Édition du 12 novembre 2024

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États-Unis

Etats-Unis : naissance d’un mouvement contre la violence policière raciste

Bien que la violence policière soit une réalité quotidienne pour la communauté noire, la décision d’un grand jury de ne pas inculper les tueurs de Michael Brown à Ferguson, Missouri et d’Eric Garner à New York ont déclenché une vague de colère et de protestations et un débat national d’ampleur inédite depuis longtemps.

« La vie des noirs compte ! »

Par une nuit d’août dernier, un policier blanc a tué Michael Brown, âgé de 18 ans, sans arme et les mains levées, selon témoins. Des mois durant, des manifestants à Ferguson ont demandé que le policier soit poursuivi par la justice. Rendue publique ce 24 novembre, la décision du grand jury (assemblée de citoyens chargés de décider si un cas ira en procès judiciaire ou pas) de ne pas l’inculper a été reçue avec colère et a déclenché une vague de protestations à Ferguson et à travers le pays. Ce 2 décembre, la décision par un grand jury à New York de ne pas inculper le policier qui a provoqué la mort d’Eric Garner a augmenté le niveau de colère et de frustration. En partie parce qu’à la différence de l’homicide de Michael Brown, celui-ci a été filmé : des millions de personnes ont clairement vu comment un policier a violemment ligoté Garner (ce qui est interdit aux policiers) qui était soupçonné de vendre des cigarettes à l’unité. On entend Garner répéter à de nombreuses reprises qu’il ne peut pas respirer : « I can’t breathe ! » Ces paroles sont devenues l’un des mots d’ordre dans les manifestations qui s’en sont suivies, avec « mains en l’air ! », « ne tirez pas ! » et « la vie des noirs compte ! ».

Des manifestations ont eu lieu un peu partout aux Etats-Unis. A Berkeley, des manifestants ont bloqué les autoroutes trois nuits de suite. Dans les universités, et parfois des collèges et lycées, des étudiants ont fait des « die-in », en s’allongeant par terre, comme morts, pendant quatre minutes et demi pour marquer symboliquement les quatre heures et demi pendant lesquelles le corps de Michael Brown a été laissé dans la rue - un acte perçu comme une insulte déshumanisante par la communauté noire. Pour sa part, Obama s’est montré plus soucieux de calmer les esprits que de se montrer solidaire avec les victimes.

La centrale syndicale AFL-CIO a publié un article dénonçant l’aspect raciste de la justice états-unienne. Un comité de l’ONU contre la torture a dénoncé la force excessive de la part de la police aux Etats-Unis, et Zeid Ra’ad Al-Hussein, responsable d’une commission sur les droits humains à l’ONU, a fustigé la pratique de « discrimination institutionnalisée » aux Etats-Unis.

Début d’un mouvement de masse

A Ferguson, plusieurs organisations ont été fondées par des jeunes militants pour continuer la lutte, pour que justice soit faite pour Michael Brown et pour stopper la violence meurtrière de la police contre les noirs. Pour l’instant, il n y a pas de coalition au niveau national, mais on sent un processus allant dans ce sens. Le samedi 13 décembre, des dizaines de milliers de manifestants noirs, blancs, latinos ou autres, ont manifesté dans les rues de New York.

Des blancs participent en grand nombre à ces manifs - parfois en majorité. Mais des sondages suggèrent qu’il agit de personnes déjà radicalisées - parfois des ex-Occupy ou des blancs récemment radicalisés par le dégoût lié à ces événements, l’ampleur de ces meurtres. Les statistiques sur la brutalité policière ne sont pas recueillies de manière systématique, mais c’est clair pour qui suit les débats médiatisés sur cette question que des meurtres de noirs par des policiers blancs se passent quotidiennement.

Ceci dit, la plupart des blancs aux Etats-Unis demeurent ignorants de la fréquence de ces homicides et des conditions qui les cautionnent. A New York par exemple, un sondage récent est très révélateur de la brèche entre les perceptions des noirs et des blancs : tandis que 67% des blancs trouvent positif le comportement de la police, 76% des noirs le trouvent négatif. Beaucoup de blancs ignorent aussi la réalité des liens entre les conditions d’emploi, de transport et d’éducation qui ne sont pas adéquates dans les ghettos noirs, et le système judiciaire et ses aspects hyper-racistes. Par exemple à Milwaukee, la ville la plus ségréguée du pays, la quasi-totalité des emplois créés ces dernières années sont éloignés des quartiers noirs. Ces quartiers sont mal desservis par le système de transports en commun, les écoles manquent de ressources suffisantes, et la police fait des interpellations et contrôles en série contre les jeunes hommes – des actions jamais faites dans les quartiers blancs. Et tandis que des études sérieuses démontrent que les blancs et les noirs utilisent et vendent la drogue dans des proportions égales, ce sont les noirs qui vont en prison en grand nombre, surtout pour le cannabis qui a récemment été légalisé dans les Etats du Colorado et de Washington et décriminalisé dans d’autres.

Le nouveau mouvement dont on assiste à la naissance doit à la fois éduquer la population blanche et mettre en garde le pouvoir que la violence policière contre les noirs, et l’offensive néolibérale qui la pousse en avant, seront désormais contestées.

* A paraître en Suisse dans l’Anticapitaliste n° 112.

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