Le moratoire a été décrété initialement par l’ancien gouverneur de l’état de New York, David Paterson. Il était prévu que Andrew Cuomo, le gouverneur actuel, qui a reçu davantage de soutien financier de la part de l’industrie de l’énergie qu’aucun autre candidat à l’élection de 2010, lève le moratoire à la fin de ce mois-ci.
Mais pour octroyer des permis d’exploitation, Cuomo a besoin d’un "certificat médical", à savoir une étude sur l’impact potentiel de la fracturation hydraulique sur la santé réalisée par le Département de la Santé de New York. Le département de la Protection de l’Environnement a besoin de cette étude sanitaire pour pouvoir finaliser son rapport sur l’impact environnemental des protocoles de forage prévus.
Et voilà la grande nouvelle : Le Département de la Protection de l’Environnement n’a pas pu publier ses conclusions dans les délais —la date limite était mercredi— parce que le Département de la Santé a déclaré qu’il reportait la publication de son étude. Sans l’aval du docteur on peut être à peu près certain que Cuomo ne pourra pas déposer les protocoles de forage avant la date limite fixée au 27 février.
Si les protocoles ne sont pas déposés avant le 27 février, il faudra recommencer la procédure de validation à zéro.
Il est intéressant de constater que Cuomo et son administration n’ont fait aucune déclaration à l’approche de la date limite. Le gouverneur n’a pas mentionné la fracturation hydraulique dans son discours sur l’état de l’Etat le mois dernier, alors même que les délégués qui arrivaient dans le Palais des congrès où Cuemo devait faire son discours avaient été accueillis par des milliers de manifestants qui psalmodiaient : "Interdisons la fracture hydraulique tout de suite !"
Joseph Martens, le responsable du département de la Protection de l’Environnement n’a pas non plus mentionné la fracturation hydraulique en lisant le texte de sa déclaration sur les activités du Département pendant une audition sur le budget devant des législateurs d’Albany. Et malgré leur insistance, Martens a refusé de dire où son Département en était sur ce sujet.
On comprend mieux pourquoi quand on sait que, selon des emails que s’est procuré en juin dernier le Groupe de Travail pour l’Environnement (un organisme sans but lucratif), Steven Russo, le commissaire adjoint du Département pour la Protection de l’Environnement, avait soumis un projet de protocoles aux membres des lobbys qui représentent les sociétés de fracturation hydraulique.
En dépit de ce qui ressemblait fort à une campagne soutenue pour les ignorer ostensiblement, les militants anti-fracturation respirent maintenant un peu mieux. "J’ai le sentiment d’être délivré d’un grand fardeau", a dit Russell Mendell qui a contribué à l’organisation d’une grande manifestation contre ces forages l’été dernier devant la demeure du gouverneur.
La fracturation hydraulique ne serait pas l’objet de toutes ces attentions ici dans l’état de New York sans les pressions massives exercées par le public sur Cuomo et les responsables de la santé et de l’environnement de son administration. Des centaines de manifestations ont eu lieu dans tout l’état. Pendant un sommet politique que le gouverneur avait organisé l’été dernier à Manhattan, les militants ont déployé une bannière de 10 mètres sur l’hôtel Sheraton qui disait : "Cuomo, ne fracture pas New York !" Plus de 6 000 personnes se sont engagées à mettre en place des actions non violentes si des permis étaient délivrés.
Une autre chose laisse penser que l’échéance ne pourra pas être respectée, c’est le fait que le Département de la Protection de l’Environnement a reçu plus de 200 000 commentaires écrits, qui viennent en majorité d’opposants aux forages, pendant la récente période de consultation du public sur les protocoles envisagés. L’agence est obligée de répondre à tous les commentaires avant de valider les protocoles.
La vague de résistance a été plus forte que les 3 millions de dollars que les compagnies qui ont des intérêts dans la facturation hydraulique ont déversé dans l’état pour s’assurer des appuis. Cuomo lui-même aurait reçu entre 150 000 et 200 000 dollars du lobby de la fracturation.
Comme DeSmog l’a révélé récemment, Lawrence Schwartz, le principal collaborateur de Cuomo, détient des actions dans plusieurs compagnies énergétiques dont la valeur diminuera ou augmentera en fonction de la décision qui sera prise dans l’état de New York.
Et il y a aussi le lobby personnel de Cuomo, le Comité pour Sauver l’Etat de New York. Comme l’écrit Kevin Conner, le co-directeur de l’Initiative pour obliger les Décideurs à rendre des Comptes au Public, :
"Les médias ont identifié quatre instances qui soutiennent le Comité et qui ont des intérêts dans la fracturation hydraulique soit directement soit à travers les entreprises qu’elles représentent : Con Edison, le Partenariat pour la ville de New York, le Conseil des Affaires de l’Etat de New York, et le Partenariat Buffalo Niagara. Ces organisations sont des soutiens importants du Comité et l’ont soit directement financé, soit aidé de différentes manières."
Et je ne parle pas de tous les donateurs du Comité que nous ne connaissons pas. Si vous êtes foreur et que vous voulez donner des fonds à Cuomo, le "Comité pour Sauver les 1%" vous y aidera, à ce qu’affirme l’Initiative pour obliger les Décideurs à rendre des Comptes au Public. Des millions de dollars provenant de donateurs secrets de Wall Street qui espèrent profiter du marché de la fracturation hydraulique ont aussi trouvé le chemin des coffres du Comité.
Le contexte de la fracturation hydraulique
La technique de la fracturation hydraulique —qui consiste à injecter, sous très haute pression, un mélange d’eau, de sable et de centaines de produits chimiques toxiques, appelé fluide, dans la terre à une très grande profondeur pour fissurer les roches sédimentaires et libérer le gaz naturel— existe depuis des dizaines d’années. Mais elle était considérée comme trop coûteuse à cause des lois fédérales de protection de l’environnement ; c’est à dire jusqu’à ce que le Congrès vote en 2005 une loi pour exempter la fracturation hydraulique du respect des lois protégeant l’air et l’eau.
Rédigé par l’ancien responsable de Halliburton et vice-président de l’époque Dick Cheney, le tour de passe passe Halliburton, comme on a fini par l’appeler a transféré la plus grande partie des règles régissant la fracturation de l’état fédéral aux états et aux municipalités.
Les officiels locaux de l’époque ne se sont pas rendus compte de ce qui leur tombait dessus. Le forage intensif a gagné 31 états, et des régions trop pauvrement équipées pour pouvoir exercer le moindre contrôle sur ce qui se passait dans le sol. La production de gaz a augmenté de 20% depuis 2005 et la production de pétrole de 10%.
Pourtant dans certaines des régions étasuniennes où la fracturation hydraulique est la plus dense, il n’y a toujours en moyenne qu’un inspecteur pour 2 000 puits. Dans l’état du Nouveau Mexique, le ratio est d’un inspecteur pour 4 500 puits.
Les billets verts ont accompagné le fluide de la fracturation. En quantité. L’argent de la fracturation a décidé du résultat d’élections pour quelques milliers de dollars et a poussé beaucoup de ranchers et de fermiers à louer les terres qui ne donnaient pas de très bonnes récoltes.
Mais beaucoup de ceux qui ont loué leurs terres aux foreurs se sont ensuite rendu compte que leur eau était polluée (et parfois inflammable) et que l’air était chargé d’hydrocarbures cancérigènes. Avec l’efficacité de vampires, les firmes de forage ont réussi à aspirer tout le gaz et le pétrole de la terre avant de disparaître avec les profits en laissant pourrir ce qu’ils laissaient sur place.
Et nulle part la colonisation d’un état de l’Empire par l’industrie du gaz n’a été plus juteuse qu’en Pennsylvanie. Cet état se situe sur la formation rocheuse du Marcellus Shale, dans le bassin des Appalaches, qui s’étend des Etats-Unis du sud jusqu’au nord de l’Ontario et contient entre 4,6 à 8,9 trillions de m3 de gaz suivant les estimations.
Tom Corbett, le gouverneur de Pennsylvanie, a reçu plus d’un million de dollars de contribution des entreprises de forage pendant sa campagne de 2010. En échange, il ne leur a pas ménagé ses faveurs, en bloquant les lois qui auraient taxé l’extraction du gaz et en leur octroyant des milliers de permis aux dépens de l’environnement.
Les entreprises de forage aimeraient sans aucun doute investir l’état de New York comme elles ont conquis la Pennsylvanie. Mais les évènements de cette semaine ont montré que le peuple a le pouvoir de s’organiser et de contrer les puissants intérêts de l’extraction des combustibles fossiles.
Il est temps maintenant que les communautés qui mènent des campagnes populaires pour la justice sociale et écologique fassent la même chose.
Peter Rugh est un écrivain et militant basé à Brooklyn, New York.
Pour consulter l’original : http://occupy.com/article/new-yorks-victory-against-big-gas-...
Traduction : Dominique Muselet