Tiré de Basta Mag.
En juin, le mouvement identitaire européen a lancé des campagnes de financement participatif pour affréter un bateau en Méditerranée. Celui-ci devait entraver le travail des ONG qui y tentent de sauver les migrants naufragés. Une embarcation, le C-Star, a bel et bien navigué en juillet avec des identitaires à bord (lire notre article). Entre inspections pour cause de travail illégal au sein de l’équipage, actions de blocage des ports tunisiens suite à la mobilisation des pêcheurs et des habitants, et avaries, l’initiative « Defend Europe » a viré au fiasco. Il n’empêche, elle aura permis au mouvement identitaire de faire parler de lui à travers l’Europe pendant tout l’été.
« La campagne Defend Europe avait en fait été lancée depuis un moment. En Autriche, les identitaires avaient déjà organisé un rassemblement sur ce thème il y a un an [1]. Même l’affrètement d’un bateau avait déjà été annoncé. Il était clair que quelque chose de ce genre se préparait », analyse Kathrin Glösel. Cette politologue autrichienne et activiste antiraciste suit la mouvance identitaire en Autriche et en Europe depuis 2011 et a co-écrit un ouvrage sur le sujet [2]. « C’était une action menée par les cadres du mouvement et qui a été critiquée en interne. »
La stratégie de communication au centre du mouvement
Présent aujourd’hui en Allemagne, Autriche, Danemark, Suède, Suisse, Italie, République tchèque, le mouvement des identitaires est à l’origine né en France, avec la création, en 2002, des Jeunesses identitaires, « considérées, par la justice, comme la résurgence d’Unité radicale, un groupuscule d’ultra-droite dissous en 2002 après l’attentat manqué contre Jacques Chirac », précise Éric Dupin dans son ouvrage La France identitaire [3]. En 2012, Jeunesses identitaires devient Génération identitaire. Le groupe revendique 2500 membres, actifs à Nice, Paris, Lyon, Toulouse et aussi à Lille, où ils ont ouvert un « bar identitaire » en 2016.
Leurs actions consistent essentiellement en des happenings racistes, où, comme pour le navire affrété cet été, communication et médiatisation sont centrales. En octobre 2012, ils envahissent le chantier de la grande mosquée de Poitiers. Pendant le mouvement contre le droit au mariage civil pour les couples homosexuels, ils s’investissent au sein du « printemps français », aux côtés des ultras de la manif pour tous. En septembre 2015, un groupe d’identitaires allume des fumigènes devant un centre d’accueil de réfugiés à Loudun, dans la Vienne. En mars 2016 à Calais, une centaine d’entre eux bloquent un pont pendant quelques heures et y accrochent des banderoles « No Way » et « Go home ». Sans oublier l’organisation de « soupes aux cochon » pour sans abris non musulmans. Des actions qui sont filmées, photographiées et dont le mouvement fait circuler les images via internet.
« Tous les leaders identitaires allemands viennent de mouvements néonazis »
En Allemagne, les identitaires sont apparus en 2012, d’abord seulement sur Facebook, puis par des actions qui relèvent, là aussi, essentiellement du coup de com’. En août 2016, une poignée d’entre eux hisse une banderole anti-migrants sur la porte de Brandebourg, au centre de Berlin. En Autriche, une banderole similaire est accrochée sur le toit du grand théâtre Burg de Vienne. « C’est la photo qui compte plus que l’action en elle-même. Au moment où celle-ci se déroule, en fait, presque personne ne se rend compte que quelque chose se passe, souligne Kathrin Glösel. Les identitaires ont une stratégie médiatique offensive. C’est ce qui les différencie d’autres groupes d’extrême-droite. Au contraire de groupes néonazis qui agissent consciemment de manière la plus discrète possible, les identitaires ne cherchent pas l’anonymat. Ils mènent un travail de communication assez professionnel et agissent de manière similaire dans les différents pays où ils sont présents. »
Ce qui n’empêche pas des néonazis de se sentir tout à fait à l’aise chez les identitaires. « Trois des identitaires allemands qui étaient sur le bateau de Defend Europe étaient, ou sont toujours, des néonazis », indique un membre du groupe antifasciste allemand Sachsen-Anhalt Rechtsaussen, qui lutte contre les mouvements d’extrême droite dans la région allemande de Saxe-Anhalt. « Plus largement, en Allemagne, tous les leaders identitaires viennent de mouvements néonazis : de la branche jeune du parti néonazi NPD, des autonomes nationalistes ou de la Heimtatreue Deutsche Jugend, HDJ, des sortes de scouts néonazis. » [4] Ce mouvement a été interdit par les autorités allemandes en 2009.
Xénophobes, homophobes, conspirationnistes... Les identitaires ratissent large
Les services de renseignements intérieurs allemands (l’Office de protection de la constitution) estiment à 300 le nombre de militants identitaires dans le pays. Ils seraient le même nombre en Autriche. Pour comparaison, le parti néonazi allemand compte 5000 membres. « Il ne s’agit pas d’un mouvement de masse, c’est sûr, mais c’est déjà assez gros pour l’observer, estime Kathrin Glösel. En Allemagne, le mouvement des identitaires a très vite attiré l’attention et la sympathie de tout le spectre d’extrême-droite, des éditeurs, des revues. » Le mensuel xénophobe et conspirationniste Compact, l’hebdomadaire Junge Freiheit, et la revue Sezession (dirigée par l’idéologue Götz Kubitschek, qui a aussi lancé en 2016 une initiative destinée à récolter des fonds pour des campagnes et des actions d’extrême droite en Allemagne, Ein Prozent für unser Land ("un pour-cent pour notre pays"), leur ouvre ainsi régulièrement leurs colonnes avec beaucoup d’empathie.
C’est que l’idéologie des identitaires, la même dans les différents pays où ils sont présents, est clairement xénophobe, islamophobe et raciste. Les identitaires autrichiens et allemands ont adopté l’expression du « grand remplacement », inventée par le Français Renaud Camus (selon lequel une supposée unité ethnique française serait menacée par les migrations).
Masculinistes et anti-féministes
La politologue Kathrin Glösel et ses co-auteurs soulignent aussi la composante masculiniste de la mouvance : « Pour la nouvelle droite, la décadence, c’est avant tout une crise de la masculinité », écrivent-ils. En découlent des positions homophobes, contre le droit à l’avortement, contre le féminisme en général, et pour une image des femmes comme protectrice de la famille, avec la maternité pour seul horizon.
« Le mouvement identitaire est particulièrement tourné en direction des jeunes hommes, avec une image de masculinité de soldat. C’est quelque chose de très présent dans leur discours de vouloir s’adresser aux jeunes hommes blancs en leur disant qu’ils sont des défenseurs contre l’étranger, mais aussi contre le marxisme et le féminisme, explique Kathrin Glösel. Les membres du mouvement ne sont pas des laissés-pour-compte. Au contraire, ils ont souvent fait des études. Ce sont des fils de médecins par exemple, mais ils se présentent comme une minorité menacée. »
Un tremplin vers le FN ou l’AfD
Que ce soit en France ou ailleurs en Europe, les proximités des identitaires avec les partis d’extrême droite sont fortes, idéologiquement et du point de vue des parcours des personnes. « Plusieurs militants du groupe français Génération identitaire travaillent ou ont travaillé avec des élus du FN », indique Éric Dupin dans son ouvrage. Comme Julien Langelia, un des fondateurs du mouvement, recruté par la mairie FN de Cogolin (Var). Ou Philippe Vardon : à l’origine des Jeunesses identitaires en 2002, il a délaissé le mouvement pour devenir conseiller régional FN en PACA en 2014.
« L’attraction du FN explique la disparition du Bloc identitaire, analyse d’ailleurs l’auteur de La France identitaire. Cet autre groupement identitaire créé en 2003 s’est transformé en parti politique en 2009. Mais la « formation identitaire “adulte” n’a jamais réussi à percer. Ses résultats électoraux sont restés des plus modestes, même dans des zones de force comme Nice » [5]. Dans certains cantons niçois ou alsaciens, des candidats du Bloc identitaire ont pu attirer entre 3 % et 9 % des voix. Ils ont depuis arrêté de concurrencer localement le FN et plusieurs de leurs cadres ont même investi l’organigramme du parti.
En Allemagne et en Autriche, « il n’y a aucune différence idéologique entre les partis de l’AfD (Alternative für Deutschland, parti allemand d’extrême droite né en 2013, ndlr) et du FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs, pour l’Autriche, ndlr) et le mouvement identitaire », estime Kathrin Glösel. L’un des chef de l’AfD, Alexander Gauland – élu député lors des dernières élections législatives allemande, le 24 septembre, où l’AfD a obtenu 13 % des voix – a ainsi appelé à l’automne dernier les identitaires à rejoindre son parti. « On trouve des militants de l’AfD à des rassemblements des identitaires. C’est similaire en Autriche : le FPÖ a eu deux assistants parlementaires qui étaient membres du mouvement identitaire autrichien. »
Faut-il y voir une stratégie coordonnée ? De Prague, à Lyon, les membres du réseau des identitaires européens se rencontrent régulièrement. « Le groupe identitaire de Halle, que nous suivons de plus près, voyage régulièrement vers la France, indique le militant antifasciste de Sachsen-Anhalt-Rechstaussen. Lors d’une manifestation identitaire à Berlin en juin, il y avait un groupe français, et d’autres du reste de l’Europe. »
Des camps d’été en uniforme et entraînements physiques
Racistes, xénophobes, virilistes, avec un réseau européen et des liens avec les partis d’extrême-droite établis et les organes de diffusion de leurs idées, les identitaires, même relativement peu nombreux, constituent-ils une menace ? « Il y a encore deux ans, j’aurais dit que le mouvement identitaire n’était pas dangereux. Mais j’ai changé d’analyse, témoigne Kathrin Glösel. On voit aujourd’hui qu’ils peuvent être physiquement dangereux, les entraînements au combat qu’ils pratiquent, pendant leurs camps d’été par exemple, ne sont pas là pour rien. »
Les identitaires français organisent un camp d’été chaque année depuis 2013. Au programme, des conférences et ateliers sur des thèmes aussi racistes que « comment ont été repoussés les musulmans par le passé ». Ces camps, où les participants sont en uniforme – short beige et t-shirt bleu orné du sigle identitaire – visent à « former un groupe cohérent au moyen d’une discipline quasi-militaire », écrit Eric Dupin. Qui note aussi « les connotations guerrières de la propagande de Génération identitaire ». La politologue et activiste autrichienne ajoute : « En Autriche, nous avons vu des identitaires attaquer des personnes à coups de matraques télescopiques. »
Elise Courtil
Cartographie de l’extrême droite : mieux la connaître pour mieux la combattre, disponible sur le site de La Horde.
Notes
[1] Voir ici.
[2] Die Identitären, Handbuch zur Jugendbewegung der Neuen Rechten in Europa. Julian Bruns, Kahtrin Glösel, Natascha Strobl. Unrast Verlag, 2016. Voir ici.
[3] La France identitaire, enquête sur la réaction qui vient, La Découverte 2017. Voir ici.
[4] NPD est le sigle pour Nationaldemokratische Partei Deutschland.
[5] La France identitaire, p 51.
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