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États-Unis. Leçons d’une année de résistances

Publié par Alencontre le 25 - janvier - 2018 | Editorial du Socialist Worker (ISO)

Il s’agissait de la plus importante journée de protestation de l’histoire des Etats-Unis : environ 4 millions de personnes sont descendues dans les rues (dans la capitale, Washington, ainsi que dans de nombreuses autres villes du pays).
Les Women’s Marches du 21 janvier, il y a un an, ont représenté une vague de colère contre le réactionnaire qui venait d’accéder à la Maison Blanche. Elles étaient aussi l’expression d’un soulagement : le fait que des millions de personnes sont sorties pour protester contre Trump le premier jour de son mandat.

Il s’agissait d’une réponse décisive au résultat – donnant la nausée – des élections, deux mois et demi plus tôt. Le ton était donné pour énormément de gens : Trump allait faire face aux vagues incessantes d’un océan d’oppositions.
Trump a, en effet, été contesté par un nombre impressionnant de personnes au cours de la première année de son mandat – plus que tout autre président à ce stade – et, jusqu’ici, il n’a pas été en mesure de réaliser des pans importants de son programme réactionnaire.

Mais le niveau de mobilisation et d’actions des résistances contre Trump n’a jamais retrouvé l’échelle des Women’s Marches. Cette année, les événements prévus pour le premier anniversaire de ces marches auront sans doute un caractère différent : nombreux seront ceux qui souligneront l’importance des élections de mi-mandat au Congrès bien qu’il reste plus de 9 mois. [samedi 20 janvier, des manifestations importantes se sont déroulées dans de nombreuses villes des Etats-Unis]
Nombreux sont ceux disposés à faire bien plus que d’attendre les élections de novembre. Transformer cette volonté en action nécessitera de l’organisation et des débats politiques. Tirer des leçons des résistances de l’année écoulée est un pas dans cette direction.

Un an d’attaques et de renforcement de la droite

Malgré l’affirmation d’une opposition dès le premier jour de son mandat, Trump et son administration ont agi comme si leur campagne perdante – personne ne devrait oublier qu’il a perdu par près de 3 millions de suffrages – représentait un mandat gagné à une majorité écrasante.

Ils se sont mis immédiatement à l’ouvrage, mettant en place certaines promesses parmi les plus fanatiques de la campagne : interdire l’entrée aux Etats-Unis de personnes venant de « pays musulmans », menacer les immigré·e·s de contrôles et de renvois accrus, frapper de plein fouet le planning familial et le Titre IX [une disposition fédérale garantissant l’égalité des sexes dans l’éducation publique], pour ne mentionner que quelques exemples.

La victoire de Trump a conduit l’extrême droite du Parti républicain à imaginer qu’ils jouissaient d’une pleine liberté pour détruire tout ce qui pouvait encore ressembler à un filet de sécurité sociale aux Etats-Unis.

L’extrême droite en dehors de Washington a pris du poil de la bête. Les suprémacistes blancs ont été encouragés par l’apparition d’une audience stimulée par la manière dont le président dénigre les immigré·e·s, les musulmans et les femmes ainsi que par sa célébration du racisme et de la Confédération [le sud esclavagiste sécessionniste au cours de la Guerre civile de 1861-65].

L’extrême droite s’est sentie en confiance au point d’appeler à des rassemblements défendant les statues de personnalités confédérées ainsi qu’à organiser des tours de conférences au cours desquelles les orateurs répandaient des mensonges au sujet de l’infériorité des « minorités raciales ». Des fascistes ont pensé qu’ils avaient le feu vert pour commettre des actes de terreur contre les immigré·e·s, les musulmans et les manifestant·e·s antiracistes.

Tout au long de l’année, toutefois, notre camp a résisté à ces agressions. Les gens horrifiés par les politiques menées par Trump étaient convaincus que seule la solidarité permettrait de combattre un tel ensemble d’attaques dirigées tous azimuts.

L’opposition n’a pas été suffisante pour enrayer l’administration Trump dans la plupart des cas. La démonstration a néanmoins été faite que le dernier dirigeant de la « plus grande démocratie du monde » n’avait pas le champ libre.

Les millions de participant·e·s aux Women’s Marches ont contribué largement à cela. Les manifestant·e·s sont venus non seulement avec des pancartes revendiquant la défense des droits des femmes, mais aussi en défense de tous ceux agressés dans l’Amérique de Trump : « personne n’est illégal », « Black Lives Matter », « Non c’est non » ou tout simplement : « ce n’est pas normal ».

Des milliers de manifestant·e·s se sont rassemblés dans les aéroports du pays pour empêcher l’application de l’interdiction de voyage des ressortissants de certains pays qualifiés de musulmans. La défense du droit des femmes a été le point de ralliement des luttes visant à contrer les forces militant contre l’avortement devant les cliniques de planning familial au mois de février tout comme lors de la grève internationale des femmes en mars.

Après la mobilisation de l’extrême droite pour un rassemblement à Charlottesville, en Virginie au mois d’août, et suite à la mort d’Heather Heyer lors d’une manifestation antifasciste dans cette même ville, des manifestations ont été organisées dans tout le pays. Un nombre incalculable de gens ont été réconfortés par les protestations antiracistes hebdomadaires apparaissant dans l’un des endroits les plus improbables : les stades de football [dans lesquels des footballeurs noirs mettent le genou à terre, lors de l’hymne national, pour protester contre les brutalités policières envers les Noirs].

S’inspirer des Women’s Marches et #MeToo

Alors que l’année 2018 débute, on peut croire que Trump réussit sur tous les points – sensation renforcée par l’adoption au Congrès par les Républicains de l’immense vol et transfert de richesses que sont les nouvelles mesures fiscales.

Ce n’est qu’une raison de plus pour se souvenir que Trump a aussi galvanisé une opposition plus importante, autant au sein de l’opinion publique qu’en termes d’activisme politique, que tout président à ce point de son mandat (plus même que George W. Bush, qui avait littéralement volé les suffrages de la Floride pour accéder la Maison Blanche).

Aujourd’hui, un an après que le monde ait entendu un enregistrement réalisé à son insu où Trump, au cours de la campagne, se vante, en des termes dégueulasses, de harceler sexuellement les femmes, 2017 s’est achevé avec #MeToo.
Ce qui a commencé comme une campagne sur les médias sociaux contre le harcèlement et les agressions sexuelles a aujourd’hui un impact bien plus important que quiconque aurait pu l’imaginer.

Sous bien des angles, #MeToo, tout comme les Women’s Marches, est significative des résistances de l’ère Trump. Subitement, des dizaines de milliers de personnes se mettent en mouvement car elles ne voient pas d’autre possibilité que de riposter. Et lorsqu’il n’y a pas d’organisations formelles appelant à le faire, elles s’organisent elles-mêmes.

La Women’s March, appelée tout d’abord sur Facebook par une grand-mère à Hawaï, s’est transformée en quelques semaines en un appel à l’action bien plus important le jour pour le week-end de la prise de mandat de Trump.

Alors que les groupes de femmes « mainstream » tels que la National Organization for Women (NOW) – dont on aurait pu espérer qu’elles mobilisent suite à l’élection de Trump – ajustaient leur réponse à l’attitude complètement passive du Parti démocrate, des femmes et des hommes ordinaires ont dû s’organiser à partir de rien.

Le fait qu’un grand nombre de celles et ceux qui sont sortis manifester ou ont fait en sorte que leurs amis les rejoignent lors des marches de janvier 2017 agissaient pour la première fois de leur vie, cela ne signifie pas pour autant que l’amertume à l’origine des marches ne couvait pas sous la surface, cherchant un canal d’expression à l’instar du mouvement #MeToo ou du « soulèvement des aéroports » presque spontané.

Contre la passivité du Parti démocrate

Pour ceux et celles engagés contre les injustices à l’ère de Trump – qu’ils se soient organisés la semaine dernière ou il y a plusieurs décennies – la question à l’ordre du jour est celle de savoir quelle direction doivent prendre les résistances.
Tout au long de l’année, les activistes ont fait en sorte d’organiser des réseaux et des organisations permettant aux gens encouragés à agir à se réunir, à discuter et à planifier des actions. Ces formations ont souvent été limitées et les activités oscillantes, mais il s’agit d’un premier pas au-delà des seules protestations.

Par exemple, lorsque des groupes contre le droit à l’avortement ont annoncé qu’ils tenteraient de bloquer des cliniques du planning familial le 11 février 2017, des petits groupes de défenseurs des « droits en matière de reproduction », principalement des socialistes et d’autres membres de la gauche, se sont rassemblés pour organiser une défense des cliniques.

Ils ont dû faire face à une opposition venant non seulement de la droite mais aussi de l’aile politique du planning familial qui a découragé voire même dénoncé la tactique d’opposition directe aux fanatiques « anti-choix », même lorsque ces derniers tentaient de fermer les cliniques. Malgré cela, la participation aux manifestations a été significative devant de nombreuses cliniques.

Cette expérience, ainsi que bien d’autres, révèle le fait que les progressistes et la gauche se sont retrouvés dans la bataille contre l’administration Trump largement mal préparés et dépassés.

Les principales organisations et institutions disposant des ressources permettant d’organiser un grand nombre de gens ont largement refusé de mener ce type de lutte. Au lieu de cela, des groupes tels que NOW ont adopté la même attitude d’Hillary Clinton après qu’elle ait annoncé qu’elle « attendrait et verrait » si les libéraux pourraient travailler avec Trump.

Le lendemain des élections, elle avait déclaré : « Je crois toujours en l’Amérique et il en ira toujours ainsi. Si c’est votre cas, nous devons accepter les résultats des élections. Nous devons être ouverts d’esprit et donner à Trump une chance de diriger. » Voilà la réponse du Parti démocrate à l’élection de Trump ainsi qu’aux menaces à venir contre les immigré·e·s, les femmes et les musulmans.

Quelle stratégie contre Trump ?

Dans les mois à venir, des stratégies différentes seront testées quant à la manière d’affronter le programme de Trump. En particulier, des pressions viendront des mêmes milieux qui se sont opposés aux mobilisations en défense du planning familial. Elles revendiqueront la nécessité de se concentrer exclusivement sur des actions assurant que des candidats démocrates remportent les élections de mi-mandat de 2018.

Pour l’anniversaire des Women’s Marches, des organisateurs appellent les gens à se rendre à Las Vegas pour participer à une convention visant à débuter une énorme campagne nationale d’inscription sur les listes électorales. Campagne qui porte le nom de #PowerToThePolls. Dans plusieurs villes, les rassemblements prévus ciblent principalement la nécessité de construire un soutien en faveur des candidats démocrates.

Cela peut sembler, pour beaucoup, une conclusion logique après avoir vu ce que représente une année de présidence Trump. L’une des leçons de l’année écoulée devrait être toutefois le constat de l’absence de volonté de riposte du Parti démocrate. Un autre constat est la disposition croissante d’un grand nombre de gens à protester et à participer aux résistances.
L’atmosphère d’opposition engendrée par le mouvement #MeToo permet d’imaginer l’ampleur des manifestations pour le premier anniversaire des Women’s Marches ainsi que la possibilité de mobiliser en faveur de revendications concrètes visant à améliorer la vie des femmes : protection du Titre IX, défense du droit à l’avortement et du filet de sécurité.

Le refus des démocrates de combattre Trump ici et maintenant démontre la nécessité qui est la nôtre de construire nos propres organisations indépendantes, démocratiques et de base dans le but d’organiser une volonté et un pouvoir collectifs contre les attaques de Trump et défendre des revendications indispensables à la classe laborieuse.

D’autres pressions viendront de gens qui affirment savoir mieux que quiconque comment assurer le changement. Ils diront que les revendications et les stratégies de ceux et celles qui s’organisent par en bas doivent être ajustées de façon à aider les Démocrates.

C’est l’un des principaux points qui doit être contesté. En effet, l’une des plus importantes leçons de la première année de résistances à Trump est que la véritable capacité d’affronter la droite, de défier les mensonges des réactionnaires et de défendre la justice repose sur le grand nombre de ceux et celles qui agissent, ceux et celles qui n’attendent pas passivement que les politiciens et les organisations liberales fassent quelque chose (Editorial publié sur le site socialistworker.org en date le 17 janvier 2018 ; traduction A l’Encontre ; l’essentiel de ce texte a été diffusé sous forme de tract lors des manifestations – en Suisse – placées sous le slogan « Trump is not welcome », cela à l’occasion du WEF)

socialisteworker.org

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