Une première évaluation de la rencontre doit souligner la bonne tonalité générale des débats dans les ateliers et lors de la plénière finale. Malgré la pluralité politique et idéologique existante et la diversité des opinions, l’ambiance fut à tout moment détendue et sans tensions. Quant aux ateliers – des sept prévus initialement, six ont été finalement tenus – ils se sont centrés sur les alternatives économiques et politiques aux diktats de la Troïka et à la crise du régime politique dans l’Etat espagnol, ainsi que dans le modèle organisationnel et participatif que devrait adopter un nouvel instrument politique de ceux et celles d’en bas.
Les conclusions de ces ateliers peuvent être consultées ici : www.alternativasdesdeabajo.org/articulo/acta-y-conclusiones-talleres-jornadas-alternativas-abajo-7-y-8-junio ; elles reflètent l’ébauche d’un programme minimal assez avancé sur ces deux questions et qui furent pratiquement adoptées par consensus dans les ateliers respectifs.
Convergences
L’atelier qui a réuni le plus de participants, avec quelques 130 personnes, était consacré aux accords nécessaires entre mouvements sociaux et organisations politiques. Les interventions y ont été nombreuses (plus de 70 prises de parole) et d’une grande richesse argumentaire, bien qu’il faille être autocritique et signaler la faible participation des femmes, avec seulement 12 prises de parole. La taille de l’atelier lui-même rendait difficile la prise d’accords concluants, mais la majorité des interventions ont abondé sur la nécessité d’un processus de convergence entre la gauche sociale et politique sur base d’une orientation de rupture avec le régime de 1978, tout comme avec les diktats de la Troïka.
L’assemblée finale a décidé d’organiser des journées similaires dans différentes villes et régions/nations pour le mois de septembre et de tenir à nouveau des journées plus grandes au niveau de l’Etat espagnol au mois d’octobre.
L’initiative « Alternatives d’en bas » a ainsi entamé un tournant vers la convergence entre des secteurs sociaux et politiques pluriels, mais elle a devant elle d’importants défis à relever et qui ne pourront être résolus à court terme. Pour ce faire, il sera nécessaire de cultiver la confiance entre les participants-e-s et cela ne peut se faire qu’avec le temps et du travail commun. Nous pouvons également souligner trois défis à relever pour ce processus au cours des prochains mois ;
Horizontalité et démocratie
L’initiative doit se doter d’une structure organisationnelle minimale qui lui permette de fonctionner entre les journées/assemblées et de mener à terme les décisions prises par celles-ci. Ce n’est pas une question si simple, puisque les méfiances vis-à-vis de tout type de délégation de pouvoir sont à l’ordre du jour dans les rassemblements de type « assembléiste ». Lors de l’assemblée finale de la journée du 8 juin s’est constitué un comité de coordination pour la prochaine journée d’octobre dont la composition a été faite de manière volontaire et les conclusions de l’atelier sur l’« assembléisme » et celui sur les instruments de participation ont tracé des propositions de fonctionnement très claires dans un sens nettement horizontal et radicalement démocratique.
Cela nous semble constituer des pas dans la bonne direction, bien qu’il faille sans doute prévoir encore d’autres commissions de travail si l’on veut que le processus s’étende dans tout l’Etat espagnol et touche de nombreuses villes, villages et quartiers. La bonne tonalité des débats et l’absence de tensions lors de la première rencontre constituent une bonne base pour que cette tâche fondamentale puisse se réaliser sans trop de problèmes superflus.
Programme et cohérence
Le débat sur le programme minimal est une des questions fondamentales à faire aboutir à moyen terme. Les conclusions des différents ateliers peuvent déjà constituer une bonne base, bien que des positions distinctes vont sans doutes apparaître sur des thématiques telles que la sortie ou non de l’euro, le maintient dans l’UE, l’annulation de la dette ou sa renégociation, et d’autres encore. En tous les cas, selon moi, il y a plusieurs questions fondamentales à prendre en compte dans ce sens : tout processus qui veut susciter l’espoir et des adhésions autour de lui doit être cohérent entre ce qu’il dit et ce qu’il fait.
Si on dit qu’il faut désobéir aux politiques de la Troïka et ne pas appliquer les coupes sociales qu’elles imposent, alors il faut le faire et cela implique des niveaux d’affrontements élevés contre tout l’appareil institutionnel. Si on proclame que la priorité est la lutte dans la rue, cela doit être l’objet central de l’attention du processus, tout comme celui d’organiser et de rassembler tous les gens disposés à le faire. Si on veut construire un instrument en rupture avec le régime actuel, il faut utiliser de nouvelles manières de faire la politique, à partir d’en bas, avec des méthodes démocratiques et participatives qui évitent au maximum la délégation de pouvoir et qui font de chaque personne un acteur actif de la construction d’un nouveau sujet politique.
Au-delà d’une liste de revendications, c’est avec la manière de les défendre ici et maintenant que se jouera l’avenir de ce mouvement. La crédibilité est en conséquence un facteur essentiel et elle doit être recherchée dès le début.
La question des élections
La question électorale fut également présente dans les débats, bien que moins qu’il était prévu, heureusement. Cependant, c’est une question qu’il faudra affronter et discuter, sans précipitation ni ultimatisme, mais suffisamment à temps. Dans l’assemblée finale des journées, Enrique Santiago, en tant que représentant d’Izquierda Unida (IU), a fait une offre directe à « Alternatives d’en bas » pour construire une liste unitaire de toute la gauche sociale et politique aux élections européennes de l’année prochaine au travers d’un processus « ouvert, horizontal et participatif », selon ses propres termes.
Le climat d’urgence sociale et la nécessité de chercher l’unité entre les gauches peut amener bien des gens à considérer comme prioritaires les premières élections qui auront lieu, dans ce cas ci les européennes si d’autres ne sont pas anticipées, afin de mettre en avant une liste qui rejette les politiques de la Troïka.
Mais le débat sur le programme, les formes et les candidatures ne devrait pas s’accélérer au point de miner le processus ou de le transformer en une initiative dont la première expression publique tournera autour des élections - en outre des élections européennes, qui sont très éloignées des préoccupations des gens, et où l’ont ne pèse en rien sur ceux qui possèdent le pouvoir réel en Europe, avec des taux d’abstention presque toujours supérieurs à 45%.
En tous les cas, le débat aura certainement lieu. Et lors de celui-ci, il faudra dire à IU, avec tout le respect et reconnaissance pour son rôle de force majoritaire de la gauche, qu’il est difficile de penser construire une candidature commune contre les politiques de la Troïka quand, en même temps, celles-ci sont plus ou moins appliquées en Andalousie, où IU participe au gouvernement régional avec le PSOE. D’autant plus que cette participation semble être érigée comme un « modèle » pour le reste de l’Etat espagnol, comme vient de le faire le frais émoulu coordinateur andalous d’IU. Le débat, donc, est loin d’être facile et il faudra y consacrer le temps et la maturation nécessaires pour qu’il ne gâte pas le processus.
En définitive, « Alternatives d’en bas » est un processus en marche, qui vient de la base, qui veut aller très loin et qui, pour cette raison, doit être abordé avec beaucoup d’attention et de prudence. Nous savons que les temps actuels exigent avec urgence la constitution d’une référence politique unitaire et de rupture. Mais pour aller très loin, il est nécessaire de ne pas sauter des étapes et de créer un mouvement fort et large à la base. C’est à cela que nous œuvrons.
Raúl Camargo est militant de l’organisation Izquierda Anticapitalista (Gauche anticapitaliste)