Édition du 12 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

En Israël, la coalition anti-Netanyahou implose

La coalition gouvernementale qui va de la droite sioniste religieuse à la gauche laïque et radicale est dans l’impasse. Lundi soir, elle a annoncé un projet de dissolution du Parlement et de nouvelles élections. Prévues pour octobre, ce seront les cinquièmes en trois ans, avec le risque, à la clef, de permettre le retour de Netanyahou.

Tiré de Médiapart.

Tel Aviv (Israël).– Vu d’Israël, l’idée qu’un pays risque d’être ingouvernable parce que le parti majoritaire ne dispose pas d’une majorité absolue paraît bien exotique. L’État hébreu est en effet habitué à bâtir des coalitions ratissant très large sur le spectre politique et faisant cohabiter des partis ultra-orthodoxes et des laïcs pragmatiques.

Mais celle qui vient d’annoncer, lundi 20 juin dans la soirée, la dissolution de la Knesset et l’organisation de nouvelles élections en octobre prochain était la plus improbable de toutes. Ce sera le cinquième scrutin en trois ans.

Cette coalition était composée de huit partis allant de la droite sioniste religieuse, avec le parti Yamina de l’actuel premier ministre Naftali Bennett, à la gauche laïque et radicale, avec le Meretz. Mais, surtout, elle intégrait, pour la première fois dans l’histoire du pays, un parti représentant la minorité palestinienne d’Israël, qui plus est « islamiste », le Ra’am.

Le ministre de la défense, Benny Gantz, surnommé le « boucher de Gaza » pour son rôle de chef d’état-major des forces armées israéliennes durant la guerre de 2014, côtoyait ainsi, durant le conseil des ministres, Mansour Abbas, leader du parti Ra’am, chargé des affaires arabes dans le gouvernement mené par Naftali Bennett.

Cette coalition n’avait réussi à se mettre en place, l’an dernier, que pour mettre fin aux douze ans de règne de Benyamin Netanyahou, l’actuel leader de l’opposition, qui doit se frotter les mains en espérant redevenir premier ministre à l’automne et éloigner ainsi de nouveau les affaires judiciaires qui le cernent. Il a déjà annoncé, lundi 20 juin dans la soirée, sa volonté de « mener un gouvernement nationaliste avec le Likoud à sa tête ».

La coalition était donc d’emblée fragile, qui plus est depuis le mois d’avril dernier, après le départ, en raison d’une polémique autour de questions religieuses et de l’identité juive d’Israël, d’une députée de Yamina, qui lui avait fait perdre sa majorité au Parlement, en la faisant passer de 61 à 60 sièges, alors que la Knesset en compte 120.

Les derniers désaccords en son sein, cristallisés sur la reconduction de la loi sur le statut civil et juridique des colons de Cisjordanie (qui organise l’occupation des territoires palestiniens depuis 1967), ont entraîné plusieurs défections, ou menaces de le faire, de la part de certains députés arabes israéliens. Ils auront eu raison d’elle.

En dépit de son caractère baroque et d’un ciment principalement composé par la volonté de faire barrage à Netanyahou, cette coalition avait pourtant suscité un espoir inédit chez certains Israéliens : bien sûr chez les opposants à l’ancien premier ministre qui polarisait la vie politique depuis plus d’une décennie ; mais au-delà, parmi une large partie des Israéliens convaincus qu’une telle coalition était, au fond, représentative de la mosaïque israélienne.

Pour Denis Charbit, professeur de science politique à la faculté des sciences humaines de l’Open University d’Israël, cette coalition avait constitué une surprise d’autant plus précieuse après un printemps 2021 qui avait vu s’enflammer les « villes mixtes » du pays, de Jaffa à Lod en passant par Ramleh ou Saint-Jean-d’Acre.

« Jamais le spectre de la guerre civile ne m’avait semblé aussi fort, explique-t-il. C’était d’autant plus tragique qu’avant cela, la crise du coronavirus avait semblé, même si je ne parle pas ici des territoires occupés, constituer un moment inédit de coexistence judéo-arabe, avec des hôpitaux publics qui tenaient grâce aux Palestiniens d’Israël et une reconnaissance accrue de leur importance dans la société israélienne. Dans ce contexte de montée aux extrêmes, cette coalition inédite avait pu sembler une expérience politique importante. »

Le chercheur va jusqu’à tenter un parallèle avec le démantèlement des colonies de Gaza, décidé en 2005 par le premier ministre d’alors, Ariel Sharon : « Soit cela marchait, et on pouvait s’appuyer dessus pour imaginer une autre forme de coexistence, soit cela échouait, et cela permet toutes les fuites en avant. »

Denis Charbit vante le pragmatisme de Mansour Abbas, sa capacité à s’adresser aussi bien à sa communauté qu’aux juifs israéliens, et juge que jamais le développement économique et social des localités arabes situées en Israël n’avait jamais bénéficié d’autant d’argent et de projets.

Mais Gadi Algazi, professeur à l’université de Tel-Aviv et cofondateur de Taayoush, l’une des rares organisations à avoir fait travailler ensemble Palestiniens et Israéliens après la deuxième Intifada sur un agenda radical politiquement, est sur une tout autre longueur d’onde.

Pour lui, Mansour Abbas a d’abord troqué la cause palestinienne pour améliorer le sort matériel des Arabes israéliens, sans vraiment y parvenir. « Ce n’est pas Mansour Abbas qui a inventé le sentiment réel que certaines personnes, parmi les Palestiniens d’Israël, pensent qu’il est impossible de changer le système et qu’il vaut mieux trouver des accommodements. Mais il s’est appuyé sur ce sentiment pour en radicaliser la pratique, au risque d’abandonner le combat des Palestiniens et de perdre le soutien populaire. »

Surtout, souligne-t-il, cette coalition reposait, outre le sentiment anti-Netanyahou, sur un conservatisme social et sociétal partagé autant par le parti de Naftali Bennett que par celui de Mansour Abbas. « Avec ses propos sur les LGBT, ses positions conservatrices sur la condition des femmes et ses attaques contre la tradition communiste et émancipatrice incarnée par la liste arabe unie qui avait fait un excellent score aux élections de 2015, il avait rompu l’alliance traditionnelle entre la gauche israélienne et les partis représentant la minorité palestinienne d’Israël. »

Après avoir lui-même tenté de négocier avec le Ra’am de Mansour Abbas, avant que ce dernier ne rejoigne la coalition emmenée par Naftali Bennett, Benyamin Netanyahou avait affirmé que gouverner avec ce parti islamiste modéré revenait à avoir le Hamas présent dans le gouvernement israélien…

Maintenant que la coalition actuelle a jeté l’éponge, reste à voir quelle sera la prochaine susceptible de diriger un pays dans lequel les principaux partis peinent à rassembler plus d’un sixième des sièges au Parlement.

En attendant, l’accord passé l’an dernier entre les deux principaux partis encore au pouvoir pour quelques semaines, celui de Naftali Bennett et celui du centriste Yaïr Lapid, prévoyait une rotation entre les deux hommes à la tête du gouvernement et le remplacement du premier par le second en cas de dissolution du Parlement.

C’est donc ce dernier, actuel ministre des affaires étrangères, qui devrait expédier les affaires courantes jusqu’à l’automne et accueillir le président américain Joe Biden lors de sa visite prévue en Israël le 13 juillet prochain.

Joseph Confavreux

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