Tiré de À l’encontre.
Alors que les premiers négociateurs américains viennent d’arriver en Chine [1] pour tenter de trouver une issue à ce qu’il convient désormais d’appeler la « guerre commerciale », il était intéressant de revenir aux origines de cette querelle larvée entre les deux premières puissances du monde.
Il faut dire qu’à force d’outrances verbales et de provocations diplomatiques, il était devenu difficile de se rappeler les origines de cette hostilité ouverte entre le président américain et son homologue chinois. A peine se souvient-on des tweets rageurs du président Trump, et des réponses mi-laconiques, mi-exaspérées de la part de Pékin.
Une opposition frontale qui avait culminé en juillet dernier avec l’annonce par le président américain d’une nouvelle série de sanctions commerciales à l’encontre du voisin chinois.
Une décision de l’administration américaine qui faisait suite à la hausse des tarifs douaniers imposés par la Chine, répondant elle-même à une première vague de surtaxes américaines de 25% la semaine précédente. On pourrait donc chercher longtemps qui, de la poule américaine ou de l’œuf chinois, est en cause dans cette affaire sans parvenir à une réponse définitive. Toujours est-il que les deux hyperpuissances ont fini par se retrouver à Buenos Aires, en décembre dernier, afin de trouver une solution ou une sortie honorable aux deux protagonistes de cette escalade sans précédent.
Si cette réunion n’a pas conduit à un apaisement complet des relations sino-américaines, elle a néanmoins débouché sur une trêve allant jusqu’au 1er mars. Les deux pays se sont donc donné trois mois pour discuter, négocier et tenter de trouver un terrain d’entente sur cette épineuse question. Passé cette date, les droits de douane américains, touchant environ 200 milliards de dollars d’importations chinoises, passeront de 10 à 25%.
Il faut dire que les États-Unis accusent un déficit commercial de près de 380 milliards de dollars avec la Chine. Et c’est bien là le cœur de la brouille diplomatique entre les deux pays. Dès sa campagne, le candidat Trump avait choisi de prendre la Chine pour cible, en dénonçant la profonde asymétrie des relations commerciales entre les deux pays.
L’enjeu pour Trump est donc de rééquilibrer la balance en faveur des États-Unis et des entreprises américaines, mais aussi de mettre un terme à ce que Washington considère comme des pratiques déloyales de la part de Pékin.
Les exigences américaines portent ainsi tout particulièrement sur le transfert de technologies imposé aux entreprises étrangères implantées en Chine, sur l’ouverture du marché intérieur chinois et sur le respect de la propriété intellectuelle.
En dépit de son ton, volontairement outrancier, le président américain soulève donc des problématiques tout à fait légitimes. On peut même dire qu’avec ses saillies verbales et numériques incontrôlées, le président américain agit comme le révélateur « des incohérences » du système économique mondialisé. Il dit non seulement tout haut ce que nombre de dirigeants pensent tout bas, en ce qui concerne la Chine, mais nous invite aussi à repenser les règles du jeu du libre-échange, telles que pensées depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
[En réalité, la politique fiscale de Trump en faveur des firmes, les choix de l’administration trumpienne qui accentuent les attaques contre les organisations syndicales – telle la suppression (suite au jugement de la Cour suprême dans le cas Janus v. AFSCME) pour les fonctionnaires de l’obligation, depuis 1948, de payer des cotisations à un syndicat pour l’aide administrative fournie, même s’ils n’en sont pas membres, cela affecte directement 5 millions d’employé·e·s de collectivités locales dans 22 Etats ; un tiers des fonctionnaires américains sont syndiqués, par contre le recul dans le secteur privé continue, la décision prise par la Cour suprême l’a été au nom de du 1er amendement sur la « liberté de parole, de choix » ; pour Trump, cette résolution de la Cour suprême réduit l’apport financier des syndicats au Parti démocrate lors des élections ; sa politique anti-immigré·e·s qui vise à cliver la classe laborieuse et à utiliser dans des services sous-traités de firmes (nettoyage, logistique) de la force de travail sans-papiers payée beaucoup moins que 9 dollars de l’heure ; les liens renforcés entre l’industrie d’armement et les secteurs de ladite haute technologie, à quoi s’ajoute la politique militaire et spatiale, tout cela vise à relancer la capacité compétitive du capital états-unien dans un contexte d’affrontements interimpérialistes à l’ordre du jour, avec comme effet collatéral de réduire quelque peu le solde négatif de la balance commerciale et des comptes courants. On est loin d’une simple « guerre commerciale » ou d’un changement dans le « libre-échange ». – Réd. A l’Encontre, C.-A Udry]
En revenant sur le pacte faustien qui a vu les Etats-Unis construire leur suprématie économique sur la puissance manufacturière de la Chine, le président Trump met les pieds dans le plat du libre-échange et nous interroge sur l’attitude à adopter face aux velléités hégémoniques de la Chine en matière économique et commerciale.
Cette guerre sino-américaine nous incite donc à penser les limites et les asymétries de cette mondialisation économique qui, sous couvert de libre-échange, prolonge surtout la loi du plus fort en matière économique et commerciale. (Billet Nouvelles de l’Eco, 12 février 2019)
Note
[1] Ci-dessous la « nouvelle » et son interprétation publiées par allnews (La finance suisse dans l’e-media), le 11 février 2019 :
« Le représentant adjoint au commerce Jeffrey Gerrish va entamer dans la journée des pourparlers avec des responsables chinois.
Chinois et Américains ont repris lundi leurs négociations commerciales alors que le FMI a mis en garde contre une « tempête » sur l’économie mondiale liée, en partie, aux hausses de droits de douane décidées par les deux géants mondiaux.
A moins de trois semaines de l’échéance fixée par le président américain, Donald Trump, avant une nouvelle salve de sanctions commerciales contre la Chine, son représentant adjoint au Commerce, Jeffrey Gerrish, a entamé à Pékin des discussions préliminaires.
J. Gerrish, qui avait déjà engagé des négociations début janvier dans la capitale chinoise, a quitté son hôtel de Pékin en début de journée, sans aucune déclaration à la presse.
Ces tractations doivent précéder des discussions jeudi et vendredi à Pékin avec les hauts responsables de la négociation : le représentant pour le Commerce, Robert Lighthizer, et le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, côté américain et, côté chinois, le vice-Premier ministre, Liu He, et le gouverneur de la banque centrale, Yi Gang.
Ces discussions font suite à celles organisées le mois dernier à Washington, qui ont donné lieu à un entretien entre Liu He et Donald Trump.
Après un regain d’optimisme à la suite de ces négociations, Washington a soufflé le froid la semaine dernière, l’administration Trump assurant qu’il y avait « encore beaucoup de travail » avant que les deux premières puissances économiques du monde ne parviennent à surmonter leurs multiples différends.
Donald Trump, qui avait annoncé une réunion avec le président chinois, Xi Jinping, « dans un avenir proche », a même indiqué qu’il n’avait pas prévu de le rencontrer avant l’échéance du début mars.
Lors d’un entretien début décembre en Argentine, les deux présidents se sont fixé cette échéance pour parvenir à un règlement négocié.
Passé cette date, des droits de douane frappant l’équivalent de 200 milliards de dollars d’importations chinoises annuelles aux États-Unis seront portés de 10% à 25%.
Quatre nuages
Outre l’énorme excédent commercial que la Chine dégage de ses échanges bilatéraux, Washington exige qu’elle mette fin à ses pratiques jugées déloyales telles que le transfert forcé de technologies américaines, le « vol » de la propriété intellectuelle américaine, le piratage informatique ainsi que les subventions massives accordées aux entreprises publiques pour en faire des champions nationaux.
Car dans ce conflit se joue la position dominante des deux pays dans les hautes technologies de demain.
« La technologie est l’avantage le plus important dont disposent les Américains. Nous sommes innovants, nous sommes excellents sur le plan technologique », avait déclaré début décembre Robert Lighthizer dans un rare entretien télévisé.
La perspective d’une aggravation de la guerre commerciale pèse sur les marchés financiers mondiaux, qui redoutent ses conséquences pour l’économie mondiale.
Elle inquiète aussi Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), qui a mis en garde dimanche à Dubaï contre une éventuelle « tempête » économique mondiale.
Mme Lagarde a évoqué ce qu’elle a appelé les « quatre nuages » qui menacent la planète : tensions commerciales, resserrement des taux d’emprunt, Brexit et ralentissement de l’économie chinoise.
Selon elle, les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis ont commencé à affecter l’économie mondiale.
« Quand il y a trop de nuages, il suffit d’un éclair pour déclencher la tempête », a averti Mme Lagarde (FMI), qui a appelé les gouvernements à s’y préparer et à éviter le protectionnisme.
Les discussions de cette semaine « pourraient déboucher sur des progrès à l’approche de l’échéance du 1er mars », estiment dans une note les économistes de la Société Générale, qui ne s’attendent toutefois pas à « une percée ». (11 février 2019)
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