allemand (Deutsch-Südwestafrika, actuelle Namibie) à partir de 1904 : violence extrême (dénoncée par la révolutionnaire Rosa Luxemburg qui a réfléchit et écrit sur le lien entre impérialisme et capitalisme) annonciatrice de la violence nazie. On a donc une affinité évidente entre l’impérialisme européen et le fascisme.
Le fascisme est un projet colonial et impérial. C’était vrai hier et c’est vrai aujourd’hui. Sans se limiter à ça il est toujours opposé aux droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, il repose donc sur cette même idée qu’il y ait une hiérarchie raciale et sociale et que certains pays ou certains peuples soient dominés pour assurer “l’espace vital” d’autres peuples ou classes sociales. De plus, au début du XXème siècle, le projet fasciste semble être la roue de secours de la bourgeoisie lorsqu’elle est désavouée en raison des crises internes du système de par ses contradictions, et en raison des grèves et luttes sociales. Il apparaît en réaction au risque révolutionnaire. Il est un mode de gestion autoritaire et antidémocratique qui s’appuie sur la police et l’armée pour rassurer la bourgeoisie inquiète, et pour empêcher une transformation sociale. Le fascisme vise à endiguer la dynamique révolutionnaire mondiale, en cela, c’est une idéologie bourgeoise défendue par la petite bourgeoisie. On a des éléments de comparaison entre l’extrême droite d’hier et celle d’aujourd’hui ; les soutiens d’hier et ceux d’aujourd’hui. L’extrême droite actuelle dans ses différentes composantes est toujours colonialiste et nationaliste, antirévolutionnaire, et de nombreux bourgeois aujourd’hui sont dans la même optique que la bourgeoisie des années 1930 qui considérait (à l’instar d’Emmanuel Mounier) qu’il valait mieux Hitler que Blum. Christophe Barbier comme d’autres éditorialistes ou intellectuels de plateaux considèrent qu’il vaut mieux Marine Le Pen à Jean Luc Mélenchon. La bourgeoisie est prête à tout pour empêcher qu’une amorce se fasse dans la contestation de l’ordre économique si bien que l’entreprise de légitimation et de banalisation de l’extrême droite s’est accompagnée d’attaques et de diffamations pour les courants politiques (comme le NPA ou LFI) qui sont dans une perspective anticoloniale et de défense des droits humains.
En résumé, pour le fascisme, on peut parler d’un “système politique autoritaire, inégalitaire et conservateur, qui s’appuie sur un État fort, militarisé et policier, et qui implique une réduction drastique des libertés politiques et syndicales, le tout dans un déni total des droits humains.” Si on regarde les attaques récentes contre les droits et les libertés publiques en France depuis le 7 octobre, on observe que la macronie a déjà préparé le terrain en menaçant, en interdisant, en diffamant ou en convoquant ceux et celles qui critiquent le pouvoir et les guerres impérialistes. Les concernés sont nombreux et nombreuses ; on pense par exemple à Olivier Cuzon, secrétaire départemental de Sud 29, directeur de publication d’une brochure syndicale. Il a été convoqué le 19 avril au commissariat de Brest et interrogé par un policier sur ordre du procureur de la République qui obtempère à une plainte déposée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour « Diffamation et injure publique à l’encontre de la police et de la gendarmerie ». La simple critique de la militarisation d’une partie de la jeunesse voulue par l’Etat n’est pas permise ; elle n’est pas passée. Ce n’est pas seulement la jeunesse, c’est aussi la pensée critique que le pouvoir veut mettre au garde-à-vous.
On ne vit pas dans un Etat fasciste et il suffit de regarder l’histoire pour s’en convaincre mais il y a un processus de fascisation inquiétant. Si le pouvoir déroule le tapis rouge à l’extrême droite en s’attaquant aux droits et aux libertés, ceux qui risquent de le piétiner prochainement pourraient être bien plus dangereux. Les premiers attaqués seront les étrangers, les femmes, les musulman.es, les syndicalistes, les écologistes et l’ensemble des travailleurs à commencer par les travailleurs pauvres et ceux et celles qui ont un engagement dans la lutte antiraciste ou dans la lutte des classes.
Détournement et confusion
Comme on le voit dans l’histoire, le fascisme arrive à point nommé pour empêcher la victoire du communisme et la remise en cause des intérêts de la bourgeoisie. Il n’aurait jamais pu voir le jour sans l’appui de la petite bourgeoisie et des industriels comme on l’a dit. On sait que l’industriel Henry Ford faisait distribuer des flyers antisémites dans ses usines pour détourner la colère ouvrière. Les capitalistes et la petite bourgeoisie ont donc fait monter l’antisémitisme pour semer la confusion et épargner les grands patrons. Faire croire que les juifs sont l’ennemi relève d’une manipulation qui a pu se faire grâce à la propagande patronale et nazie, et grâce au contrôle accru sur la langue et la pensée établi par le régime hitlérien qui a organisé, progressivement, un nouveau rapport aux mots et à la pensée. Ce contrôle sur l’évolution de la langue a été repéré par le linguiste allemand Klemperer qui a écrit, dans la gueule du loup, La langue du IIIème Reich. La destruction du sens et la propagation des mensonges vont peser négativement sur l’engagement et brouiller les pistes. Aujourd’hui encore, le mensonge domine, et ils sont bien trop peu à rétablir la vérité. Les diffamations vont bon train. Les mots lâchés, repris, légitimés, pavent le chemin des jours tragiques, comme “décivilisation”, “grand remplacement”, “déclin”, “islamo-gauchisme”, “ensauvagement.” Ils résonnent avec l’imaginaire colonial qui fut envisagé comme une aventure destinée à “civiliser” les “sauvages.” Les relations calomnieuses et mensongères entre immigration et délinquance, ou immigration et chômage sont dans les tuyaux depuis longtemps. Malgré la propagande, ces associations ne passent pas l’épreuve des faits. On laisse croire aussi que l’immigration pèse sur les salaires pour mieux laisser oublier que la pression est exercée par le Capital ; là encore, l’image créée ne passe pas l’épreuve des faits.
Les amalgames continuent mais ne choquent personne car il y a un déni, déni du racisme dans la police et plus largement, du racisme dans la société si bien qu’on est prêt à croire que l’autre, les autres, étrangers et racisés, sont responsables de la délinquance, du chômage ou des bas salaires. S’il y a eu une augmentation inquiétante des actes antisémites ces derniers mois, on s’étonne que l’augmentation des actes et des discours racistes et islamophobes depuis de nombreuses années passent sous les radars et que personne ne semble s’en inquiéter. La première augmentation semble être plus individuelle, la seconde en revanche revêt d’une attaque collective contre “les banlieues” ; autrement dit, contre les habitants racisés souvent accusés de faire sécession. C’est tout un groupe social qui est attaqué avec des discours au relent raciste et colonialiste. Les propos ambiguës ou discriminants des politiciens et des journalistes sont vraiment nombreux mais il est assez rare qu’on mette un Macron, un Darmanin ou un François-Xavier Bellamy face à leurs mots, leurs tweets et leur responsabilité. Si les militants de la paix et des droits humains comme Rima Hassan doivent rendre des comptes tout le temps, le pouvoir médiatique et politique peut quant à lui disséminer des contrevérités sans être inquiété.
Le discours de l’extrême droite dominait la vie politique des années 1930 comme il domine aujourd’hui l’espace médiatique qui appartient à quelques milliardaires qui s’accommodent très bien du racisme et des mensonges. Or, s’habituer aux mensonges et au racisme c’est déjà être prêt pour basculer dans le régime fasciste. Les propos d’un député du centre républicain en 1933 sont un peu ceux de l’époque, et pas seulement en France.
“Il y a en France 331 000 chômeurs. En rapprochant ce chiffre des 1 200 000 travailleurs étrangers, il est facile de se rendre compte que si les ouvriers étrangers quittaient la France, la question du chômage serait pour nous résolue (applaudissement à droite)”
On peut encore entendre ce type de phrase aujourd’hui. On sait que Le Pen a mis la citation en affiche mais d’autres phrases ont pu être dites, toutes aussi choquantes, ou il est considéré qu’un groupe humain de par son lieu de naissance est naturellement enclin à la délinquance. L’expulsion et l’enfermement deviennent alors magiques face à une menace inventée de toute pièce. Ils permettent tout à la fois de punir et de lutter contre le chômage et contre l’insécurité.
En dépit de la vérité, de ce qu’il en est vraiment, ces croyances - qui se superposent avec celles des années 1930 - sont importantes parmi ceux qui soutiennent un projet fasciste.
Le jugement contre la pensée critique
Le jugement à l’emporte-pièce permet de faire du mal aux autres le jour des élections, ce qui est un peu la jouissance des électeurs de la droite dure et de l’extrême droite : supprimer les droits, les aides, les mécanismes de protections et de solidarités.
On ne les connait pas, mais on préjuge de tout et de tout le monde. Cela se fait en appliquant une sociologie en bas de chez soi : n’assurer son propos d’aucun appui scientifique, faire que le jugement domine et qu’il n’y ait zéro espace pour la pensée critique. Jugement bourgeois classique de type extrême droite : ils ne veulent pas travailler, ils sont sauvages, casseurs, décivilisés, assistés, profiteurs, islamisés ; elles sont soumises. En d’autres termes, certain.es ne méritent pas de vivre. Or, cette haine de l’autre pour être étranger et précaire est aussi une haine du pauvre responsable de son propre sort. Autant dire que la pensée d’extrême droite est symétrique à la pensée bourgeoise qui ne juge que par l’individu et le rend responsable de tout. Cette façon de penser exclut la compassion, ce qui déshumanise l’autre. La colère ne tombe pas contre les rapports sociaux de dominations responsables de la pauvreté, mais contre les pauvres. C’est une pensée qui s’attaque à l’individu et qui fait comme si le sort de chacun était dans ses propres mains, ce qui a le grand mérite d’exonérer les contraintes qui façonnent nos vies rendant invisible la situation sociale et écologique dans laquelle on évolue et les traumatismes historiques que l’on porte depuis longtemps en raison d’oppressions, dont la plus ancienne est probablement la patriarcale. La séparation matérielle entraîne la séparation avec les mots et la suspicion permanente pour ses camarades de classe (adelphes) et ses frères humains. C’est parce qu’on est divisé socialement avec des conditions de vie et de travail individualisées que l’on juge l’autre et qu’on se soucie si peu de lui, d’elle, et du sort commun. Jusqu’où ? Quand va-t-on se lasser de se comparer (public, privé, chômeurs, travailleurs, français, étranger, etc) de se juger sans se connaître, de se suspecter tout le temps ? Il faut bien comprendre que ces discours se traduisent en loi, comme celle de l’assurance-chômage et qu’en fin de compte ça fait que les gens pauvres deviennent plus pauvres, plus précaires, plus contrôlés.
Ces jugements attaquent les pauvres et les chômeurs mais pas le chômage, ils remettent en cause un élément fondamental pour vivre en société : la confiance aux autres.
Mépris des pauvres et des étrangers : le carburant de l’extrême droite
Contrairement aux idées reçues, le chômage aujourd’hui est structurel si bien que contraindre les chômeurs en leur mettant le couteau sous la gorge ne résoudra pas le chômage. Là n’est pas le but. Tout comme le chantage au RSA, la contre-réforme de l’assurance-chômage est destinée à soumettre ceux et celles qui pourraient se rebeller face à l’autorité patronale et à la dégradation du salaire et des conditions de travail. Le besoin de main d’œuvre dans certains secteurs aurait pu créer un rapport de force pour que les travailleurs imposent leur voix et fasse valoir une amélioration des conditions de travail et des salaires, et c’est tout ce que les “réformes” antisociales successives, comme celle de l’assurance-chômage, ont cherché à éviter. Applaudir ces contre-réformes c’est se réjouir du travail forcé, du rétablissement de l’autorité patronale et de la soumission ouvrière. “Accepte ce que le patron te donne”, c’est-à-dire, les conditions d’exploitation telles qu’elles sont fixées ou bien meurs à petit feu dans la précarité et la misère. Les résultats se font déjà sentir. On est passé d’un chômeur sur deux indemnisé à un sur trois. Le chômage c’est de la souffrance, de la maladie, des suicides. Le chômage tue 14.000 personnes par an.
Ces mesures antisociales brutales furent justement celles qui menèrent les nazis au pouvoir si bien que résister au fascisme c’est forcément les abroger et en finir avec leur philosophie basée sur l’humiliation et la servilité. En effet, la politique austéritaire de Heinrich Brüning (homme d’Etat allemand, chancelier dès 1930) et la baisse des aides sociales ont permis, fortement contribué, à l’accession des nazis au pouvoir. Il faut le garder en tête pour développer un antifascisme conséquent. Lorsqu’on s’attaque aux pauvres, on s’attaque souvent aux étrangers derrière et vice-versa.
Alors qu’on suspecte les pauvres d’avoir des aides qui sont pourtant toujours inférieures au minimum pour vivre décemment, on ne dit absolument rien de ceux qui prennent le surplus, se gave par le vol et la destruction, ou sur le fait que les aides aux entreprises augmentent trois fois plus vite que les aides sociales. Bloquer la machine austéritaire qui produit misère et mensonge serait donc une mesure antifasciste en plus d’être une mesure sociale. Les travaux de Herbert Kitschelt tels qu’il les a présentés dans son livre The Radical Right in Western Europe (1995) font le lien entre racisme et politique antisociale. Il précise notamment que les personnes socialement démunies “soutiennent un certain type d’économie de marché et une réduction des mesures de redistribution parce qu’ils y voient le seul moyen de priver les immigrés et les demandeurs d’asile de leurs aides sociales.” L’exclusion de l’autre crée un semblant de privilège et motive les foules le jour de l’élection. Le positionnement antisocial et raciste est souvent symétrique. Dans les deux cas on remet en cause le droit de vivre de l’autre pour ce qu’il est, parce que soi-disant il ne travaille pas ou ne le mérite pas.
Antifasciste, donc anticapitaliste
Les fake-news que les journalistes de plateaux laissent passer (ou assènent) infusent dans la société. Le public non averti peut considérer LFI comme un parti d’extrême gauche, au mépris de l’histoire et de ce qu’il en est vraiment. Cela permet de mettre dans le même sac, nouvelle classification, “les extrêmes”. La bourgeoise l’a martelé. On se rappelle de Borne aux élections législatives de 2022 qui expliquait que tous les extrêmes se rejoignent et doivent être combattus. Rien n’est plus faux. Ça ne résiste pas à l’expérience des faits. Renvoyer les “extrêmes” dos à dos est une terrible erreur. Si la presse bourgeoise a intérêt à le laisser croire, que les deux se valent, une analyse sérieuse des discours, des programmes et des votes suffit à rétablir la vérité. Sur la forme comme sur le fond, le RN est davantage compatible avec l’autoritarisme et le néolibéralisme de la minorité présidentielle. Ses mots sont repris et certaines de ses mesures sont même appliquées (comme la loi asile immigration).
Sur les textes de loi du gouvernement, à 42%, les députés RN votent pour. Mais à 22% seulement, ils votent contre. A titre de comparaison LFI vote à 69% contre les textes de loi du gouvernement et jamais une seule fois pour. Lorsqu’on a un minimum le souci de la vérité, on sait qui est dans l’opposition et qui ne l’est pas.
Pour Saïd Bouamama, sociologue et militant antiraciste “le mouvement ouvrier, le mouvement antifasciste et le mouvement anticolonial ont imposé durablement une frontière de légitimité rendant impossible ou difficile de se revendiquer explicitement du fascisme aujourd’hui. Le fascisme est ainsi contraint de se présenter différemment, de faire passer en contrebande sa marchandise en quelque sorte.” Les mouvements fascistes, explique t-il, “peuvent prendre des visages multiples pour neutraliser la frontière de légitimité posée par nos luttes : défense de la République, défense de la Nation, défense de la laïcité et même national-communisme, nationalisme socialiste, etc.” Le brouillage des pistes est récurrent chez eux. Cela nous invite à être vigilant et clair sur ce qu’on veut, sur qui nous sommes et sur qui ils sont, pour savoir déraciner les germes fascistes avant qu’ils n’éclosent. Si le déguisement change, le fond reste. Le fascisme n’est jamais un mode de pensée matérialiste. Il est toujours anhistorique, enclin à s’attaquer aux personnes, jamais aux structures ; il est du côté de la suspicion de son prochain et du jugement permanent, opposé à la pensée critique et à la confiance en l’être humain. Il faut donc rester sur une ligne matérialiste, antifasciste, donc anticapitaliste.
Aujourd’hui, il est clair qu’il faut une alliance antifasciste mais la question se pose de savoir avec qui car ceux qui ont allumé la mèche par leur discours et leur politique sécuritaire ou anti-immigré ont une lourde responsabilité. Il faut se démarquer du fascisme, de ce qui fait son lit, et organiser une résistance qui soit radicale et unitaire. Pour Saïd Bouamama, “il n’y aura pas de pratique antifasciste efficace sans théorie antifasciste clarifiant les causes, enjeux et cibles.”
Si on prend le danger fasciste au sérieux alors il faut une alliance stratégique et durable des forces de gauche mais il serait contre productif qu’elle se fasse avec des forces politiques néolibérales et colonialistes qui, ces dernières années ont cautionné des politiques impérialistes et fait passer des lois nocives pour les travailleurs comme la loi travail. Autant dire que l’alliance est aussi importante que l’est la rupture avec l’ordre capitaliste. Sans ça, l’unité serait vaine.
L’extrême droite cogne : il est temps de préparer l’offensive pour défendre le sort de l’humanité, de la biodiversité et des travailleurs, et on peut le faire dans une perspective internationaliste en soutenant le combat contre l’extrême droite au niveau mondial, qu’elle soit au Salvador, en Argentine, en Inde, en Israël, ou en Hongrie, on se doit d’être solidaire. Les organisations du sud global ont ouvert un espace de discussion avec la conférence mondiale antifasciste de Porto Alegre qui s’est tenue du 17 au 19 mai 2024, juste après La 6e Rencontre écosocialiste internationale et la 1re Rencontre écosocialiste d’Amérique latine. Il faut maintenant travailler à la révolution au niveau mondial, seule façon de se prémunir de l’extrême droite et de la catastrophe capitaliste et climatique. Préparons-nous pour la bataille, les élections, les soulèvements, sans perdre de vue les enjeux aux niveaux internationaux.
Face à la barbarie capitaliste et au risque de bascule fasciste, ici comme ailleurs, il faut préparer la bataille culturelle qui est aussi une bataille féministe et sociale. Il faut tenir puis passer à l’offensive. La grève, l’occupation et la lutte des classes peuvent vaincre la résignation et raviver l’espoir d’un autre monde possible.
Maxime Motard, membre de la cimade et militant écosocialiste
Notes
1. Pour l’anecdote, assez révélatrice en fait, parmi les colons responsables on trouve Heinrich Göring (le père de Hermann Göring)
2.Parmi les intellectuels à avoir travaillé sur la question, il y a le marxiste William Edward Burghardt Du Bois qui a pensé le lien entre l’oppression raciale et l’oppression capitaliste. Hannah Arendt quant à elle est davantage connue ; elle expose, en continuité avec ce que les marxistes hétérodoxes ont pu souligner, que le racisme et l’antisémitisme nazis ont des sources occidentales, et même des filiations nord-américaines. On peut voir la démonstration pertinente en ce qui concerne le colonialisme, l’impérialisme et l’antisémitisme européens dans le premier et le second volume des Origines du totalitarisme. On renvoie également à l’excellent ouvrage d’Enzo Traverso qui permet de penser la violence nazie : La violence nazie, Paris, La Fabrique, 2002
3. “Pour l’historien britannique Ian Kershaw, c’est la complaisance d’élites bourgeoises convaincues, à tort, de pouvoir les manipuler qui a permis aux nazis de prendre le pouvoir en 1933.” Nouvel Obs, 28 juillet 2013. https://www.nouvelobs.com/le-dossier-de-l-obs/20130726.OBS1194/hitler-n-aurait-pu-prendre-le-pouvoir-sans-la-complicite-d-elites-bourgeoises.html
4. Voir l’émission “C à vous” où il fût invité récemment. N’oublions pas que pour les élections législatives de 2022 la macronie n’a pas du tout appelé à faire barrage face au RN. A l’inverse elle a pu appeler à faire un “front républicain” contre Rachel Keke, comme s’il s’agissait de la peste ; laissant entendre que la République ce n’est pas une femme noir, femme de chambre et insoumise.
5. MIGUEL SCHELCK, “Au origine du fascisme, le capitalisme.” 5 mai 2023. https://lavamedia.be/fr/aux-origines-du-fascisme-le-capitalisme/
6. Abraham Léon, intellectuel trotskiste, a souligné comment le mythe du “capitalisme juif” a été entretenu par les masses petites-bourgeoises. “La petite-bourgeoisie, “ruinée et dépouillée par le grand capital” veut être anticapitaliste sans cesser d’être capitaliste. Elle veut détruire le caractère mauvais du capitalisme, c’est-à-dire les tendances qui la ruinent, tout en conservant le caractère bon du capitalisme qui lui permet de s’enrichir.” Voir “La Conception matérialiste de la question juive.” https://www.marxists.org/francais/leon/CMQJ00.htm
7. Voir Max Wallace, The American Axis. Henry Ford, Charles Lindbergh and the Rise of the Third Reich, New York, St. Martin’s Press, 2004. L’ouvrage de Max Wallace analyse les rapports avec le nazisme de deux icônes américaines du 20ème siècle : le constructeur automobile Henry Ford et l’aviateur Charles Lindbergh.
8. Sur les mots, voici ce qu’il disait dans son livre : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir »
9. Et ça continue encore aujourd’hui. Dès octobre 2023, le média “Là-bas si j’y suis” a compilé un florilège de fake-news préféré à l’encontre de LFI, et plus largement, à l’encontre de la gauche. “La France insoumise antisémite ? Le déluge de mensonges.” https://la-bas.org/la-bas-magazine/chroniques/la-france-insoumise-antisemite-le-deluge-de-mensonges
10. Exception faite de la commission d’enquête sur les fréquences de la TNT (à l’initiative d’Aurélien Saintoul) qui a obligé certains journalistes à rendre des comptes quant à leur travail.
11. Journal officiel des débats parlementaires, 24 mars 1933. Dimitri Manessis, Jean Vigreux, Avec tous tes frères étrangers, Libertalia, 2024. p. 49.
12. Emma Bougerol, 14 000 décès par an liés au chômage : « Ce n’est pas du tout une priorité de l’État », Bastamag, 13 novembre 2023. https://basta.media/14-000-deces-par-an-lies-au-chomage-pas-du-tout-une-priorite-de-l-etat-France-Travail
13. Pour plus de clarification voir Libération : même pour le Conseil d’Etat LFI et le PCF appartiennent au bloc de gauche. https://www.liberation.fr/politique/le-conseil-detat-est-formel-le-rassemblement-national-est-bien-dextreme-droite-20240311_NTEK4OFJVFG2TLVKFEU5VJZARQ/
14.Voir le travail de Blast : https://www.youtube.com/watch?v=nMcmBUwZB70
15. Voir le documentaire : “Macron en marche vers l’extrême droite.” (off investigation).
16. SAÏD BOUAMAMA : COMPRENDRE ET COMBATTRE LE FASCISME ET LA FASCISATION
27 mars 2021 https://acta.zone/said-bouamama-comprendre-et-combattre-le-fascisme-et-la-fascisation/
17. SAÏD BOUAMAMA : COMPRENDRE ET COMBATTRE LE FASCISME ET LA FASCISATION
27 mars 2021 https://acta.zone/said-bouamama-comprendre-et-combattre-le-fascisme-et-la-fascisation/
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