Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Santé publique

Et surtout je ne suis pas en colère…

La colère est malvenue par les temps qui courent, je ne sais pas trop pourquoi. Cette émotion humaine passe mal dans la discussion publique et privée au Québec. Parmi les premiers Français venus en Nouvelle-France il y avait plusieurs rebelles qui ont été en mesure de faire naître une nouvelle société dans le Nouveau Monde dans des conditions qui ont demandé un grand courage et une grande tenacité. Nous aussi avons perdu la capacité des Français d’avoir une bonne engeulade suivie d’une bonne tape sur l’épaule. Conquis par les Anglais et écrasés par l’Église catholique nous avons perdu confiance en nous et nous sommes devenus bien dociles comme le souhaitait récemment notre vice première-ministre avec quelques sursauts dont la révolte des Patriotes, le FLQ ou plus près de nous le Printemps érable. Dans les générations plus âgées plusieurs d’entre nous avons été nourris de valeurs profondes, de culture et d’histoire, et avons développé la fierté de la langue française grâce à nos parents et professeurs, pour ensuite mener des luttes étudiantes, syndicales ou autres après la ‘’ révolution tranquille ‘’ mais la transmission n’a plus été faite par la suite et combinée avec un confort matériel accru oü l’argent est devenu la seule vertu pour le plus grand nombre nous sommes tombés endormis pour sortir une journée 500,000 dans les rues de Montréal pour ensuite retourner chez nous en VUS ou avec Uber, ou passer nos prochaines vacances dans un Airbnb. Les liens ne se font plus parce que l’éducation politique ne se fait plus même au sein des organisations syndicales ou d’organismes communautaires, d’oü la grande difficulté de s’unir à partir de notre vécu individuel ou de notre groupe pour aboutir à des luttes collectives à grande échelle comme cela existe chez bien d’autres peuples du monde notamment au cours des dernières années, en particulier dans la jeunesse.

Le momentum serait idéal pour une lutte commune à grande échelle lancée par les femmes ( infirmières, préposées, éducatrices, caissières etc. ) dont les conditions de travail et les salaires sont inacceptables ) et avec l’appui des hommes elles pourraient faire des gains importants pour elles-mêmes et l’ensemble de la société québécoise mais nous ne la voyons pas poindre pour le moment empêtrés que nous sommes le cerveau confiné par la Covid. Une personne me rappelait que l’on a même pas vu le drapeau du Québec au spectacle de la Fête Nationale cette année à la télévision…

Nous choisissons plutôt d’être bien dociles comme nous l’a demandé notre vice première-ministre et nous acceptons depuis des mois de nous faire rassurer comme des enfants à l’heure du coucher et surtout infantiliser par notre bon papa Legault qui trône dans les sondages et mononcle Arruda aussi très populaire qui était pourtant parti en vacances au Maroc début mars alors que l’alerte était donnée depuis janvier par L’Organisation Mondiale de la Santé. Dans plusieurs pays il aurait été mis à la porte depuis longtemps alors qu’ici son contrat sera sans doute renouvelé le 31 juillet et que seule Madame McCann, l’ancienne ministre de la santé, aura seule écopé suite à la perte de contrôle dans le secteur de la santé.

Par les temps qui courent être stressé ça va. Etre anxieux ça va. Avoir peur ça va. Etre angoissé ça va. Paniqué ça va. Mais être en colère ça ne va pas. Notre colère aussi individualisée sert d’exutoire et se manifeste tout croche sur la rue au ailleurs face à l’autre mais ne s’exprime pas collectivement dans la même rue. La seule cause récente qui mérite la colère est la discrimination que vivent les Noirs,res. Peut-être est-ce la faute à la Covid ? Comme on a peur on ne peut pas être en colère en même temps.

Et puis ce qui pourrait nous mettre en colère a disparu.Les pauvres n’existent plus. L’exploitation n’existe plus sauf pour nos anges gardiens. Les autres peuples du monde n’existent plus sauf pour le danger qu’ils nous ramènent la Covid en. Les guerres n’existent plus sauf celle à la Covid. La pollution n’existe plus puisque les villes respirent, les animaux ont pris possession des villes, et l’eau est de nouveau propre à Venise grâce à la Covid. Il n’y en a que pour la vie covidée. Les relations humaines sont covidées. Notre chez soi est covidé. Le travail est covidé. La garderie est covidée. L’école est covidée. Les commerces sont covidés. La télé, la radio et les réseaux sociaux sont covidés. La vie sur terre ne consiste maintenant pour ceux et celles qui en ont les moyens à se lever le matin, mettre son masque, se laver les mains toute la journée, se tenir loin des autres humains, enlever son masque et se recoucher le soir. La vie est covidée. Nous sommes tous et toutes covidés. Tout a été vidé plutôt covidé de son sens. Hors de la Covid point de salut.

Qui oserait s’attaquer à la covidation du monde. Il faudrait être effronté pour être en colère et s’insurger. C’est le temps de se serrer les coudes, surtout au Québec. Qui oserait s’opposer à papa François ou mononcle Horacio. Ils sont tellement tellement gentils et rassurants. Qui oserait dire que papa sans reproche les premiers deux mois a perdu le nord par la suite et qu’avec mononcle ils nous mènent en voiture on ne sait oü depuis des semaines.

Qui oserait penser qu’ils ne sont pas honnêtes et transparents avec nous alors que leur stratégie est probablement de nous protéger d’un côté et de nous exposer de l’autre pour nous préparer à une éventuelle deuxième vague, en nous demandant d’un côté de suivre toujours leurs recommandations, mais de l’autre de s’exposer sans masque obligatoire dans les commerces et les transports en commun et qu’il ne faut rien imposer aux Québécois,es. Qui oserait remettre en question le matraquage publicitaire incessant depuis trois mois avec notre argent qui aboutit à un relâchement généralisé en particulier chez les jeunes qui en ont marre d’entendre parler des vieux depuis des mois et la la Covid comme s’il n’y avait plus d’avenir pour eux.

Qui oserait dire qu’ils ont cédé à la panique et laissé mourir des milliers de personnes âgées sales et seules dans leur coin sans pouvoir être serrés dans les bras de leurs proches avant de partir. Sur la rue nous avons l’air de zombies qui avons peur plus que jamais les uns des autres, dans sa bulle, et sans parler.Dire que l’on est passé par un cycle bipolaire rapide au Québec en deux mois alors qu’en mars nous étions les ‘’ plus meilleurs au monde ‘’ et qu’en mai nous étions devenus les cancres de la classe serait totalement irrespectueux et sans coeur. Les Suédois qui ont continué à avoir une ‘’ vie normale ‘’ pendant la pandémie ont le même bilan que nous. Papa et mononcle ont répondu à notre demande et continuent à nous infantiliser ‘’ à l’os ‘’ et nous sommes comblés et surtout rassurés.

Exprimer maintenant de la colère serait bien malvenu parce qu’il faut encore se serrer les coudes comme un peuple uni qui n’aime pas la chicane et manque de confiance en soi pour faire face à la saine confrontation, et se croiser les doigts en attendant une éventuelle deuxième vague. La colère est pourtant créatrice comme dans la nature oü du choc naît la lumière comme on dit. La colère peut aussi changer le monde mais on l’a oublié. Une chance qu’avec ma conjointe on a préparé de la bouffe pour des gens du quartier, et qu’avec notre gang de Centre-Sud Debout ! en déconfinant ensemble notre cerveau on a quotidiennement notre Jase dans le parc, on va chanter devant les CHSLD et que l’on a manifesté en vélo pour le logement. ‘’ Une chance qu’on s’a ‘’ comme le dirait Yvon Deschamps. Vive le fleuve, les lacs et la forêt pour prendre une pause estivale bien méritée. Pour le reste, ne craignez rien, je ne suis surtout pas en colère face à notre inertie collective…
Yves Chartrand

Yves Chartrand

Intervenant social
Montréal

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