Tiré de Europe solidaire sans frontière.
Ce livre comprend une version mise à jour d’un article de février 2020, un rapport chinois sur les conditions de travail et les luttes ouvrières pendant et après le pic de la pandémie, un entretien avec deux militant·es sur leur expérience à Wuhan pendant les premiers mois de l’épidémie, et un long article sur la façon dont la classe dirigeante a tenté d’utiliser cette catastrophe comme une opportunité de restructurer et d’étendre l’État dans l’intérêt de l’accumulation capitaliste à long terme.
Nous reproduisons ici un entretien avec les auteurs de ce livre, réalisé par Aminda Smith (historienne de la Chine moderne, codirectrice du People’s Republic of China History Group et professeur associé à la Michigan State University) et Fabio Lanza (professeur d’histoire de la Chine moderne à l’université d’Arizona). Entretien qui livre des éléments très intéressants, et méconnus, sur les rapports entre pandémie, capitalisme chinois, construction de l’État et mobilisations populaires.
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Aminda Smith et Fabio Lanza – La vision commune de la réponse de la Chine à la pandémie, promue à la fois par les médias occidentaux et par le Parti communiste chinois (PCC), est qu’elle a été couronnée de succès en raison de l’énorme capacité de l’État, de son caractère autoritaire ou même de sa nature totalitaire, sa pénétration profonde de tous les aspects de la vie sociale – autant de caractéristiques qui ont rendu ce modèle de réponse inapplicable et/ou inacceptable aux États-Unis ou en Europe. Dans votre livre, vous soutenez, de manière assez convaincante, que la pandémie a plutôt révélé la faiblesse de l’État, et que celui-ci a finalement été capable de gérer la crise en reconnaissant cette faiblesse et en déléguant son autorité aux gouvernements locaux et aux groupes de volontaires ad hoc. C’est une thèse fascinante. Pouvez-vous nous expliquer comment la réponse de l’État à la pandémie a été structurée, ce qui a échoué et ce qui, finalement, a fonctionné ?
Chuang – C’est un point de vue très répandu, tant en Chine qu’à l’étranger. Si elle a réussi à occulter ce qui s’est réellement passé pendant la pandémie, c’est en partie parce que cette image d’un État omniscient était déjà répandue auparavant. Nous pourrions peut-être lui donner un surnom : « le mythe de l’omnipotence totalitaire ». Mais il est important de se rappeler que ce mythe n’est pas seulement cultivé par les organes officiels du parti-État en Chine pour protéger ses intérêts. En fait, il est beaucoup plus propagé dans les médias occidentaux, par exemple par le biais de ces articles « sinofuturistes », plus ce futur est sombre, plus la machine à clics fonctionne, qui racontent en boucle comment chacun en Chine a un « score de crédit social » qui détermine ses choix de vie, comment la technologie de reconnaissance faciale dans chaque grande ville vous verbalise automatiquement pour des infractions mineures, ou comment le gouvernement prévoit d’installer des centaines de milliers de ses propres citoyens dans des pays lointains en Afrique. Aucune de ces affirmations n’est vraie, mais un bombardement constant de ce type de contenu cultive l’image mythique d’un État tout-puissant.
Ce mythe dissimule deux aspects. Tout d’abord, il occulte la faiblesse persistante de l’État et le fait que, malgré ses gratte-ciel étincelants, la Chine reste à bien des égards un pays relativement pauvre, notamment si on prend en compte les données par habitant. Si l’on compare les mesures les plus élémentaires, comme le total des recettes fiscales qui reviennent au gouvernement central en Chine et le total des recettes fiscales qui reviennent au gouvernement fédéral aux États-Unis, cela devient rapidement évident. Et par habitant, la différence est bien sûr considérablement amplifiée. Autre exemple pertinent, en Chine les dépenses publiques de santé par habitant sont faibles, même si elles sont en hausse, par rapport à d’autres pays ayant un niveau de développement économique similaire. Cela signifie également que l’administration de l’État a été fondamentalement façonnée par la nécessité de « gouverner à distance », définie par des degrés élevés d’autonomie locale, la balkanisation des structures de commandement et de surveillance, et d’importantes possibilités pour la corruption. Cela a historiquement donné aux gouvernements de niveau inférieur beaucoup plus de marges de manœuvre et d’indépendance en Chine qu’ailleurs, et toutes ces spécificités ont joué un rôle important dans le développement d’une classe capitaliste nationale. La corruption, par exemple, n’est pas nécessairement « inefficace » – c’est une forme courante de développement capitaliste car c’est ainsi que naissent les capitalistes lorsque le marché s’ouvre et que les règles du jeu ne sont pas bien définies. Ce n’est qu’une fois que l’accumulation atteint un certain seuil que toutes ces caractéristiques deviennent une entrave.
Deuxièmement, il est également difficile de bien comprendre que la classe dirigeante chinoise s’est engagée dans un projet très ambitieux d’édification de l’État, qui a duré des décennies, mais qui a vraiment commencé à s’accélérer sous Xi Jinping. Ces deux éléments sont évidemment liés, puisque la nécessité de construire l’État présuppose une certaine forme de faiblesse. L’accumulation a suffisamment avancé pour que la corruption, les mauvaises procédures de commandement et l’absence de canaux d’information fiables deviennent plus un obstacle qu’un avantage. Le gonflement rapide de la dette des collectivités locales, liée aux projets d’infrastructure de relance dans les années 2010, était un signe évident de ce problème. La campagne anti-corruption visait à s’attaquer au problème aux niveaux les plus élevés, en éliminant les magnats provinciaux qui pouvaient représenter une menace pour le gouvernement central, et en remaniant les structures de commandement et les canaux d’information du haut vers le bas. Parallèlement à cela, il y avait des mesures beaucoup plus banales, comme des réformes de la méthodologie utilisée par le Bureau national des statistiques et des tentatives pour mieux intégrer toutes sortes de registres publics. De même, les diverses campagnes de répression contre les féministes, les groupes de défense des salariés et les groupes d’étudiants maoïstes ont également montré qu’il y a eu des tentatives similaires d’intégration de l’infrastructure policière. Les gens ne réalisent souvent pas que la Chine était un pays où, pendant des décennies, il était assez facile d’éviter les poursuites pour de nombreux crimes en déménageant simplement dans une autre ville – du moins tant que vous n’attiriez pas l’attention de l’État central – et où les autorités locales disposaient d’une marge de manœuvre effrayante pour déterminer les sanctions, ce qui signifiait également qu’il était facile de s’en sortir si vous aviez des relations dans le commissariat local. Il est encore courant que la police locale n’ait pas accès à des bases de données nationales standard, de sorte qu’elle ne peut pas toujours vérifier votre permis de conduire, traiter vos empreintes ou utiliser votre ADN, même si elle peut enregistrer ces informations localement. Cela commence à changer rapidement, mais le contraste est énorme avec ce à quoi nous sommes habitués dans de nombreux autres pays et avec le mythe de l’omnipotence totalitaire, qui suppose bien sûr que ces systèmes sont plus intégrés et plus omniprésents en Chine que partout ailleurs.
Quel rapport avec la pandémie ? Eh bien, l’exemple évident est que cette délégation d’autorité locale a été désastreuse. Malgré tous les mythes sur l’efficacité de ce dispositif, c’est plutôt risible quand on y pense. Après tout, une épizootie dont l’origine géographique fut clairement et rapidement identifiée est finalement devenue une épidémie nationale, puis une pandémie mondiale. Comment cela a-t-il pu se produire, alors que les médecins avaient identifié très tôt qu’une nouvelle maladie respiratoire mortelle se propageait dans la ville ? Et quand elle a ensuite été clairement liée à un coronavirus ? En grande partie parce que les autorités locales se sont empressées de supprimer les informations sur l’épidémie à mesure qu’elles sortaient des hôpitaux, y compris en les cachant à l’État central, tout en ne prenant aucune mesure pour restreindre les voyages, fermer les entreprises ou encourager l’utilisation de masques alors que ces mesures auraient été des plus utiles. Notre livre comprend un long entretien avec des amis de Wuhan, qui présentent une chronologie détaillée des événements et expliquent quelles informations ont été fournies sur le terrain tout au long de la période. Par exemple, ils soulignent le fait étrange que leurs amis de Shanghai en savaient plus sur l’épidémie, et bien plus tôt, que de nombreuses personnes vivant à Wuhan même. Un autre élément notable dans ces récits de première main est le changement très soudain de politique, qui s’est opéré du jour au lendemain. Il semble qu’une autorité supérieure soit finalement intervenue pour mettre en œuvre de manière décisive le confinement. C’est généralement le signe que le gouvernement central s’est impliqué, plaçant les responsables locaux sous son commandement direct.
Ainsi, à bien des égards, nous devons comprendre l’épidémie comme un énorme échec initial – signalé par le fait qu’elle s’est transformée en une pandémie qui sévit encore aujourd’hui – qui n’a été maîtrisé au niveau national que par l’effort coordonné de centaines de milliers de personnes ordinaires, travaillant souvent volontairement aux côtés des autorités locales. Il n’est pas exagéré de dire que l’épidémie n’aurait jamais été contenue sans l’effort de ces volontaires. En même temps, il est tout à fait fortuit que la contamination se soit surtout produite dans une seule ville et, qui plus est, à la veille de la fête du printemps, alors que tout le monde avait déjà fait des provisions dans la perspective de la fermeture des commerces. Cela a minimisé l’impact immédiat du confinement et permis à l’État central de concentrer la grande majorité de ses ressources sur Wuhan (et, dans une moindre mesure, sur Pékin, où se trouve le gouvernement central). Dans le même temps, le gouvernement central, par l’intermédiaire du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, a compris l’importance d’ouvrir le flux d’informations, d’inviter des chercheurs médicaux internationaux, de partager immédiatement les recherches sur le nouveau virus et de créer rapidement des normes de prévention faciles à déléguer et privilégiant la sécurité. De même, ils sont intervenus pour s’assurer que les systèmes d’alimentation et d’énergie étaient maintenus. C’est à ce niveau que l’on peut identifier un certain succès. Dans tous les cas, le gouvernement a reconnu sa propre incapacité et a très efficacement et rapidement délégué largement son autorité administrative de facto au niveau de gouvernance le plus bas, qui comprenait toute une série d’organes administratifs soutenus à chaque étape par les efforts des volontaires.
Aminda Smith et Fabio Lanza – Pendant l’ère Mao (vous employez le terme « régime de développement »), l’État s’est efforcé de mettre la main sur la société, jusqu’au niveau du quartier, par le biais de formes organisationnelles hybrides telles que les comités de résidents. Ceux-ci sont toujours en activité. Quel a été leur rôle pendant la pandémie ? Leurs capacités organisationnelles ont-elles été réduites pendant la période de réforme ?
Chuang – Dans ce que nous appelons le régime socialiste de développement (des années 1950 jusqu’à la reprise de la transition capitaliste dans les années 1970), il y a eu une tentative infructueuse d’étendre l’État jusqu’aux niveaux les plus locaux de la société, avec l’idée que, ce faisant, l’État cesserait d’être une entité distante et extérieure à la vie des gens et deviendrait au contraire une institution régnant véritablement partout. C’est du moins ainsi que le processus était exprimé en théorie. En réalité, ce qui s’est produit, c’est une extension discontinue et géographiquement inégale de l’autorité centrale, suivie d’une fragmentation de cette autorité en de nombreux sites autonomes de prise de décision. Les principaux symboles de cette expérience n’étaient pas réellement les comités de résidents, mais plutôt les liens avec le parti et l’appareil de planification qui se sont formés dans les entreprises et les collectifs ruraux. Dans le cas des zones rurales, certains de ces liens ont été préservés dans les réformes entamées dans les années 1980 et formalisés dans le statut juridique de « l’autonomie du village », centré sur le comité de villageois comme unité fondamentale de l’administration rurale.
Les comités de résidents ont d’abord été créés dans les zones urbaines pendant le régime de développement, mais ils n’étaient pas les principaux sièges de l’administration locale. La gouvernance quotidienne était principalement confiée aux diverses entreprises de la ville, en grande partie autonomes. Si vous étiez un résident urbain à cette époque, la grande majorité de vos biens de consommation de base – logement, vêtements, nourriture et même divertissement – étaient fournis gratuitement par votre danwei, ou unité de travail liée à une entreprise particulière. Les comités de résidents ont été créés initialement pour gérer la très petite part de la population urbaine qui n’avait pas de danwei. Cependant, vers la fin du régime de développement, de nombreuses villes (surtout dans le sud) ont commencé à voir croître leur population de travailleurs ruraux migrants. Techniquement, comme ces travailleurs n’avaient pas de danwei urbain, ils étaient sous l’autorité administrative du comité des résidents du district dans lequel ils vivaient et/ou travaillaient. Au début, il s’agissait surtout de travailleurs saisonniers. Mais avec le temps, ils sont devenus une caractéristique de plus en plus permanente de la ville. Lorsque le régime de développement a commencé à s’effondrer et que la transition capitaliste a repris [2], de nombreuses villes ont connu une croissance rapide alors même que l’ancien système de protection sociale des entreprises et des unités de travail était en cours de démantèlement. En conséquence, la plupart des habitants des villes n’avaient aucun lien avec une entreprise locale et donc tombaient sous l’autorité du comité des résidents.
Le comité des résidents était donc une institution tout à fait marginale qui a survécu fortuitement au démantèlement du régime de développement et s’est hissée à une fonction complètement différente de celle prévue à l’origine. Au départ, cependant, l’État ne disposait pas vraiment des ressources nécessaires pour construire correctement son infrastructure gouvernementale locale. Au cours des années 1980 et 1990, tant dans les zones rurales qu’urbaines, de nombreux changements juridiques ont été apportés, accordant une « autonomie » aux organes administratifs locaux et désignant le comité de résidents de la « communauté » ou « du quartier » comme l’unité fondamentale de l’administration urbaine, à l’instar des comités de village dans les campagnes où ces réformes ont été accompagnées de la mise en place d’élections locales. Mais tout cela s’est fait dans un contexte de recul général de l’autorité de l’État. Ce n’est vraiment qu’au cours des dernières années que l’attention s’est tournée vers le renforcement de l’État au niveau local. À ce niveau la pandémie a donné une impulsion considérable, car elle a très clairement divisé les zones où les comités de résidents étaient fonctionnels de celles où ils ne l’étaient pas. Dans de nombreux endroits, les comités étaient restés inactifs pendant des années. Dans d’autres, ils n’avaient servi qu’à abriter les formes les plus modestes de corruption locale et n’avaient jamais offert de véritables services publics. Maintenant, il est au moins clair qu’il y aura une tentative concertée de développer ces organes, de les placer sous des chaînes de commandement plus claires, de les lier plus étroitement aux commissariats de police locaux, etc.
Aminda Smith et Fabio Lanza – Vous décrivez en détail un processus de mobilisation de masse en réponse à la pandémie, avec des groupes de volontaires fournissant toutes sortes de services, à la fois pour contenir la propagation du virus et pour aider les gens à survivre à la pandémie, mais vous dites clairement que cette mobilisation n’était pas nécessairement contre l’État, ni ne représentait une menace pour la légitimité du PCC, malgré la piètre gestion de la crise. De plus, il semble que dans certains cas, ces efforts d’entraide aient renforcé les divisions sociales préexistantes au lieu de permettre des alliances trans-sociétales. Pourquoi ?
Chuang – Parfois, les volontaires opéraient en toute indépendance vis-à-vis du gouvernement. Mais il y a eu très peu de cas où ils ont compris que leur activité était en opposition totale avec le gouvernement et, lorsque l’État est intervenu des mois plus tard pour leur demander de cesser leurs activités, ils l’ont tous fait. Cela ne veut pas dire que le processus n’a pas été mouvementé ou même antagoniste par moments. Dans de nombreuses régions, notamment à la campagne, on a assisté à une mobilisation locale assez agressive visant à exclure pratiquement tout étranger. Cela était visible sur les médias sociaux chinois, qui montraient des villageois d’âge mûr gardant des barricades avec des armes de poing archaïques (une illustration de cette scène sert de couverture au livre), ou des volontaires patrouillant les quartiers avec des drones et criant après quiconque se trouvait dehors. Ces clichés étaient populaires et le plus souvent amusants, mais dans ses extrêmes, cette même attitude était souvent dangereuse, xénophobe et violente. Dans un cas, un motocycliste a été décapité parce qu’un village avait tendu un fil à son entrée pour empêcher les étrangers d’y accéder. Et lorsque la province du Hubei (où se trouve Wuhan) a été rouverte, un affrontement très largement diffusé a eu lieu à la frontière avec le Jiangxi, impliquant des policiers des deux côtés, parce que ceux du Jiangxi pensaient qu’il était trop dangereux de laisser entrer les gens du Hubei.
Il est difficile de faire ressortir à quel point l’attitude des populations en Chine diffère de celle de nombreux pays occidentaux. Il ne s’agissait pas non plus d’un cas où tout le monde faisait confiance au gouvernement et offrait son aide en raison d’une certaine foi en l’autorité. En fait, c’est exactement le contraire qui s’est produit : de nombreuses personnes se sont senties incitées à se porter volontaires précisément parce qu’elles ne croyaient pas que l’État serait en mesure de contenir efficacement le virus. Ils avaient été témoins de l’incapacité et de la corruption des fonctionnaires locaux toute leur vie et n’avaient donc aucune confiance dans la capacité de ces personnes à faire le travail. S’il y a une différence essentielle, elle ne réside pas dans une quelconque obéissance imaginaire à l’État. Il semble plutôt que le contraste majeur entre le sentiment public en Chine et ailleurs était un manque de confiance généralisé dans l’État, l’intuition que le problème ne serait pas automatiquement pris en charge par les autorités compétentes et que tout le monde devait s’unir pour se mobiliser contre le virus. Dans des pays comme les États-Unis, la défaillance des capacités de l’État avait un caractère presque exactement opposé, personne n’étant vraiment prêt à reconnaître et à faire face à la réalité du déclin des compétences, notamment en ce qui concerne le dépérissement des services publics. Il y avait donc une attitude très différente aux États-Unis, certains critiquaient la réponse de leur État dans des petites manifestations contre les masques, tandis que d’autres soutenaient les mesures prises par l’État ou espéraient une réponse plus importante, tout en restant chez eux.
Aminda Smith et Fabio Lanza – Qu’en est-il des travailleurs ? La pandémie a-t-elle ouvert de nouvelles possibilités de mobilisation des travailleurs contre le capital ou restreint davantage les possibilités d’organisation et d’action ?
Chuang – Malgré la reprise (relative) de l’économie nationale au cours de la seconde moitié de 2020 et cette année, il y a eu beaucoup moins d’actions ouvrières que lors des années précédentes. C’est ce que montrent les quelques statistiques disponibles auprès d’organisations comme le China Labour Bulletin, qui a enregistré un peu plus de la moitié du nombre d’actions ouvrières en 2020 par rapport à l’année précédente. Ces chiffres semblent concorder avec ce que nous et nos amis avons vu sur le terrain. Les secteurs de l’industrie et des mines ont été à l’origine de cette baisse, poursuivant une diminution déjà pluriannuelle des actions de masse depuis leur pic au début des années 2010. La plupart des autres secteurs ont suivi. La décrue des protestations dans le secteur manufacturier peut également être liée à l’explosion de la production jusqu’à la fin de l’année. La Chine, dont les usines sont restées ouvertes alors que tant d’autres étaient fermées dans le monde, a connu une hausse des salaires et une pénurie de main-d’œuvre, les entreprises s’efforçant de répondre à la demande d’exportation [3]. Les conflits du travail dans le secteur manufacturier et les services ont commencé à prendre de l’ampleur au milieu de l’année 2020 – comme le montre l’article écrit par certains de nos amis, qui sert de chapitre 2 au livre – mais on peut se demander dans quelle mesure le nombre de ces conflits reflète le nombre d’actions ouvrières. Bien que les statistiques ne soient pas encore disponibles pour l’ensemble de l’année 2020, il semble que les conflits du travail, en tant que mesure générale des luttes ouvrières, aient été au moins équivalents à ceux de l’année précédente. Par exemple, à Pékin, les tribunaux d’arbitrage du travail ont pris en charge plus de 94 000 affaires au cours des 10 mois entre janvier et octobre [4]. Cela correspond essentiellement aux 93 000 affaires enregistrées au cours des neuf mois entre janvier et septembre 2019, ce qui représentait déjà une augmentation de 37,4 % par rapport à l’année précédente [5].
Il y a cependant eu une curieuse augmentation du nombre de travailleurs de la construction protestant contre le non-versement de leurs salaires en 2020, comme l’a enregistré le China Labour Bulletin – le chiffre le plus élevé jamais enregistré par l’organisation depuis le début du projet de recensement en 2011. Et ce qui est peut-être encore plus étrange, c’est qu’au cours des premiers mois de 2021, il n’y a pas eu la vague massive de manifestations des travailleurs de la construction que l’on observe habituellement avant le Nouvel An chinois, lorsque les travailleurs bloquent les routes, organisent des marches ou menacent même de se suicider afin de gagner leur salaire de fin d’année pour ne pas rentrer chez eux les mains vides. Cette situation peut être due, du moins en partie, aux restrictions de voyages pendant les vacances du Nouvel An. Selon certaines estimations, le nombre de voyageurs en 2021 a chuté de 60 % par rapport à 2019, atteignant ainsi le niveau le plus bas depuis 20 ans pour les voyages enregistrés [6]. En revanche, les actions des travailleurs dans le secteur de la logistique, en particulier parmi les livreurs, sont un domaine où l’organisation des travailleurs s’est développée pendant la pandémie. Les mouvements dans le secteur de la logistique dans son ensemble ont représenté 20 % de toutes les actions ouvrières en 2020, le niveau le plus élevé depuis plusieurs années. Ce secteur produira probablement des niveaux élevés d’agitation dans les années à venir, car le commerce électronique poursuit son expansion. La quasi-totalité des protestations ouvrières très médiatisées qui ont eu lieu l’année dernière (2020) concernaient des livreurs. À l’époque, nous avions traduit un article viral [7] sur la situation critique des livreurs de repas, qui avait déjà circulé en Chine, suscitant un débat public à l’échelle nationale et déclenchant même quelques déclarations obligées de la part des deux géants du secteur, Ele.me et Meituan promettant de timides avancées. Elles ont quand même été suivies de quelques ajustements mineurs qui ont permis aux coursiers de disposer de plus de temps pour livrer leurs commandes, mais qui n’ont guère contribué à résoudre les problèmes sous-jacents aux doléances des travailleurs.
Puis, à la fin du mois de février 2021, Chen Guojiang, l’organisateur de base le plus connu des ouvriers livreurs en Chine – appelé simplement « Mengzhu » (chef de groupe) par ses amis et ses militants – a été arrêté par les autorités, probablement dans l’intention de faire taire la star des médias sociaux au franc-parler pendant le congrès national du parti, début mars. Chen a depuis été accusé d’avoir « cherché querelle et provoqué des troubles », le chef d’accusation le plus courant utilisé depuis des années pour arrêter toutes sortes de contestataires dans tout le pays [8]. Certains amis ont parlé avec Mengzhu avant son arrestation et ont appris comment il procédait. Basé à Pékin, il a organisé un vaste réseau de milliers de livreurs, principalement dans le nord du pays. Il a développé ce réseau en partie grâce à sa forte présence sur les médias sociaux, avec des streamings en live sur la vie des livreurs. Il donnait également des conseils aux autres livreurs, organisait des repas de groupe et louait même un petit appartement avec un lit à Pékin où les livreurs nouvellement arrivés dans la ville pouvaient séjourner gratuitement pendant une nuit ou deux, le temps de trouver leur propre logement. Ceux qui le connaissent ont également raconté comment Mengzhu avait transformé sa plateforme en une sorte de petite entreprise pour lui-même, gagnant de petites sommes ici et là, notamment en percevant des indemnités pour avoir recommandé des livreurs sur la plateforme, ou lors des événements qu’il organisait pour eux. Pendant qu’il travaillait sur la plateforme, Mengzhu a également participé à l’organisation de plusieurs grèves de livreurs, et réussi à faire aboutir les revendications des travailleurs. Lui et d’autres organisateurs de grèves ont également été arrêtés par la police en 2019. Dans ses discussions avec nos amis, il a souligné avec insistance que son style d’organisation ne pouvait pas être imité et a attribué son succès à son obsession personnelle pour le réseautage, l’entraide et la diffusion vers son public. Au moment où nous écrivons ces lignes, Chen est toujours en détention et attend son procès [9]. Les amis de Mengzhu ont tenté de collecter de l’argent pour les frais d’avocat sur WeChat, mais le lien vers la page de collecte de fonds a été bloqué par les censeurs.
Mengzhu offre une image intéressante de la réalité complexe et souvent contradictoire de l’organisation des travailleurs en Chine, qui correspond rarement au mirage du « mouvement ouvrier » préconisé par de nombreux militants. Dans ce cas, la renommée des médias sociaux et même une sorte d’éthique entrepreneuriale de la petite entreprise semblent avoir fait partie intégrante de la croissance du réseau de Mengzhu. Ces complexités inattendues sont, selon nous, indispensables pour comprendre l’organisation des travailleurs à long terme. Dans le premier et le deuxième numéro de notre revue, nous avons essayé de mettre l’accent sur une vision plus large de l’organisation, dépassant les limites du « mouvement ouvrier », qui sert de toile de fond théorique à tant d’analyses de la lutte des classes en Chine [10]. À l’avenir, il sera encore plus essentiel d’abandonner les idées reçues sur ce à quoi devrait ressembler un « mouvement ouvrier » ou même un « mouvement social » plus général, si nous espérons comprendre le véritable caractère de la lutte des classes. Par exemple, parallèlement à la récente recrudescence des mouvements dans des usines, nous pourrions prendre conscience de la force sociale potentielle de la frange croissante des travailleurs sans emploi ou précaires, qui sont de plus en plus nombreux à travers le pays. Cela se traduit par l’organisation des livreurs et par les campagnes en cours visant la population « en bas de l’échelle » [11]. Mais c’est également visible parmi ceux qui occupent des positions sociales légèrement supérieures, comme dans le discours sur « l’involution » [12] et l’horaire de travail « 996 » [13] parmi les cols blancs, ou même dans le nombre croissant de protestations de petits propriétaires [14].
On ne sait pas encore comment ces tendances affecteront les tensions sociales. Mais le ralentissement actuel de la croissance économique semble indiquer que ces tendances vont toutes s’aggraver avec la poursuite de la stagnation. L’ampleur du chômage en Chine au cours de la dernière année de la pandémie est encore peu connue, mais la situation ne devrait pas s’améliorer de manière significative. Lors du congrès du parti en mars 2021, le Premier ministre Li Keqiang a cité la création d’emplois comme la « priorité absolue » du gouvernement central, ce qui semble indiquer que l’emploi ne s’est pas encore vraiment rétabli. Cela est confirmé par le fait que c’est la reprise du boom immobilier – plutôt qu’une relance industrielle – qui a sorti l’économie nationale du creux de la vague après le confinement. En attendant, nous devons garder à l’esprit la façon dont les difficultés économiques ont affecté les cols blancs plus aisés, voire les petits-bourgeois, les secteurs de la société qui ressentent sans aucun doute la pression des pertes d’emploi et des réductions de salaire ou la liquidation de leurs entreprises, tout cela en plus des dettes déjà lourdes qu’ils avaient avant la pandémie. Si ces tensions sociales ne semblent pas aussi intrinsèquement orientées à gauche que les luttes ouvrières, elles sont néanmoins susceptibles de continuer à faire des vagues et, malheureusement, d’attirer l’attention et l’action de l’élite politique. Comme nous l’avons noté dans le dernier numéro de notre revue, l’agitation sociale des petits propriétaires semble avoir dépassé en nombre les protestations des travailleurs à la fin des années 2010. Maintenant, dans le monde pandémique et post-pandémique, les politiques de classe sont susceptibles de prendre d’autres formes inattendues basées sur ces tensions sociales sous-jacentes. C’est cette réalité – plutôt qu’une analogie historique de mauvaise qualité – qui devrait servir de point de départ à quiconque tente de spéculer sur l’avenir des conflits de classe en Chine.
Aminda Smith et Fabio Lanza – À la fin du livre, vous présentez un argument intéressant, et on pourrait dire spéculatif, sur l’avenir de l’État chinois, la pandémie ayant clairement montré la nécessité de le reconstruire. Vous affirmez que, même s’il continuera à remplir sa fonction première au service du capitalisme, l’État est en train de se restructurer pour devenir quelque chose de différent des États occidentaux ou de ses précédents impériaux et socialistes, tout en recyclant des éléments de tous ces modèles. Pour quels nouveaux besoins et défis spécifiques ce nouvel État est-il restructuré et sur quels principes idéologiques repose-t-il ?
Chuang – En fait, l’idée centrale est double. Premièrement, nous affirmons que la Chine est toujours en train de construire un État proprement capitaliste. Il n’y a rien de vraiment nouveau à ce sujet, bien sûr, et les impératifs fondamentaux de l’État capitaliste sont plus ou moins universels, ce qui signifie que de nombreux aspects de ce processus sont très similaires aux projets de construction de l’État qui ont accompagné le développement capitaliste ailleurs. Mais, deuxièmement, il est également erroné de supposer que cela signifie que l’État qui se construit aujourd’hui en Chine ressemblera nécessairement, dans ses détails, à l’un des États capitalistes qui ont vu le jour dans des endroits comme les États-Unis, l’Europe ou les colonies.
Ces impératifs capitalistes universels sont des exigences de base, mais l’existence de fonctions universelles ne nous donne pas beaucoup d’indications sur les structures institutionnelles exactes qui sont adaptées pour les servir. En fait, on pourrait s’attendre à ce que ce soit le contraire qui se produise : à mesure que les conditions de l’accumulation du capital mondial changent, ce projet de construction de l’État devient de plus en plus partie intégrante de l’ensemble du processus de développement. Ce n’est pas une coïncidence si chaque vague d’industrialisation des « pays en développement tardif » a vu l’État jouer un rôle de plus en plus central dans l’ensemble du processus.
On oublie souvent que l’une des prédictions les plus constantes de Marx sur le développement du capitalisme était que l’échelle sociale de production augmenterait parallèlement à la centralisation industrielle, et que le système de crédit jouerait un rôle essentiel dans la gestion de l’accumulation à une telle échelle. Est-il vraiment si inattendu d’assister à l’émergence d’un État supervisant des conglomérats industriels massifs, parallèlement à des tentatives de discipliner et de diriger leurs activités par le biais d’une surveillance institutionnelle et de l’octroi de crédits via les grandes banques d’État (et non, il convient de le noter, principalement par le biais d’injections fiscales) ?
Au niveau plus philosophique, il y a une autre dimension à ce deuxième argument. Car il ne s’agit pas seulement du fait que des États plus expansifs sont désormais tenus de garantir les conditions de base de l’accumulation. Il s’agit également de savoir comment ce processus est perçu par ceux qui y sont impliqués et quelle forme idéologique il prend. Cet article a été écrit en partie pour répondre à la mode de la philosophie occidentale qui tente de théoriser “l’État” en tant que tel en se référant uniquement à l’expérience européenne et à la lignée de la civilisation qui remonte à Rome – comme si la jurisprudence romaine ouvrait une fenêtre secrète sur le fonctionnement interne de l’État aujourd’hui. Nous disons non. Vous ne pouvez pas prendre ce que Foucault, Agamben ou même Mbembe ont écrit sur l’Europe moderne, la Rome antique ou le monde colonial, et l’appliquer en bloc à la Chine, comme si la logique de l’État était une transplantation entièrement étrangère, introduite lors de la transition vers le capitalisme. En réalité, nous voulons souligner qu’il y a une arrogance exaspérante chez les philosophes qui écrivent des critiques de « l’empire » et de la « civilisation » sans connaître l’histoire de tous les empires les plus importants et les plus durables d’Asie (sans parler de ceux d’Afrique ou des Amériques).
Dans ce cas, la réalité est encore plus accablante, car la Chine possède sa propre tradition philosophique, dynamique et ancienne, qui s’est toujours préoccupée (en fait, c’est sans doute sa préoccupation centrale) des questions de gouvernance et de gestion de l’État. Plus important encore, cette tradition philosophique est activement ravivée aujourd’hui, fusionnée avec des courants conservateurs de la pensée occidentale et déployée de manière sélective par les personnes au pouvoir pour justifier idéologiquement, conceptualiser et même guider les progrès matériels du projet de construction de l’État sur le terrain. Il est très important de comprendre cette dimension du processus, même si nous devons également garder à l’esprit que l’expression philosophique du projet de construction de l’État va différer de la réalité sur le terrain. Il n’est pas vrai que cette philosophie sert de « mode d’emploi » à ceux qui sont au pouvoir, ni même qu’elle donne une image précise de la façon dont le pouvoir étatique fonctionne dans la réalité. En fait, elle fait souvent le contraire, en idéalisant l’État et en affirmant une mission presque cosmologique pour le PCC, chargé de conduire le rajeunissement spirituel de la supposée nation chinoise. Mais il s’agit là d’une caractéristique importante de la manière dont ce processus s’exprime à travers une réflexion sur lui-même. Pour toutes ces raisons, nous avons emprunté le langage exagéré de ces philosophes et donné à ce chapitre un titre ironique : “La peste éclaire la grande unité de tout ce qui est sous les cieux.” Bien sûr, une telle unité est une plaisanterie.
Rien de tout cela ne signifie que le projet d’édification de l’État va simplement avancer sans être remis en question. Comme pour tout élément du capitalisme, nous pouvons être assurés que le conflit de classe n’est jamais définitivement éteint. Mais il pourrait ne pas prendre la forme à laquelle nous nous attendons. Il se peut en fait que nous assistions à davantage d’actes de désespoir, les conflits sociaux explosant de manière imprévisible, en particulier pour les couches inférieures de la société chinoise, comme le récent attentat à la bombe contre un bâtiment gouvernemental à Guangzhou à cause d’un litige foncier, ou le récent suicide d’un chauffeur de camion à cause d’une amende de 2 000 yuans (environ 300 dollars américains) [15]. Les griefs de plus grande valeur des couches supérieures, comme les fraudes en matière d’investissement ou les conflits liés au développement immobilier, continueront probablement à augmenter en nombre et à être davantage couverts par les médias nationaux et étrangers – ces individus ont également tendance à avoir un meilleur accès au système juridique et une meilleure chance d’obtenir une reconnaissance officielle à cet égard. Cela ne reflète peut-être pas le véritable « rapport de forces » concernant la lutte des classes en Chine, mais nous pouvons nous attendre à ce que, du moins en apparence, il y ait un « embourgeoisement » croissant des luttes sociales, faute d’un meilleur terme, même si ce processus est ponctué de violentes explosions de la part des plus pauvres du pays. Il va sans dire que les demandes des riches (comme le maintien du marché immobilier vacillant) seront une priorité absolue pour l’État. Il n’en va pas de même pour les camionneurs ou les gens « en bas de l’échelle » qui voient leurs maisons démolies.
Nous devrions également être à l’affût des moyens que pourraient prendre à l’avenir les formes de mobilisation cellulaire de type campagne de l’État. Comme nous le notons dans le dernier chapitre du livre, alors que l’État formel s’est avéré relativement faible, les structures de pouvoir à petite échelle ont été mises en place à une vitesse incroyable. Les comités de résidents locaux, les gardes de sécurité et d’autres bénévoles – ayant des liens avec les organisations du parti et du gouvernement – sont devenus les principaux visages du pouvoir de l’État lorsqu’il s’agissait de réglementer les mouvements des citoyens entre les quartiers, ou même dans et hors de leurs maisons. Ces évolutions ne sont pas non plus passées inaperçues du côté du capital. L’année dernière, le président de la Chambre de commerce européenne en Chine, Joerg Wuttke, ne se plaignait pas du développement d’une bureaucratie centralisée et autoritaire qui entraverait les affaires, mais bien du contraire : « Le patchwork de règles contradictoires qui a émergé de la lutte contre le Covid-19 a produit des centaines de fiefs, rendant pratiquement impossible la circulation des biens ou des personnes à travers la Chine ». En tant que représentant principal du capital étranger, Wuttke a plaidé pour que le gouvernement standardise les mesures « sur des juridictions plus larges » afin de « remettre l’économie réelle sur pied » [16]. Ce pouvoir en patchwork reste en place aujourd’hui, bien que sous une forme plus latente. Même si la pandémie est passée et que ces systèmes se sont légèrement assouplis, la réalité est qu’ils n’ont pas disparu. Les réseaux nouvellement développés – reliant les organes formels du pouvoir de l’État aux organismes informels de bénévoles, aux sociétés de gestion immobilière, aux vigiles etc. – se sont simplement enfoncés juste sous la surface, revenant à la charge et réaffirmant leur présence chaque fois que des épidémies locales réapparaissent. Mais ce n’est pas seulement important pour la gestion de la pandémie. La partie la plus spéculative du chapitre soutient que des réseaux locaux similaires, que nous appelons « para-formels », pourraient émerger face à des chocs indigènes ou exogènes, comme une ruée sur les banques, ou pendant la mobilisation nationaliste qui accompagnerait tout conflit militaire.
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Cet entretien a été publié par la revue The Brooklyn Rail de septembre 2021 sous le titre « The State of the Plague », traduit de l’anglais par Jan Malewski, pour Inprecor. Publié dans Contretemps.
Chuang
Notes
[1] Qui symbolise l’image d’un cheval franchissant une porte, qui signifie : pour se libérer – attaquer, charger, pour percer, entrer ou sortir de force, agir avec impétuosité ; chuǎngguān : pour exécuter un blocus ; chuǎngzuò : assister à un festin sans être invité.
[2] Comme nous l’avons examiné dans notre article « Red Dust, The Transition to Capitalism in China » (revue Chuǎng n° 2), ce phénomène a commencé en réalité sous Mao, et non sous Deng Xiaoping, et c’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles nous soutenons que la périodisation de l’histoire chinoise en fonction de la séquence des « grands dirigeants » est trompeuse. C’est à dessein que, par exemple, nous n’appelons jamais le régime de développement « l’ère Mao », ni la transition vers le capitalisme « l’ère Deng », car l’histoire ne peut être réduite aux actions, aux caprices ou aux théories politiques des hommes d’État.
[3] Gabriel Crossley, Stella Qiu, « China’s stunning export comeback has factories scrambling for workers », Reuters du 21 décembre 2020.
[4] Gan Xi, « Que doivent faire les travailleurs migrants lorsqu’ils sont confrontés à des conflits du travail pendant l’épidémie ? » People’s Daily du 27 novembre 2020 (en chinois).
[5] Chen Xu, « Pekin publie dix cas typiques d’arbitrage des conflits du travail et du personnel en 2019 », Xinhuanet du 5 novembre 2019 (en chinois).
[6] SCMP Reporter, « China’s annual Lunar New Year migration, usually the biggest of its kind, looks very different in 2021 », South China Morning Post, 7 février 2021.
[7] Chuang and Friends (Traduction), « Delivery Workers, Trapped in the System » (Les livreurs piégés dans le système), Chuang Blog, 12 novembre 2020.
[8] Sur Mengzhu et son arrestation, voir Emily Feng, « He Tried To Organize Workers In China’s Gig Economy. Now He Faces 5 Years In Jail », NPR, 13 avril 2021 ; Matt Dagher-Margosian, « Free Mengzhu ! An interview with Free Chen Guojiang », Asia Art Tours du 10 mai 2021. Sur des cas similaires dans le passé, voir notre article « Picking Quarrels – Lu Yuyu, Li Tingyu and the Changing Cadence of Class Struggle in China » (revue Chuǎng n° 2)
[9] Les derniers rapports du China Labour Bulletin, organisme de surveillance des droits du travail, datant de début juin, indiquent qu’il est toujours en détention. Cf. : « Food delivery worker burns uniform in symbolic protest », China Labour Bulletin, 8 juin 2021.
[10] Cf. les articles de la revue Chuǎng « No Way Forward, No Way Back : China in the Era of Riots », « Gleaning the Welfare Fields : Rural Struggles in Chine since 1959 » et « Picking Quarrels… » mentionné en note 7.
[11] Sur le discours de la « population de bas étage » et sa popularisation après la démolition en 2017 de logements bas de gamme à Pékin, voir : Chuǎng, « Adding Insult to Injury : Beijing’s Evictions and the Discourse of “Low-End Population” ».
[12] Concernant l’emploi actuel du terme chinois neijuan, traduit par « involution », l’anthropologiste Xuang Biao écrit sur le site Sixth Tone – Fresh coices from today’s China : « Au cours des derniers mois, les Chinois de tous les horizons, qu’ils soient développeurs de logiciels, mères au foyer ou étudiants universitaires d’élite, ont tous découvert que leur vie quotidienne pouvait être décrite avec précision par le même terme académique autrefois mystérieux : involution. Initialement utilisée par les anthropologues pour décrire les processus auto-entretenus qui empêchent les sociétés agraires de progresser, l’involution est devenue un raccourci utilisé par les citadins chinois pour décrire les maux de leur vie moderne : les parents ressentent une pression intense pour offrir à leurs enfants le meilleur ; les enfants doivent suivre la course de rats pédagogiques ; les employés de bureau doivent chronométrer un nombre d’heures écrasant. L’involution peut être comprise comme le contraire de l’évolution. Le mot chinois, neijuan, est composé des caractères “intérieur” et “rouler”, et est plus intuitivement compris comme quelque chose qui s’enroule sur lui-même, un processus qui piège les participants qui savent qu’ils n’en bénéficieront pas. » (https://www.sixthtone.com/news/1006391/how-one-obscure-word-captures-urban-chinas-unhappiness). Voir également : « Involution : Wildcat on China’s 2020 ».
[13] Le « 996 » : travailler de 9 heures du matin à 9 heures du soir, 6 jours par semaine.
[14] Pour une analyse des tendances à long terme, voir notre analyse dans « Picking Quarrels », déjà citée. Des exemples de manifestations de petits propriétaires peuvent être trouvés quotidiennement en ligne, pour ceux qui regardent. Les incidents plus importants sont parfois couverts en détail dans des publications critiques envers la Chine comme Radio Free Asia, peut-être une fois par mois environ. Par exemple, les habitants d’un quartier de Chongqing ont affronté plus d’une centaine de policiers anti-émeute en mai, suite à un conflit de longue durée avec des fonctionnaires qui voulaient établir un bureau du gouvernement local dans leur communauté résidentielle (voir, en chinois : https://www.rfa.org/mandarin/yataibaodao/renquanfazhi/sc-05152021170149.html). La campagne de démolition menée par le gouvernement de Pékin dans la banlieue nord de la ville de Xiangtang a été rapportée par plusieurs médias anglophones. Voir par exemple : « Les résidents protestent alors que la Chine démolit certaines des banlieues riches de Pékin ».
[15] Voir notre rapport du 23 mai 2021 sur ces événements : « Bombing the Headquarters : Desperate Measures in a Time of Involution ».
[16] Voir « Covid-19 Severely Impacting Business : trade associations call for proportionate measures to get real economy back on track », un communiqué de presse conjoint de la Chambre de commerce allemande en Chine et de la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine du 27 février 2020.
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