Si Valls avait obtenu l’investiture… Voilà qui aurait manifesté un état désespérant du pays et de sa gauche. Le choix effectué par plus d’un million de personnes en faveur de Hamon est donc une excellente nouvelle. Les soutiens de Macron s’étant éloignés, il n’y a donc plus à gauche de base populaire pour le néo-libéralisme autoritaire. Après l’auto-élimination du chef de la bande, Hollande, c’est son porte flingue le plus zélé qui a pris le toboggan direct vers la sortie. On ne va pas bouder son plaisir. Difficile de savoir ce qui a primé, de l’envie irrépressible de se défaire de Valls ou de celle de soutenir la parole d’un socialiste de gauche. Dans les deux cas, c’est quand même bien d’un « désir de gauche » qu’il s’agit.
La question est : qu’en faire ? Dans son discours d’investiture, Hamon s’est refusé à tirer le bilan qui s’impose d’un quinquennat désastreux. Et ceci, dès l’origine (même si ce fut de mal en pis par la suite), avec par exemple la signature sans gloire du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), après laquelle le ton d’ensemble était donné. Cependant, et à juste titre, le principal est pourtant dans la réponse qui va être donnée à une autre question : « et maintenant ? »
Les dangers sont si grands que nombreux sont les appels à se rassembler de manière à battre tous les multiples ennemis d’une réelle alternative à gauche. Ils manifestent sans conteste la suite de ce « désir de gauche » qui, heureusement, reste vivace malgré les reniements. Mais que s’agit-il de rassembler ? Les candidats ? Bien sûr, sinon la portée même du désir serait effacé. Et, on le suppose, en vue d’une politique commune. Donc d’un gouvernement commun. Hamon y a fait directement référence. Mais les gouvernements de gauche unie ont-ils laissé un souvenir miraculeux ? Pour clarifier l’objectif, et vérifier si les bases existent d’un tel gouvernement, il est des questions de forme, et il est des questions de fond. Or, comme le disait Hugo, « « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface ».
Commençons donc par la forme. « Ne pas couper des têtes » dit Hamon. Mais avant de savoir s’il le faut ou pas, qui a désigné ces têtes ? Les électeurs de la Primaire ? Nullement ! Le PS, sur lequel ces électeurs n’ont aucun contrôle. S’il faut discuter programme commun, ne serait-il pas logique que le pouvoir de désigner celles et ceux qui vont concourir en juin soit aussi donné au vote citoyen ? N’est-il pas évident sinon que, même si Hamon maintient les grandes lignes de son programme, le choix décisif reste aux mains du PS ? Lequel a déjà désigné une écrasante majorité de candidat-e-s soutenant Hollande et Valls ? Tant que cette contradiction n’est pas levée, et elle ne peut l’être qu’hors des rets du PS, toute discussion de fond a peu d’horizon.
Si, contre ce qu’il vient de confirmer, Hamon prenait le chemin de la prise de distance, en s’en remettant à un choix citoyen indépendant du PS, alors les débats sur les contenus pour une éventuelle concrétisation commune du « désir de gauche » deviendraient sérieux. L’autoritarisme vindicatif et l’esprit de fermeture sont étrangers aux 3 candidats. Sur les questions dites sociétales il devrait y avoir matière à rapprochement (à condition de ne pas y inclure la catastrophique politique éducative poursuivie 5 ans durant). Il y a matière à débattre des conséquences tirées par les uns et les autres, loin d’être identiques, de l’insistance commune mise sur les questions écologiques.
Et il y aurait d’autres questions rien moins que difficiles. A commencer par la faiblesse des réformes institutionnelles prévues par le candidat socialiste plutôt qu’une sortie en bonne et due forme de la 5ème République. Ou le débat incontestablement nécessaire entre les issues type « revenu universel » et celles menant à l’emploi pour tous appuyé sur la sécurité sociale intégrale. Il est par ailleurs impossible de passer à côté de la demande indispensable de sortie de l’OTAN d’un côté, l’engagement dans une très impériale « défense européenne » de l’autre.
Et il y a enfin le respect qu’affiche Hamon du cadre des traités européens. Evidemment, comme toujours avant une élection, il sera proposé de nouveaux traités, s’engageant vers l’Europe sociale. Mais si justement on veut faire en sorte que ça ne finisse pas « comme toujours », il faut répondre à la seule question qui vaille : que fait-on si l’UE n’en veut pas ? Dans ce cas, on passe outre disent Mélenchon et tous les partisans d’un « plan B ». Et Hamon ?
Débattre, oui. Garder l’esprit ouvert et la main tendue, favoriser évolutions et rapprochements : il y aura besoin de tout le monde dans les rudes combats qui s’annoncent. Ne pas insulter l’avenir, lequel comme le disait Althusser « dure longtemps ». Sauf que voilà, il est certes incontestable que Hamon est bien à la gauche du PS et de Valls ; mais, en l’absence de ces clarifications minimales de forme et de fond, que ce soit d’emblée la gauche qu’il nous faut, c’est une autre affaire. Et pour paraphraser une sentence connue, il y faudrait « encore un effort si vous voulez » vraiment refonder une gauche de gauche…
Dans ces conditions voter Mélenchon et soutenir sa campagne, après comme avant la Primaire du PS, c’est le choix le plus efficace pour qui veut contribuer à remettre à l’endroit ce qui tourne à l’envers. A côté des nombreux convaincus, il y a, comme c’est normal, des hésitations face à ce choix. Et ceci indépendamment de l’entrée de Hamon dans le tableau. Convaincre les hésitant-e-s ne peut se faire en dénigrant les hésitations, en transformant les interrogations en hostilité ou seulement en incompréhensions qu’une simple explication patiente pourrait lever. Tout n’est pas hostilité gratuite, même s’il y en a de trop.
Et il subsiste, pour s’en tenir à certains de mes ami-e-s de la gauche radicale et révolutionnaire, maints débats légitimes d’importance. Et pour chacun de ceux-ci, il convient de mettre en œuvre, de tous les côtés, le « principe de charité » cher à Davidson, pour lequel l’interlocuteur est supposé de bonne foi. Et donc de saisir le noyau rationnel qui le conduit à ses positions de manière à ce qu’un débat puisse s’engager qui ne soit pas de pure dévalorisation.
Mais à ces ami-e-s je veux dire aussi qu’il n’existe aucune proposition politique unique qui soit en mesure de lever d’emblée toutes ces difficultés. Si on met en avant surtout les points qui nous divisent, alors la gauche radicale (et la gauche toute entière) ressemblera chaque jour un peu plus à un champ dévasté par des grenades à fragmentation. Si on ne s’y résout pas, il y a évidemment d’abord un choix à faire. Entre penser surmonter les difficultés en se soumettant à un PS demeurant hégémonique, ou le faire loin de son appareil. Il faut sans hésiter choisir la deuxième option. Et il y faut ensuite des avancées communes et des succès partagés. Et ils ne sont possibles qu’avec la campagne de Jean-Luc Mélenchon. En souhaitant qu’elle s’ouvre maintenant au maximum au lieu de rester réduite à ses soutiens initiaux au risque de stagner.
Si ces deux choix ne sont pas faits, regardons le monde comme il va : cette année ou plus tard viendrait en France aussi l’heure des Trump, des Brexit, de Le Pen. Ces deux choix n’annulent en rien aucun des débats qui divisent à gauche, tous légitimes, et qu’il faut considérer à leur valeur. Mais ils s’imposent.