Édition du 12 novembre 2024

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Afrique

Éthiopie : Le nettoyage ethnique perdure au Tigré après la trêve

Les individus suspectés d’abus au Tigré occidental n’ont toujours pas été tenus responsables des actes de torture, ni des expulsions forcées.

Dans la région du Tigré dans le nord de l’Éthiopie, les autorités locales et les forces amhara ont continué d’expulser de force des habitants du Tigré occidental dans le cadre d’une campagne de nettoyage ethnique, même après l’accord de trêve du 2 novembre 2022, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement éthiopien devrait suspendre de leurs fonctions les commandants et les responsables impliqués dans de graves violations des droits humains au Tigré occidental, mener des enquêtes et engager des poursuites de manière appropriée.

Tiré d’Afrique en lutte.

Depuis le déclenchement du conflit armé au Tigré en novembre 2020, les forces de sécurité amhara et les autorités intérimaires ont mené une campagne de nettoyage ethnique contre la population tigréenne au Tigré occidental, commettant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Des recherches récentes de Human Rights Watch indiquent que le colonel Demeke Zewdu et Belay Ayalew, deux hauts responsables précédemment suspectés d’abus, continuent d’être impliqués dans la détention arbitraire, la torture et la déportation forcée de Tigréens.

« La trêve de novembre dans le nord de l’Éthiopie n’a pas mis fin au nettoyage ethnique de Tigréens dans la zone du Tigré occidental », a déclaré Laetitia Bader, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « Si le gouvernement éthiopien compte réellement garantir la justice pour les abus, il devrait alors cesser de s’opposer aux enquêtes indépendantes sur les atrocités commises au Tigré occidental, et demander des comptes aux responsables et aux commandants impliqués dans des abus. »

De septembre 2022 à avril 2023, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 35 personnes, dont des témoins et des victimes d’abus, ainsi que des membres du personnel d’agences d’aide humanitaires. La plupart de ces personnes sont des Tigréens qui ont été arbitrairement détenus dans la ville de Humera. Les personnes interrogées ont déclaré que les autorités locales et les forces amhara au Tigré occidental avaient détenu plus d’un millier de Tigréens dans les villes de Humera, Rawyan et Adebai sur la base de leur identité, avant d’expulser de force plusieurs d’entre eux en novembre 2022 et en janvier 2023. En mai, Human Rights Watch a fourni un résumé de ses conclusions préliminaires au gouvernement éthiopien, mais n’a reçu aucune réponse.

Dans les villes de Humera et Rawyan, des forces spéciales de la région d’Amhara et des miliciens fano ont détenu des Tigréens dans des sites de détention officiels et non officiels, dans des conditions abjectes. « Il n’y avait aucun traitement médical », a déclaré un homme de 28 ans qui avait été détenu à la prison de Bet Hintset à Humera. « Si les gens tombaient malades, ils y restaient jusqu’à leur mort. » De nombreux détenus sont décédés des suites du manque de nourriture et de médicaments.

Plusieurs anciens détenus ont déclaré à Human Rights Watch que début janvier 2023, au moins 70 personnes, dont des résidents et des détenus, ont été expulsées de force du Tigré occidental.

Bien que le terme « nettoyage ethnique » ne soit pas formellement défini dans le droit international, la Commission d’experts des Nations Unies qui fut mandatée pour enquêter sur les violations du droit international humanitaire commises en ex-Yougoslavie a décrit cette pratique comme une « politique délibérée conçue par un groupe ethnique ou religieux » visant à éloigner de certaines zones géographiques, « par le recours à la violence et à la terreur, des populations civiles appartenant à une communauté ethnique ou religieuse distincte ». Le droit international prévoit que les personnes expulsées de force de leurs domiciles ont le droit d’y retourner. Cependant, le contexte actuel dans la région du Tigré occidental n’est pas propice aux retours volontaires, dans des conditions sûres et dignes, des réfugiés et des personnes déplacées ayant dû quitter cette région, a déclaré Human Rights Watch.

De nombreuses personnes déplacées ont déclaré à Human Rights Watch qu’elles espéraient rentrer chez elles, mais qu’elles ne se sentaient pas en sécurité tant que les forces de sécurité et autres personnes responsables d’abus se trouvaient toujours au Tigré occidental. En octobre 2022, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés a indiqué que près de 47 000 réfugiés éthiopiens – dont de nombreux déplacés originaires du Tigré occidental – étaient enregistrés dans l’est du Soudan. Le nombre exact d’habitants du Tigré occidental déplacés à l’intérieur de l’Éthiopie reste inconnu. En 2021, on estimait que des centaines de milliers d’habitants du Tigré occidental étaient déplacées à l’intérieur du pays, y compris dans d’autres zones de la région du Tigré.

Le gouvernement éthiopien a montré peu d’intérêt à traduire en justice les responsables des exactions commises au Tigré occidental. En septembre 2022, un groupe de travail interministériel créé par le ministère de la Justice a annoncé l’ouverture d’une enquête, devant être achevée en décembre 2022, sur les violations commises dans cette région. Toutefois, le gouvernement n’a toujours pas divulgué les résultats de cette enquête, ni tenu quiconque responsable des graves abus.

En mai, lors de l’examen de l’Éthiopie devant le Comité des Nations Unies contre la torture, des responsables éthiopiens ont minimisé les informations faisant état d’un nettoyage ethnique. Le Comité a appelé le gouvernement éthiopien à mener des enquêtes rapides, impartiales et efficaces sur les allégations de violations des droits humains commises lors du conflit dans le nord du pays, et a recommandé qu’un organe indépendant enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements.

En avril 2023, le Conseil des affaires étrangères de l’UE a approuvé des conclusions formelles sur son futur engagement avec l’Éthiopie, sans toutefois aborder la question de l’absence de progrès en matière de justice, y compris au Tigré occidental.

La surveillance et les enquêtes internationales portant sur le Tigré occidental restent essentielles, a déclaré Human Rights Watch. La mission de surveillance de l’Union africaine a annoncé son intention de visiter cette région en juin. Les gouvernements étrangers devraient continuer à soutenir le mandat de la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie (ICHREE), établie par le Conseil des droits de l’homme, exhorter le gouvernement éthiopien à coopérer avec cette commission, et examiner de près toute enquête menée par ce gouvernement au Tigré occidental. Le réengagement avec l’Éthiopie devrait être lié à des progrès concrets en matière de justice pour les victimes de violations, et d’obligation de rendre des comptes.

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