Tiré de Politis.
Bien qu’elles soient responsables de la majorité des émissions de CO2, les puissances industrialisées ne seront pas les plus touchées par le réchauffement climatique, selon une étude déjà ancienne (2013) de l’université Notre-Dame, aux États-Unis. L’indice utilisé par ses auteurs, le « ND-Gain », fait la synthèse entre la vulnérabilité d’un pays face au changement climatique (calculée selon différents critères : l’accès à la nourriture, la santé, les habitats, la gestion de l’eau, les infrastructures, la capacité à s’adapter, l’exposition aux aléas du réchauffement) et sa capacité à surmonter rapidement les catastrophes (économiques et sociales ou en termes de gouvernance) induites.
Dix pays (parmi vingt et un à haut risque) conjuguent une très grande exposition aux conséquences du réchauffement climatique (désertification, sécheresse, montée des eaux) tout en étant peu préparés à les affronter. Ils comptent aussi parmi les plus pauvres : le Bangladesh, la Guinée-Bissau, la Sierra Leone, Haïti, le Soudan, le Nigeria, la République démocratique du Congo, le Cambodge, les Philippines et l’Éthiopie.
Dans ce classement, la France se situe à la 166e place. Notre pays est donc moins exposé et bien mieux préparé. Toutefois, une partie des économies mondiales les plus importantes et dont la croissance est la plus rapide devraient également être touchées : l’Inde (20e), le Pakistan (24e) et le Vietnam (26e), dans la catégorie « risque extrême », de même que l’Indonésie (38e), la Thaïlande (45e) et la Chine (61e), classées « à haut risque ». Plus de 4,5 milliards de personnes (environ 64 % de la population mondiale) vivent dans ces pays exposés et ce nombre pourrait excéder 5 milliards en 2025.
Depuis plusieurs années, les dix pays à haut risque que nous avons cités accueillent des missions de maintien de la paix et des missions politiques spéciales des Nations unies, en réponse à des conflits et à d’autres tensions et insécurités sous-jacentes. En effet, non seulement la dégradation de l’environnement et le changement climatique ont des effets négatifs sur les niveaux de pauvreté, la croissance économique, la sécurité alimentaire et la santé publique, mais ils engendrent aussi une raréfaction des ressources et l’accroissement de la conflictualité. Rappelons qu’en 2007 le prix Nobel de la Paix avait été attribué au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et à l’ancien vice-président états-unien Al Gore.
- Les pays les plus exposés comptent parmi les plus pauvres et les plus sujets aux conflits.
Il est maintenant acquis que, lorsque les conditions environnementales et climatiques atteignent des niveaux d’urgence, elles exacerbent les conflits et entravent les efforts de paix en favorisant l’instabilité et les déplacements, lesquels, à leur tour, rendent plus difficile l’accès aux services publics, avec des conséquences dévastatrices pour la santé publique, comme en témoigne la « charge de morbidité » observée dans les contextes de conflit.
L’Organisation mondiale de la santé a déjà mis en place un programme « Santé et paix ». Interpeace, une organisation internationale de consolidation de la paix dont le siège est à Genève, travaille avec l’OMS et les États membres de l’ONU pour améliorer la qualité des réponses sanitaires dans les situations d’urgence et les contextes de conflit dans le monde entier (1). On reconnaît de plus en plus l’intérêt de mettre délibérément l’accent, lors de la réponse aux urgences sanitaires et climatiques, sur le renforcement de la résilience sociale. Mais aussi sur l’importance de renforcer les systèmes de santé et de faire face aux crises environnementales par le biais de changements systémiques, organisationnels et individuels spécifiques au contexte.
Du 3 au 5 mai 2022, se tient le Geneva Health Forum (GHF), qui réunit les acteurs clés œuvrant à apporter des solutions aux défis de la santé mondiale. Ce colloque annuel évoquera les liens entre l’inégalité d’accès aux services de santé dans les situations d’urgence environnementale et l’émergence de conflits violents. Le manque de confiance ou de cohésion sociale, la désinformation et la faible gouvernance entravent les efforts de réconciliation. Les efforts déployés dans le cadre de l’initiative « Une seule santé » sont un exemple joignant déjà les enjeux de paix, de santé et d’environnement. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, l’a bien rappelé : « La santé ne peut exister sans la paix, ni la paix sans la santé. »
Emmanuel Drouet, Microbiologiste à la faculté de pharmacie de Grenoble.
Notes
(1) Interpeace collabore avec un grand nombre d’acteurs internationaux pour faire face aux menaces et aux opportunités à l’intersection du changement climatique et de la paix.
Un message, un commentaire ?